• Aucun résultat trouvé

Lorsque Louis Dubuc se trouva à dix-neuf ans, une place à la ville, il était très heureux de laisser son village où la vie était si tranquille, si monotone, où il ne se passait jamais rien. En imagination, il entrevoyait une existence bien agréable, bien plaisante là-bas, où l’on gagne de l’argent avec lequel on peut s’acheter de beaux habits, où il y a tant de distractions et d’amusements. À cette heure, il envisageait l’avenir d’un cœur léger.

– Viens nous voir aussi souvent que tu le pourras, lui recommanda sa mère en l’embrassant et au regret de le voir s’éloigner.

– Écris-nous de temps à autre, fit le père en lui serrant la main.

– N’ayez pas peur, je ne vous oublierai pas, répondit le jeune homme.

– Achète-toi un beau bicycle, fit le jeune frère en manière d’adieu.

Et Louis Dubuc s’en fut à la ville. Il avait un modeste emploi où il travaillait ferme mais où il ne rencontrait pas beaucoup de bienveillance ni de sympathie. Pas de camaraderie comme au village. Étranger. Là, chacun pour soi. Toutefois, il se fit à cette vie, prenant lui aussi la même attitude à l’égard des autres. Évidemment, la réalité était différente de ce qu’il avait rêvé, mais il était satisfait.

Il fut longtemps sans retourner au village et il n’écrivait pas fréquemment. Bien souvent, par de beaux dimanches d’été, sa mère attendit en vain le fils parti à la ville.

Des années s’écoulèrent et, comme il gagnait maintenant un salaire raisonnable, il se maria.

Bientôt, il commença à trouver qu’il en coûte plus pour vivre deux que seul. Tout de même, il réussissait à subvenir aux besoins du ménage.

Puis, un garçon et une fille entrèrent dans la maison. L’on formait une famille de quatre personnes. Parfois, le soir, en voyant jouer les

petits, l’homme songeait à ses vieux qui achevaient leur vie au village.

Louis Dubuc se rendait compte de ses responsabilités et il ne faisait guère d’extravagances pour lui-même, car il aurait voulu économiser pour plus tard, afin d’aller finir ses jours au village de son enfance, mais c’était difficile, car souvent, sa femme répétait : Il faut vivre comme du monde ; il faut faire comme les autres. Et c’était cette ambition de l’épouse qui mangeait le salaire. Des jours, il se demandait ce qui arriverait s’il tombait malade ou s’il perdait son emploi. Cette pensée le rendait malheureux, bien qu’il ne redoutât pas telle catastrophe.

Les enfants grandissaient. Puis, la vieille mère en campagne mourut et, un an plus tard, ce fut le père. Le frère resté là-bas hérita de la maison paternelle.

Comme il fallait vivre comme du monde, faire comme les autres, l’on acheta une automobile et le dimanche, l’on faisait un petit voyage avec les jeunes. Parfois, l’on allait au village de M. Dubuc et l’on mangeait chez le frère, maintenant marié à

son tour. Des anciens qui voyaient le visiteur disaient : « Tiens, je ne me trompe pas, c’est Louis Dubuc, de la ville. Il a une belle voiture, hein ? »

– Oui, il a une bonne place et il est à l’aise aujourd’hui. Il vit bien, ajoutait un autre.

Vêtue d’une toilette tapageuse, Mme Dubuc était flattée, bien heureuse, lorsqu’elle entendait une remarque de ce genre.

Ça passe vite les années. Louis Dubuc commençait à grisonner. Sa femme aussi, mais elle se teignait les cheveux, voulant continuer à paraître jeune. On vivait comme du monde, on faisait comme les autres, mais tout le salaire y passait.

Puis, un jour, qu’il avait été injustement traité, Dubuc éprouva un grand sentiment de lassitude et de dégoût. Depuis si longtemps, il était à la tâche et sous les ordres des autres, il aspirait à la libération et à l’indépendance. Il songeait à la douceur et au contentement qu’il goûterait à se reposer dans le petit village de son enfance, à cultiver un bout de jardin, à pêcher l’achigan sur

les bords de la rivière qui traverse la région. C’est dangereux ces idées là pour un homme qui n’a pas le sou. Elles ne l’aident pas à réaliser le désir qu’il éprouve et elles lui rendent la besogne plus dure, la vie plus amère. Ce n’est pas l’oreiller qu’il faut pour dormir en paix. Être mécontent de son sort, c’est bien triste.

Finir ses jours dans son village. Ce rêve lui était venu comme une maladie qui, insidieusement, se glisse en vous et mine votre organisme. Souvent, il y pensait le soir. Il prenait son journal pour le lire, mais au lieu de cela, il songeait et, en imagination, il voyait un ermitage à côté duquel fleurissaient des lilas et des boules-de-neige. En vieillissant, il devenait bucolique.

Mais de rêver à la campagne, d’évoquer une petite maison à soi, une petite maison blanche avec des volets verts, ça ne donne pas de pain. Il fallait se lever chaque matin, se rendre au travail, exécuter la corvée quotidienne, remâcher le soir avec amertume, dans une vaine révolte, les avanies de la journée, dormir d’un sommeil troublé, pour se remettre le lendemain sous le

joug. Cela chaque semaine, chaque mois, d’une année à l’autre. Maintenant, sa femme était bien démolie, plus belle à voir, mais elle continuait de teindre ses cheveux, de se peindre la figure et les ongles et de porter des toilettes de petite jeune.

Lui, parfois, il avait des pantalons rapiécés.

Lorsqu’il était assis sur sa chaise, ça ne paraissait pas.

Sûr qu’il était fatigué. Fatigué du travail et fatigué des remarques blessantes, des reproches cruels et grossiers. Ah ! pouvoir dételer, pouvoir se reposer, aller vivre dans le village de son enfance ! Justement, un jour, il apprit que le père Levert, l’un des anciens de la place était mort et que sa maison, voisine du boulanger, était à vendre. Certes, ce n’était pas un palais, mais quand on se fait vieux, on devient moins exigeant, plus accommodant. Puis, il avait toujours aimé ça, lui, Dubuc, l’odeur du pain qui cuit, cette bonne odeur qui fait venir l’appétit et que l’on aspire à pleines narines. Ça ferait son bonheur cette demeure où le père Levert avait vécu toute sa vie. Il s’informa du prix et, sous le coup de l’impulsion, vendit son auto, retira de la