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MOBILITE SPATIALE A LA SEDENTARISATION ET NAISSANCE DE LA VILLE

1- Khénifra : Peuplement et ancrage territorial

L’importance des relations qu’entretient un périmètre montagnard avec les plaines limitrophes est une évidence. Depuis longtemps, les hommes ont largement tiré profit des ressources offertes par l’étroite interdépendance et de la complémentarité qui unissent ces deux espaces, et ce dans le cadre d’un mode de vie associé à une économie de subsistance : l’herbage des hauts pâturages durant la saison chaude, celui du Dir* ou des piémonts en hiver (Stoffel et al., 2002). Ces modes ont par conséquent, pu établir un équilibre certain des

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La transhumance est un type de mobilité très répandue au Maroc, et un genre de vie pastoral encore maintenue chez de nombreuses tribus berbères sédentaires de montagne de l’Atlas marocain (Mohamed Mahdi et Pablo Domínguez, 2009). C’est un système d'élevage fondé sur le déplacement de troupeaux de régions vers d'autres dont les périodes de végétation sont décalées en fonction des saisons ou en raison de climats différents; déplacement de troupeaux dans ces conditions; plus particulièrement, déplacement saisonnier, sous la conduite de bergers, de troupeaux (moutons, notamment) appartenant à des éleveurs de plaine vers les pâturages de montagne en été (transhumance directe, estivale, normale) ou de troupeaux appartenant à des éleveurs de montagne vers les pâturages de plaine en hiver (transhumance hivernale, inverse). Le contraste entre les plaines desséchées en été et les montagnes enneigées en hiver a fait du monde méditerranéen le domaine de prédilection de la transhumance (Wolkowitsch, 1966, p. 119).

écosystèmes en place et maintenir par la même occasion, celui entre les besoins des hommes et cheptel et les potentialités du milieu physique (Jennan, 1986).

Le Moyen Atlas se classe parmi les très nombreuses régions montagneuses marocaines, comme pays de transhumance par excellence. Celle-ci a été au départ abordée par les géographes dès le début du XXème siècle, en parlant de «nomadisme alpin » pour designer le mouvement alternatif et périodique des hommes et leurs troupeaux entre deux espaces géographiques, ayant des reliefs et des climats différents (montagne et plaine) (Celerier, 2017). Il convient de rappeler ici qu’à un temps récent, le Moyen Atlas sous ce nom est précisément inconnu: au moyen âge et à l’époque moderne, on ne dispose pas d’une nomenclature particulière pour l’ensemble du massif ; seul le terme de Fâzâz était utilisé pour désigner la partie occidentale du Moyen Atlas (Benhima , 2006). Cette dernière constitue la haute partie de l’espace vital des tribus Zayanes. Un espace qui s’étend de la grande cédrie d’Ajdir jusqu’au plateau d’Oulmès.

De surcroit, ces pratiques de déplacement permanent des populations et leurs bêtes, prennent tantôt la forme du semi-nomadisme, tantôt celle de la transhumance. L'espace, ainsi partagé, fonctionnait admirablement au rythme des saisons de l’année dans un déplacement persistant des populations et leurs troupeaux entre la montagne et ses prolongements de plaine, la première « le Jbel » servant de pâturages d'été, les secondes « l'Azaghar », de pâturages d'hiver (Jennan, 1996). La durée de séjour à la montagne varie avec l'altitude et le climat (Arbos et Lefebvre, 1928). Cette pratique de transhumance double semble bien être une spécificité du Maroc central (Benhima, 2006), dont fait partie le pays Zayane.

A partir de la moitié du siècle dernier, l’évolution de ce mode de pastoralisme est devenue spectaculaire. Elle est caractérisée par une rapide sédentarisation, une sensible limitation de fréquences des déplacements et une considérable réduction de parcours. Ces tendances amorcées par le colonisateur, qui tentait d’asseoir sa domination sur tout le territoire du pays, en limitant les déplacements des populations et leurs bêtes, vont continuer d’accélérer avec indépendance (Gerard, 1996). Le jeune Etat indépendant va prendre des mesures imposées par la conjoncture, en influençant la mobilité des transhumants et l’organisation pastorale traditionnelle, à savoir : le maillage administratif, la réduction des terres collectives au profit des terres domaniales, ou encore la mise en culture de nouvelles terres, pour le renforcement de la productivité. Toutes ces mesures vont se combiner en

donnant naissance à un autre mode d’organisation du pays Zayane, basé essentiellement sur la propriété individuelle.

1.1- Le mouvement des tribus Zayanes vers leur territoire actuel

En décrivant le peuplement de l’Atlas marocain, Jacques Berque (1978) disait : " être

de quelque part, c'est venir d'ailleurs"(p. 481). Or, selon les ressources disponibles, les

Zayanes font partie des Ait Oumalou (hommes de lumières), un rameau des Berbères Sanhaja. La rareté des sources ne nous permet pas de décrire avec précision leur mouvement. Mais de toute façon, leur migration s’inscrit dans un mouvement du Sud vers le Nord pendant la période précoloniale. Cette dernière a été caractérisée par la coexistence de « Bled El Makhzen » contrôlée par le pouvoir central et « Bled Siba » contrôlée par les tribus et la Zaouia.

Au moment où le pouvoir central manifeste une certaine puissance vis-à-vis des tribus, ces dernières restent bloquées dans leur territoire. Mais dès qu’il y a eu un certain relâchement de la part du pouvoir, les tribus partent à la découverte d’autres milieux plus fertiles et humides capables de résoudre le problème de surpeuplement, dû à la croissance démographique et à l’arrivée d’autres populations. Ainsi avant le XIème

siècle, elles se trouvaient parmi les Sanhaja du Sud entre Tafilalet et le Soudan. Au début du XIème siècle, les Zayanes apparurent dans l’histoire sous leur nom actuel, et ils commencèrent le mouvement vers le Nord, ce mouvement est arrêté par les Almohades (1147-1269) et les Mérinides (1286-1357), pour ne reprendre qu’à partir de la deuxième moitié du XIVème, à cause de l’arrivée au Maroc des tribus arabes, Beni Maaqil (Jari, 1999).

A cette époque, ils étaient entre le Tafilalet et les hautes vallées du Ziz et du Ghéris. Cette émigration qui a duré plus de deux siècles a amené les Zayanes à découvrir les richesses naturelles du Moyen Atlas, un climat doux, des terres fertiles et un pâturage abondant à ses pieds, l’Azaghar, pays des plateaux et vallées herbeuses et de l’eau abondante des sources et des oueds (Adach, 2015).

Mais, l’arrivée du sultan Moulay Ismail a provoqué un affaiblissement remarquable du pouvoir central, ses successeurs n’ont pas réussi à asseoir leur autorité sur les tribus pastorales. Ce relâchement a incité les tribus à reprendre leur mouvement. Le Maroc va devenir à cette époque le théâtre des guerres et des combats incessants entre les tribus récemment installées et les anciennes.

Ainsi, les Zayanes ont profité de cette situation pour se répandre dans l’Azaghar. Ils en ont chassé les Zaers d’Aguelmous, les Ait H’kem et les Ait Ammar de la région de Moulay Bouazza, ils ont repoussé enfin les Guerwan et les Ait N’Dhir vers le Saiss et les Zemmour vers l’Oued Beht. La conquête des Zayans de leur territoire actuel a été achevée vers la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème siècle.

1.2- L’organisation et l’ancrage territorial des tribus Zayanes

L’autochtonie, l'enracinement territorial, l’ancrage territorial, …etc, autant de termes aujourd’hui utilisés pour designer le rattachement de la tribu à son territoire qu’elle occupe, et qu’elle considère comme partie intégrante du soi, puisqu’il est symbole de ses origines, de ses racines, de son identité et plus particulièrement, de sa fierté. Elle tisse conséquemment, des relations étroites avec ce territoire dans le cadre de ce qu’on peut récemment, qualifier de "territorialité7". Une notion qui est nait avec l’organisation humaine sur différents territoires. Dans ce sens, la communauté traditionnelle marocaine était, depuis toujours, structurée en confédérations de tribus dont l’aire d’influence se limitait, le plus souvent, aux territoires qu’elles occupaient. Les tribus se composent elles-mêmes de fractions, organisées en douars habités par des lignages différents (Aderghal et Simenel, 2012).

Dans cette perspective, Khénifra a connu avant le début du siècle dernier, la prédominance des tribus zayanes qui ont étendu leur influence jusqu’aux limites du plateau central (Moulay Bouazza, Oulmès). En effet, l’organisation humaine dans le pays Zayane se basait sur la tribu. Cette dernière se compose de plusieurs fractions, vécues toujours groupées au sein des confédérationssuivantes:

La confédération des ait Oumalou : comprenant Ait Sgougou, Ibouhssoussen, Aït Bouhaddou , Zayane d'Oulmès (région amputée au territoire Zayane depuis la colonisation , elle est rattachée aux Zemmours) et la tribu Zayane, qui se compose des sous tribus.

"Malgré la discordance existant entre diverses littératures à propos des sous tribus formant la tribu des Zayanes, il y a une unanimité sur sa composition en seize sous tribus

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La territorialité est une modalité d’action par laquelle les individus composent collectivement un bien commun et l’éprouvent, par les relations qu’ils entretiennent ensemble avec l’extériorité, dans des modes de connaissances et de valorisation de l’espace qui leur sont propres et qu’ils partagent (Romain Lajarge, 2012).

rassemblées dans trois groupes tribaux qui sont Aït krat, Aït Harkat et Ibouhssoussen (Tableau3); en plus des tribus d’Ouled Sidi Bouâbbad et des Chorfa( Maalamat al maghreb)8

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Tableau 3: Groupes tribaux des Zayanes

Groupe tribal Aït Krat Aït Harkat Ibouhssoussen

Tribus

Aït Ammou Aissa Aït Chart Hammara

Aït Boumzil Aït Lahcen Ousaid Aït Rahhou

Aït Boumzough Aït Bouhammad Aït Faskat

Aït Bouhddou Aït Mai Aït Boukhayou

Aït Lahcen Ihbbaren Aït Cheg

Aït Haddou Ouhammou

Total 5 6 5

Source : Aadach, 2015 la confédération d'Ichkirn : Comprenant des tribus Aït Ishak et d'Aït Ihand.

Sur le plan spatial, les Zayanes occupent un territoire qui s’étend sur une longueur de 120 km allant du haut Srou dans le Moyen Atlas au sud-est jusqu’à la zone la plus étroite du plateau central entre les deux rivières de Bouregreg et Grou au nord-Ouest (Maalamat al maghreb) 9 (Fig.5).

En plus de ces groupements, on trouve d’autres fractions d’origine maraboutique dites localement «Chorfas» tels que les Bouaazaouines, les Mbarkienes (My Bouazza), les Aït Nouh, les Aït Taskart, les Aït Ali Ou Ammar (Kerrouchen), les Aït Sidi Bennacer, les Aït Sidi Ali Amhaouch (El Kebab) et les Aït Sidi Ali IMrabteienes à M’Rirt.

8 ةملعم برغلما ،

ص

4762

،

ةجمرت

9 ةملعم برغلما ،

ص

4762

،

ةجمرت

Source : Maâlamt Al Maghreb, 1982, revu

Fig. 5: Organisation ethno territoriale du pays Zayane

Le siège administratif des tribus de Khénifra était à Tiddar Izaiane (Photo1) sous la tutelle du service des affaires indigènes du temps de la colonisation.

Source : www.fr.wikipedia.org

Photo 1: Portail du siège administratif de Tiddar Izaiane

On peut donc constater que le peuplement de Khénifra a commencé avant la période du protectorat et s’est poursuivi tout au long de la même période et même après, tout en subissant la logique de la répartition tribale sur le territoire : les descendants de la confédération ait Oumalou à savoir les ait sgougou et les Ibouhssoussen occupent la partie nord de la ville, alors que la confédération d’Ichkiren comprenant les tribus des ait Ishaq et les ait Ihand occupent la partie sud.

Ainsi, Ben lahcen (1991) avait parlé du pays Zayane du point de vue physique et morphologique, en faisant apparaître deux zones visiblement distinctes, il s’agit:

- A l’ouest, de la zone des plateaux disséqués par oueds Grou, Beht et ses affluents dont l’altitude varie entre 1000 et 1600m (plateau de Ment, Telt). Il s’agit d’une région vallonnée, au climat doux, plus apte à l’élevage qu’à l’agriculture.

- A l’est, de l’étendue de la zone des hautes terres calcaires dont le relief domine fièrement la première. Elle offre des herbages verdoyants jusqu’au cœur de l’été, sur des terrains dénudés et dans la forêt.

Administrativement depuis le découpage de 1992, les Zayanes appartiennent au cercle de Khénifra (actuellement divisé en deux: Khénifra et Aguelmous) et se sont répartis, en plus

de la municipalité de Khénifra, sur 11 communes rurales (Fig. 6), à savoir Moha Ouhammou Zayani, Lehri, El Borj, Aguelmam Azegza, Aguelmous, Sidi Hcine, Sidi Amar, Sidi Lamine, Moulay Bouazza, Had Bouhssoussen et Sebt Ait Rahhou.

Source : Découpage communal, 2009, revu