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MOBILITE SPATIALE A LA SEDENTARISATION ET NAISSANCE DE LA VILLE

Chapitre 2 : La formation du paysage urbain de Khénifra

1- La ville de Khénifra : Evolution spatiale et temporelle

En étudiant l’urbanisation dans le contexte marocain, Cattedra (2002) rappelle que les villes ce sont en continuelle métamorphose et qu’au cours des siècles, les villes marocaines ont évolué dans leurs morphologies, leurs structures démographiques et sociales et leurs renommées économiques. Elles affichent souvent des effets contradictoires et insouciants des processus progressifs d’urbanisation. Dans ce sens, la formation de la ville de Khénifra sous sa forme actuelle est également, l’aboutissement d'un processus historique long et complexe. Ainsi, s’entremêlent trois éléments essentiels qui sont : le mode de vie pastoral des Zayanes, les retombées de la colonisation française, et enfin la forte urbanisation qu’a connue la ville après l’indépendance.

1.1- Avant le protectorat : Un petit gîte d’étape

Historiquement, la région de Khénifra a connu une occupation romaine (Berger12,

1929). Elle sera troublée pendant la période médiévale par les luttes éclatées entre les principautés Zénètes et almoravides venues du Sud et, encore, au XVIIème siècle par l’occupation des campagnes de Moulay Ismaïl, qui utilisera la forteresse d’Adekhsal13

comme une base d’opérations. Ayant été, par ailleurs, le siège d’une lutte continue pour la conquête des pâturages, lors de la poussée berbère depuis le Sud-Est vers le Gharb, arbitrée par des thaumaturges parfois puissants comme les Imhiwach*. Khénifra nesera longtemps qu’un petit gîte d’étapes pour voyageurs se rendant vers le Tadla (Peyron, 2005).

Selon les sources disponibles, la ville de Khénifra doit sa naissance proprement dit à la Kasbah de Moha ou Hammou Zayani, construit par le sultan Almoravide Ibnou Tachfine sur la rive gauche de l’Oum Rabia. Elle a eu pour première fonction celle de relais routier et de plateforme de défense de la circulation sur l’axe routier Fès-Marrakech en passant par Tadla. C’est un axe ayant un caractère stratégique, sur le plan commercial et militaire.

C’est vers la fin du XIXème

siècle, que la région a commencé son essor, lorsque Mouha Ouhammou Zayani avait ramené les tribus zayanes dans son camp, pour construire son siège de pouvoir, de façon à dominer le site stratégique voisin sur l’Oum Rabia (Peyron, 2005). C’est un site comprenant autrefois le pont14

en dos d’âne (Photo 4) et la casbah (Photo 5) qui est actuellement en ruine (Photo 6), lesquels nous attribuons l’insertion de la ville de Khénifra dans la jeune armature de l’administration coloniale, puisque la ville est née de la fonction de point de surveillance d’une zone de passage entre le Nord et le Sud et le Jbel et l’Azaghar.

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François BERGER est un capitaine français ayant vécu les événements de la prise de Khénifra en 1914 13

Ce village relevant actuellement de la commune d'Elhri à 12 km de Khénifra est historiquement lié à la citadelle de Fazaz construite par les Almoravides puis reprise par le sultan Moulay Ismail dans le cadre des expéditions contre les populations de Béni Fazaz qualifiés de rebelle et ce à partir de 1063, sous les Almoravides puis par les Alaouites plus tard au xvie siècle.(Wikipédia encyclopédie)

*Imhiwach : Nom d’une véritable dynastie maraboutique du Maroc central ayant exercé une influence considérable sur la tournure des événements dans le Jbel Fazaz (moyen atlas) pendant plus de deux siècles 1715 à 1932. Ces personnages hors pair forcèrent le respect autant par leur piété et l’exemplarité de leur vie, que par leurs talents de prophétiseurs, de meneurs d’hommes, aussi. Image globalement positive, malheureusement ternie par le vice de la débouche qu’affichèrent certains d’entre eux lors de la décadence de leur ordre au début du XXème siècle (M. Peyron, 2001).

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Ce pont était le seul passage qui servait de lien entre les deux rives d’Oued Oum Rabia, et assurait, pendant longtemps, les déplacements des transhumants et leurs troupeaux entre leJbel et l’Azaghar.

Source : www.wikimapia.org

Photo 4: Pont portugais Photo 5: Casbah de M H Z Photo 6 :

En 1886, le sultan Moulay Hassan Ier avait nommé officiellement, Moha Ouhammou Zayani caïd du makhzen15. Il avait reçu un détachement de la garde chérifienne et trois canons afin de mieux asseoir son autorité sur la région (Guennoun, 1933)16. Il commençait de créer une ville de ce nom. Ceci relevait d’un défi dans une région agro-pastorale, qui vivait un mode de déplacements continus entre deux espaces vitaux le Jbel et l’Azaghar. Cette zone de Khénifra ne constituait pour les transhumants Zayanes qu’un passage obligatoire pour se rendre sur les deux espaces en question. De ce fait, la zone restait pendant des années un lieu d’échanges commerciaux où s’installaient provisoirement des caravaniers et artisans dans des tentes et quelques petites boutiques en pisée (Peyron, 2005).

De surcroit, cette fonction de souk hebdomadaire à grand rayonnement tribal, lui a permis d’un coté, de se positionner comme le principal souk des Zayanes où se déroulent les échanges des produits de l’élevage (Rapport de diagnostic du PA de 2014), et de devenir la plaque tournante d’échanges commerciaux, et de l’autre coté, l’érection au rang de pôle commercial chapeautant un réseau de souks allant d’Azrou au nord (104 km), à Kasba des Tadla (100 km) au sud, et à Midelt (138 km) à l’Est.

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Le terme « makhzen » (en arabe : نزخم ; littéralement « magasin ») désigne, dans le langage courant et familier au Maroc, à la fois le Pouvoir marocain et un système de népotisme et de privilèges de grandes familles reposant sur leur proximité avec ce Pouvoir. Avant le protectorat, le Makhzen était l'appellation du gouvernement du sultan du Maroc.

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Saïd GUENNOUN est né en 1887 à Ouled-Aïssa, canton de Dra-el-Mizan : il est donc, par son origine, un Kabyle d'Algérie En 1902, il s'engage dans les tirailleurs algériens, où ses capacités lui font, en quelques années, gravir tous les échelons. On imagine sa fierté, en 1912, d'être promu sous-lieutenant. A la veille de la Grande Guerre de 1914, il est naturalisé français et il se trouve plongé au cœur du monde berbère marocain, dans la grande aventure de la "pacification". Au pied du moyen-Atlas, la bourgade de Khénifra, capitale des tribus zayanes, vient d'être occupée par l'armée française Saïd y est officier des détails au bataillon du commandant Fagès, du Sème régiment de tirailleurs algériens.

Casbah de M H Z actuellement en ruine

En effet, cette renommée régionale du souk de Khénifra avait donné à Moha Ouhammou Zayani l’ambition d’élargir son rayonnement commercial, en faisant venir un nombre important de commerçants réunis en une sorte de galerie, auquel s’ajoutent des tanneurs de Fès, des savetiers de Boujaad, des épiciers du Sous. Ces artisans et commerçants avaient doté ainsi Khénifra d’une infrastructure marchande nécessaire à son démarrage (Peyron, 2005). La ville commençait à se développer sur la rive droite d’Oum Rabia où s’organisent le souk hebdomadaire et le commerce journalier. Ces échanges commerciaux ont donné naissance à un ensemble d’espaces d’installation des campagnards rendant au souk et leurs bêtes appelés également, "fondouks". En effet, ces anciens fondouks qui ponctuent encore les anciens tissus urbains reflètent le poids et l’importance du souk dans le fonctionnement et l’identité de la ville de Khénifra.

Avec l’extension de Khénifra et son remarquable essor, la nécessité de gérer la ville avec un souci environnemental constituait pour Moha Ouhammou Zayani une priorité accrue, à ce propos, Peyron (2005) disait :

"Moha ou Hammou veut une ville propre. Il l’aura, grâce à un responsable chargé de veiller à ce que chacun balaie devant sa porte – un peu comme dans n’importe quel village berbère de montagne qui se respecte – préoccupation de netteté qui tranche singulièrement avec l’actuel traitement des déchets à Khénifra" (p.4237).

1.2- Pendant le protectorat : La naissance du fait urbain

La ville marocaine, comme beaucoup de villes nord africaines, ont l’originalité de posséder une structure duale. Elles sont composées d’une ville indigène ancienne (médina) et d’une ville nouvelle (ville française développée à partir de 1912 sous l’autorité du protectorat) (Buriez, 2004). L’organisation de ces deux espaces est profondément distincte sur le plan structurel comme sur le plan architecturel(Renou, 2016). Déjà Arrif (1993) disait que "la ville coloniale marocaine ne peut être considérée comme espace sédimentaire dont la genèse serait pensée en termes de continuité et d’intégration à un espace historique. Au contraire, elle s’inscrit dans une logique de juxtaposition voire de rupture avec l’ordre urbain qui lui préexistait"(p.6).

Toutefois, l’appropriation physique des tissus urbains préexistants se faisait au prix de multiples destructions pour le réaménagement du cadre bâti au service de la domination coloniale.

En ce sens, vu que la ville intra-muros de Khénifra n’était pas un espace largement bâti ,il s’agit d’un petit noyau constitué d’un ensemble très réduit de constructions (des fondouks essentiellement, qui sont aujourd’hui partiellement ou totalement en ruine et vides d’occupants) bâtis sur la rive droite de l’Oum Rabia, les constructions à la période coloniale se sont opérées, en dehors de toute destruction, il s’agit d’un tissu pavillonnaire diversifié essentiellement sur la rive gauche, qui sera exploité après l’indépendance en constituant le départ de l’émergence de Khénifra. Il s’agit notamment des équipements illustrés par la figure suivante :

Source : Restitution de Khénifra de 2007 et PA de Khénifra de 2014

A cette période, la ville de Khénifra avait connu un essor remarquable avec l’implantation du noyau d’une administration locale (Cercle des Zayanes, camp militaire, hôpital, service des travaux publics,...) et l’installation d’importants contingents de populations allochtones (civils et militaires). Selon les données disponibles, l’effectif de la population européenne qui s’élevait à 225 en 1931 est passé en 314 individus en 1936.

Force est de constater que cette période était marquée aussi par l’introduction des premières règles d’urbanisme de ségrégation qui avait pour objectif, la séparation des colons de la population indigène. En effet, au moment où les constructions se multiplièrent dans l’ancienne médina sur la rive droite de l’oued, le quartier administratif ainsi que le quartier des colons se construisirent sur la rive gauche. L’aspect architectural de ce quartier, comme le montre la photo suivante, renvoie à la conception urbanistique française qui le distingue des autres quartiers de la ville (Tajddine, 1975). De ce fait, la ville coloniale marocaine peut être considérée comme un laboratoire d’essais architecturaux et urbanistiques et un champ d’expérimentation des nouvelles pratiques et conceptions à faire développer (Arrif, 1993). L’urbanisation de la ville de Khénifra se poursuivit avec les constructions qui commencèrent au quartier Hamria, dont les premiers lots de terrain furent mis en vente en 1943.

Source : Prise de vue, Juin 2018

En somme, la période coloniale, comme celle qui l’a précédé, a légué un héritage difficile à gérer et des faits accomplis loin d’être dépassés (Adach, 2015). L’exemple frappant est celui de la caserne militaire implantée dans la partie centrale de la ville et qui contribue d’une manière assez nette, à coté d’Oued Oum Rabia, à la multiplication des discontinuités urbaines, et en particulier à la séparation de la partie nord de la ville de son centre.

1.3- Après l’indépendance : Un chantier actif

Le départ du colonisateur a constitué pour l’Etat marocain un coup du claquoir qui a déclenché des chantiers de réorganisation des villes marocaines selon des conceptions largement différentes à celles de l’architecture française (Marou, 2015). Or, l’extension postcoloniale de Khénifra qui correspondait à trois phases principales que nous allons essayer d’analyser par la suite, était caractérisée par l’abandon de l’architecture coloniale (les toits inclinés en tuiles), mais en dehors de toute destruction des édifices précités.