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A MERICAINE : M IAMI VILLE EN CHANTIER

C HAPITRE 5 : M IAMI VILLE ENTRE LES A MERIQUES : PRODUCTIONS , CONSTRUCTIONS ET DISCOURS

A) MIAMI VILLE NOUVELLE ?

2) Miami ville fragmentée

Cité étatsunienne récente, vécue par une majorité d’Hispaniques, Miami présente des logiques d’urbanisation caractéristiques d’un rapport à la distance spatiale et sociale. Cela l’ancre pleinement dans son contexte américain et permet d’aborder dans ce point les processus de fragmentation spatiale à l’heure de la mondialisation. L’idée de fragmentation urbaine est alors à replacer dans son contexte géographique. En effet, comme le rappellent C. Rhein et B. Elissalde (2004), l’apparition de cette notion est largement liée aux contextes américains de production de la ville. Les auteurs replacent alors l’origine de l’idée de fragmentation dans les contextes urbains de New York mais aussi de Buenos Aires. Ils évoquent aussi bien les travaux de J. Mollenkopf et M. Castells sur la ville duale que les travaux de M.F. Prévôt-Schapira qui définissent les contours et la nature de la notion de fragmentation dans les sociétés inégalitaires latino-américaines. Cette origine américaine de la notion de fragmentation est alors importante pour comprendre Miami, mais comme le rappelle P. Gervais-Lambony, c’est avant tout le contexte de mondialisation et de métropolisation qui joue sur la fragmentation des villes (Gervais Lambony, 2004). Car la mondialisation entraîne l’accroissement du poids des plus grandes villes et leur mise en réseau qui jouent sur les recompositions de la morphologie urbaine davantage discontinue et hétérogène.

La notion de fragmentation porte sur les relations entre les portions de l'espace urbain. Elle souligne la dissolution de la ville et désigne un processus d’éclatement d’un objet spatial, l’éclatement spatial apparaissant tantôt comme la traduction, tantôt comme la cause de l’éclatement social (Navez Bouchanine, 2002). Ainsi, plus la faiblesse des liens politiques, fiscaux, fonctionnels, sociaux entre portions de l’espace est grande, plus il est fondé de parler de fragmentation. « La définition la plus générale de la fragmentation urbaine est la désolidarisation de la ville, la disparition d’un système de fonctionnement, de régulation et de représentation à l’échelle métropolitaine. Les symptômes de cette « maladie » de la ville : la crise des espaces publics comme lieux de coexistence et de mise en scène des différences, les replis sur des espaces socialement et/ou ethniquement homogènes » (Dorier-Appril, Gervais- Lambony, 2007, p. 16). L’espace est dans ce processus le vecteur de la mise à distance comme du regroupement ; il est également le produit de rapports de pouvoir, de domination et

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de conflits. Les facteurs économiques que sont la concentration des activités, le marché foncier et les structures de production de la ville jouent sur la répartition des populations urbaines.

À Miami l’étalement urbain, l’éclatement des centres et la fragmentation urbaine ont créé de nouveaux territoires à l’échelle micro-locale et locale : les edge-cities, les gated communities et les condominiums. Dans une étude menée en 2003 par R.E. Lang pour The Center on

Urban and Metropolitan Policy89, Miami était parmi les treize grandes villes étatsuniennes

étudiées, la ville la plus éclatée en terme de centralité des bureaux. Cela montre pour l’auteur que la plupart des centralités périphériques ne pouvaient être qualifiées de edge-cities mais de

edgeless-cities c'est-à-dire que la concentration et la centralité de ces villes périphériques

n’ont jamais atteint le degré de concentration critique qui permet de parler de réelle centralité.

a) Construire la distance

« Le territoire, c’est d’abord la distance critique entre deux êtres de même espèce : marquer ses distances. Ce qui est mien, c’est d’abord ma distance, je ne possède que des distances. » G. Deleuze, F.Guattari, 1980, p. 393.

La grande périphérie de la Miami est un espace exemplaire pour comprendre la notion de distance et d’étalement urbain dans les Amériques. Homestead et Florida City sont en effet des municipalités en position de marge urbaine, des espaces d’extension mais aussi de relégation du système-ville. Ces municipalités aux périphéries du comté permettent de comprendre les processus de fragmentation et relégation. Les services que les autres municipalités ne veulent pas accueillir comme la prison fédérale de Homestead ou les centres pour accueillir les populations marginalisées que sont les sans domicile fixe (SDF) sont bien sûr concernés. Mais ce phénomène touche également des populations à bas revenus (et pour un certain nombre d’entre elles sans-papier, notamment chez les travailleurs agricoles). Habiter ces espaces des marges urbaines avec ses lotissements à bas prix, ses gated

communities de seconde zone, ses magasins de sortie d’usine, et ses champs aux portes des

pavillons (document 10) n’est souvent pas un choix mais bien une contrainte spatiale. Bien

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Beyond Edge City: Office Sprawl in South Florida The Brookings Institution • Survey Series 2003 (R.E Lang The Center on Urban and Metropolitan Policy.)

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que les contextes d’étalement urbain soient très différents, il est intéressant ici d’évoquer les travaux français sur les « prisonniers » du périurbain90 : les citadins expérimentant ainsi une nouvelle mise à l’écart non plus par la ségrégation mais par la distance et les prix du foncier sont de plus en plus nombreux à l’échelle planétaire (Rougé, 2005).

Cette relégation des plus pauvres en dehors des ghettos « traditionnels » est accélérée par la construction de plus en plus importante de Public Housing ou logements sociaux, dans cette zone du comté, favorisant l’accès à un logement pour les familles les plus démunies à la marge de la ville.

Document 10 : Image satellite du front d’urbanisation de l’agglomération de Miami (Google Earth juin 2010)

b) Le sprawl ou la fabrication de la distance en ville

« It will be sprawl: cookie-cutter houses, wide, treeless, sidewalk free roadways,

mindlessly curving cul-de-sacs, a streetscape of garage door. Or, worse yet, a pretentious slew of McMansions, complete with the obligatory gatehouse. You will not be welcome there, not that you would ever have reason to visit its monotonous moonscape. Meanwhile, more

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L. Rougé, 2005, « Les “captifs” du périurbain. Voyage chez les ménages modestes installés en lointaine périphérie » in Capron, Cortès, Guétat-Bernard, 2005, Liens et lieux de la mobilité, ces autres territoires, Paris, Belin.

124 cars will worsen you congested commute. The future residents will come in search of their American Dream, and in so doing will compromise yours » 91 (Duany, Plater-Zyberk, Speck, 2000, p. X). C’est ainsi, qu’avec un ton sarcastique dans l’introduction de leur ouvrage intitulé Suburban Nation, les fondateurs de la nouvelle école d’urbanisme née à Miami : le

New Urbanism expliquent leur désaveu pour un étalement urbain sans réflexion à une échelle

plus petite que celle du lotissement et qui compromet l’urbanité même des villes étatsuniennes.

L’étalement urbain ou sprawl à Miami, comme dans la plupart des villes de la Sunbelt nées ou presque avec l’automobile, a depuis les années 1970 fait doubler la superficie urbanisée du comté de Miami-Dade. Il a pris deux directions principales l’ouest et le sud-ouest de la ville qui rappellent les liens entre ce phénomène et les espaces d’implantations des populations cubaines dans la ville. Gagnant 36 % de sa superficie et 57 % de sa population entre 1970 et 1990, l’essor urbain de Miami a peu à peu annexé de nouveaux secteurs, reculant les limites du front d’urbanisation essentiellement par l’intervention de promoteurs privés.

Cet étalement s’est principalement fait sous la forme de lotissements regroupant des pavillons tous semblables. Les expressions cookie-cutter house ou MacMansion utilisées par A. Duany rappellent surtout l’idée de moule ou de fabrication à la chaine comparant ce mode de production de la ville aux fast-foods entrainant la création de « ville clone » sans esprit des lieux. Ces lotissements développés par pans entiers sont le fait non pas de schémas d’aménagement pensés par le comté ou les municipalités mais de promoteurs immobiliers : leur initiative est privée et la recherche de leurs acheteurs est celle d’une jouissance de leur logement et non d’un vivre la ville.

Rêve fondateur de la classe moyenne mondiale, le pavillon de banlieue signe pourtant dans une ville comme Miami la première aliénation à laquelle contraint cette extension urbaine : l’automobile et le temps de transport (carte 17). Miami figure, depuis plusieurs années, en tête d’un classement atypique celui de la « rage au volant » (road rage). Ce classement évoque ainsi la congestion permanente des grands axes de l’agglomération induite par son manque de centralité et son expansion qui obligent les citadins à systématiquement utiliser leur véhicule.

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« Ce serait l’étalement urbain : des maisons toutes semblables, larges, sans arbres, des routes sans trottoirs, des culs-de-sac stupidement courbés, des portes de garage incessantes longeant les rues. Ou, pire, d’innombrables McMansions prétentieuses, complétées par des portails obligatoires. . Vous ne serez pas le bienvenu, car vous n’aurez aucune raison de visiter cette désolation monotone. Entre temps, beaucoup plus de voitures aggraveront les déplacements déjà congestionnés. Les futurs résidents viendront à la recherche du rêve américain et en le faisant compromettront le tien » (traduction V.J).

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Par ailleurs, la carte montre que les habitants des inner-cities et de la très grande périphérie sont les plus contraints et opèrent les plus longs trajets domicile-travail.

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L’extension de la ville et sa gestion sont un véritable problème pour les autorités. Pourtant comme le montre le récent débat sur les limites de la zone urbanisable, la priorité ne semble pas être au ralentissement de l’étalement urbain : les rapports étroits entre le monde politique et les promoteurs immobiliers permettent à chacun de trouver un intérêt à la poursuite de ce développement.

Document 11 : Dessin de Jim Morin lors du vote par le comté du déplacement de la frontière du développement