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La société traditionnelle Zayane : pratiques de l’espace et préservation du milieu physique et de l’environnement

MOBILITE SPATIALE A LA SEDENTARISATION ET NAISSANCE DE LA VILLE

3- La société traditionnelle Zayane : pratiques de l’espace et préservation du milieu physique et de l’environnement

Tout d’abord, force est de constater que le concept de développement durable n’est pas nécessairement relié à l’idée de modernité ou de changement de pratiques. Par contre, les systèmes de production et les techniques d’utilisation et d’appropriation des ressources naturelles de certaines communautés traditionnelles peuvent être considérées également comme du "développement durable", tant que ces pratiques sont respectueuses de l’environnement et garantissent la préservation des ressources pour les générations futures (Thrupp, 1998).

3.1- Des pratiques conservatrices du milieu physique et de l’environnement

L’ensemble de savoirs et savoir-faire que détient une société traditionnelle sur son environnement physique, du fait d’avoir occupé un espace géographique donné pendant de nombreuses générations, contribue davantage au développement des pratiques conservatrices des ressources naturelles. Par ailleurs, les tribus zayanes comme toutes autres tribus de montagnes marocaines ayant occupées les régions du Moyen Atlas central, ont un caractère commun qui caractérise la société traditionnelle montagnard. C’est le développement des attitudes et pratiques face à leurs environnements et à l’exploitation rationnelle des ressources qu’ils recèlent. Elles géraient l’environnement, à bien des égards durables.

Evidemment, le déplacement des tribus Zayanes entre le Jbel et l’Azaghar est intimement lié à la disponibilité des ressources naturelles, il est dicté par la nécessité d’assurer les besoins en nourriture tant pour la population que pour le bétail, et ce, dans une logique de durabilité de ces ressources. Les pratiques relevant de ce mode de vie sont nombreuses : En se déplaçant entre les différents parcours au sein de leur finage, les transhumants donnent le temps suffisant aux ressources rares de se régénérer, d’où cette stratégie d’utilisation des pâturages par la mobilité. C’est une pratique qui a plusieurs avantages sur l’environnement : la mobilité permet de diminuer la pression, notamment sur les ressources rares, et de se donner l’occasion par conséquent de tirer profit de ces ressources sans risque de les faire disparaitre (El fasskaoui et Kagermeier, 2015). Dans ce sens, cette pratique émane d’un savoir et savoir-faire détenus par la communauté traditionnelle Zayane. Ils consistent d’abord, de respecter les temps de repos de différentes plantes utiles et ensuite, de ménager les ressources rares afin d’espérer un pâturage de qualité la saison suivante.

Egalement, l’habitat de ces collectivités traditionnelles suit cette «logique» environnementale. D’abord, la conscience vis-à-vis du respect de l’environnement et de l’usage durable du sol commence avec l’implantation du site de construction, le paysan zayane a toujours le souci de bâtir sa maison sur la parcelle de terre la plus pauvre pour laisser les plus riches à l’agriculture. Ensuite, il choisi les matériaux localement disponibles et écologiquement adaptés. La construction de leur habitat se faisait en moellon de pierres locales lié avec un mélange de la terre et de la paille (pisé), les murs sont épais, le sol non dallé pour assurer un confort thermique dans ces régions à climat continental (hiver très froid et été très chaud.

La préservation du milieu physique apparait également chez la société traditionnelle Zayane, à travers la gestion des déchets ménagers et d’animaux. En effet, les déchets produits de la préparation et de la consommation des aliments végétaux (épluchures de fruits et légumes) ne sont pas jetés dans la nature, par contre, ils sont habituellement servis comme alimentation aux bêtes et troupeaux. Tandis que les excréments de ces derniers se sont utilisés à la fois, pour la cuisson tout en évitant la déforestation, et comme engrais organique pour la fertilisation des terres agricoles.

Un autre aspect de gestion communautaire durable des ressources naturelles se manifeste à travers l’instauration des lois et règles internes (Izerfane) permettant l’utilisation rationnelle et équitable, des différents milieux et ressources (parcours, forets, eaux,...). Ce droit coutumier rigoureux a pris naissance de la conscience qu’avait la communauté traditionnelle Zayane à l’égard des préoccupations environnementales et de l’épuisement des ressources naturelles.

3.2- Les structures agraires dans le pays zayane et l’adaptation aux milieux

Pour René Lebeau, une structure agraire c’est "l’ensemble de liens durables et profonds entre l’homme et le sol, que traduisent les paysages ruraux. C’est une notion plus large que celles, purement descriptives, d’habitat rural et de morphologie agraire, une notion essentiellement explicative"(p. 11). En effet, l’espace rural Zayane comme ceux partout ailleurs, est aménagé par la communauté traditionnelle Zayane, selon des techniques d’appropriation de la terre très variées.Elle a donc tissé des relations avec cette terre qu'elle exploite depuis longtemps. Elle a ainsi créé des structures agraires qui se caractérisent, selon son mode de vie (Campement mobile ou fixe), par une certaine méthode d'organisation et d’exploitation de leur finage, d'où résultent les types d'habitat adaptés à chaque terroir (le Jbel et l’Azaghar), les formes des terres cultivées par terroir et encore, un système rationnel de gestion des ressources naturelles.

3.2.1-Le campement mobile

Avant le début du siècle dernier, comme il a été déjà signalé, les premières tribus zayanes ne pratiquaient pas la construction, de par leur caractère pastoral. Ils pratiquaient la transhumance entre le Jbel et l’Azaghar (Figure3). La "tente" était par conséquent, le moyen d’habiter le plus adapté à ce mode de vie.

Les terres cultivées10 n’ont pas nécessairement des limites physiques bien distinctes. Par conséquent, elles peuvent prendre des formes bien étendues, donnant lieu à un paysage agraire relativement indivisible et unique, qui pourrait des fois, être cultivé collectivement. Or, d’un premier regard global, on pourrait constater que cette communauté rurale accorde d’abord à la terre une valeur sociale et identitaire structurante sans pour autant inclure sa valorisation dans des règles d'appropriation restrictives (Aderghal et Simenel, 2012). Ce témoignage d’un vieux paysan Zayane est très éloquent dans ce sens : "Nous ascendants nous racontent que la valeur de la terre pour les anciens Zayanes transhumants, était affective et pas nécessairement matérielle, et tout le finage appartient en fin de compte à la tribu, et

qu’ils ont cultivé mutuellement pendant des années, leurs terres dans le cadre du « Touiza11

». Moi personnellement, mon père m’a raconté qu’en plus de notre terre, il a cultivé pas mal de fois, la terre d’Azaghar appartenant à mes cousins, pendant qu’ils s’occupent de notre terre de Jbel".

Dans une autre perspective, le campement mobile permet également, à la communauté traditionnelle Zayane, la gestion de son espace géographique en évitant les risques liés aux aléas naturels, autrement dit, les déplacements se font sur les terroirs en fonction des conditions climatiques (Fig.9). Or, "S’il neige dans un espace pastoral, les transhumants peuvent aller à un autre plus clément, ou si la sécheresse frappe les territoires de plaine, on se déplace vers les prairies de la montagne" (El fasskaoui et Kagermeier, 2015, p.4).

10

Les cultures se basaient essentiellement sur le blé et l’orge.

11

Source : Mhirit et Blerot ,1999

Fig. 9: Mouvement saisonnier des troupeaux (transhumance) dans le Moyen Atlas et le Plateau Central

3.2.1-Du campement mobile à l’habitat fixe

Pour asseoir sa politique de contrôle et de domination, il s’est avéré nécessaire pour le colonisateur français de réduire les fréquences de déplacements des tribus zayanes entre les deux terroirs. Suite à cette réduction, une grande partie de la population amazigh Zayane a tendance à se sédentariser, la construction en dur (Habitat fabriqué en terre : le pisé) se substitue aux tentes qui étaient les moyens d’habitat les plus adaptés au mode de déplacement des transhumants.

En effet, contrairement aux tribus du Haut et Anti Atlas qui vivaient dans des agglomérations regroupées appelés « Ksour », les tribus zayanes habitaient des maisons

dispersées. L’architecture des maisons est différente selon la zone. Le toit incliné en planche de bois et en tôle du Zinc caractérise l’habitat de la haute montagne (le Jbel) à hiver neigeux (Photo2). Cet aménagement relève d’une grande adaptation au milieu dans la mesure où il permet l’auto-évacuation de la neige. En ce sens, Amrani-Marrakchi (1987) affirme :

" Nous tenons à signaler un fait important concernant les matériaux de construction, surtout pour les toitures : avant le début des années soixante, d’après nos discussions avec les riverains des forets, en plus des droits d’usage (ramassage de bois mort et parcours dans les forets défensables) reconnus en tant que jouissance coutumière et ancestrale, les riverains avaient aussi la possibilité d’obtenir des planches pour les toitures de leur logement contre parfois, un prix symbolique. Ce commerce est remplacé de nos jours par celui des tôles. Il fleurit dans les petites agglomérations de cette région. Ce matériau récemment introduit dans les douars a même transformé la manière de construire les habitations. Auparavant, les toits en planches suffisaient pour que le logement ne se transforment pas en four à pain l’été et en glacière l’hiver. Les planches en effet permettent une certaine climatisation de la maison. Aujourd’hui, les paysans selon leurs moyens, construisent une maison à double toitures : un premier toit « léger » souvent perméable (roseaux, feuillage recouvert ou non de terre) et un second en tôle. L’interstice entre la tôle et le faux toit devient un grenier qui sert souvent de

dépôt de paille" (p. 335 et 337).

Source : Brigitte Folliot-Helen, 2015

Quant au terroir de la basse montagne (l’Azaghar), l’espace habité est généralement construit en pierres et pisé. Il est aujourd’hui remplacé par des maisons aux matériaux modernes comme le brique creux, ces nouvelles maisons ne sont pas adaptées au milieu, ce sont de véritables fournaises en été et de véritables frigos en hiver.

Cette forme d’habitat est clôturée par des arbres d’Eucalyptus Globulus souvent (Photo3). Ce genre d’arbres est facile à pousser, servant en même temps de protection contre les aléas climatiques (chaleur et vent) et de relie pour les bêtes (ânes et mulets). Les déchets de ces animaux fertilisent la terre et catalysent la poussée de ces arbres. Il faut noter aussi que ces derniers sont utilisés par la société traditionnelle zayane comme plantes médicinales pour lutter contre les inflammations des voies respiratoires et digestives.

Source : Prise de vue, Novembre 2018

Photo 3: Exemple de l’habitat d’Azaghar prés de la plaine alluviale

En termes de statistiques, Amrani-Marrakchi(1987) a déduit que les matériaux de construction des toitures, le bois, roseau ou feuillages recouverts parfois d’argile sont de loin, les matériaux les plus utilisés par la société traditionnelle zayane (84% au Jbel et 81% à Azaghar), et que l’uniformité et la simplicité des constructions dénotent une certaine absence de tradition de construction en dur chez les tribus zayanes, en comparaison avec le Haut Atlas,

le Rif ou même leurs voisins arabophones (Smaâla, Bni Khiranes, Bouâbadiyines) sur le plateau central.

Selon le même auteur, le matériau de construction le plus utilisé pour les murs dans les deux territoires du pays zayane (le Jbel et l’Azaghar) est la pierre agglomérée avec de la terre (67%), suivie de la pierre ou brique agglomérée avec du mortier (13,5%), puis la pierre sèche (2%), et le pisé (1%).

S’agissant des terres cultivées ou de pâturage, les limites des parcelles sont bien distinctes, avec un maillage très dense lié essentiellement, à la naissance de la propriété individuelle comme conséquence de la politique de sédentarisation amorcée par le colonisateur, et qui était suivie par le jeune Etat marocain pendant les premières années de l’indépendance. Les paysans Zayanes continuent de cultiver les mêmes types de cultures (Blé et orge) en donnant ainsi lieu à un paysage agraire uniforme.

Conclusion

En termes de ce chapitre, on retient que le territoire des Zayanes au sens large s'étend sur une région relativement vaste, allant du versant Est du Moyen-Atlas occidental jusqu’au plateau d’Oulmès. Cette large étendue et les différentes disparités géographiques et climatiques lui afférentes ont contribué à la constitution des finages étirés dans une direction Nord-Ouest/Sud-Est,et ont favorisé la formation d’un mode de vie et d’économie basé sur la complémentarité des terroirs et la mobilité au sein du finage. Ainsi, la vie des Zayanes a été toujours reposée sur l’élevage et peu d’agriculture, notamment la céréaliculture (Blé et orge). Ils étaient des éleveurs de bétail, tandis que l’agriculture ne constituait pour eux qu’une activité secondaire et complémentaire à celle du pastoralisme. Leur vie a été jusqu’aux débuts des années trente du siècle dernier, dominée par la transhumance entre le Jbel et l’Azaghar.

Au delà de la simple description des déplacements des tribus zayane entre ces deux territoires, l’analyse des finalités émanant de la logique de ces mouvements a fait dévoiler un aspect caché derrière. Il s’agit de la gestion durable des ressources naturelles.

En plus de l’adaptation aux conditions géographiques difficiles de la région, ces tribus ont largement développé des structures agraires et des modes d’utilisation des ressources naturelles, basés sur le respect absolu du fonctionnement des milieux physiques, en instaurant des lois régissant l’utilisation des parcours, des eaux, …etc. Le mode de transhumance fait

partie également, de cette gestion rationnelle des ressources naturelles, en laissant reposer respectivement, les deux pâturages (ceux du Jbel et d’Azaghar) durant l’hiver et l’été.

Avec l’avènement de la colonisation, ce mode de vie a disparu progressivement, et a cédé la place à la sédentarisation. Le colonisateur avait réduit les fréquences de déplacements des tribus zayanes entre les deux espaces. Ceci ayant poussé une grande partie de la population amazigh zayane à se sédentariser, et commencer la construction en dur. Ce nouveau mode d’habiter à donné lieu à un ensemble de transformations de l’organisation traditionnelle de l’espace : naissance d’agglomérations rurales reparties sur le territoire des Zayane, transformation des structures agraires.