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L’on a conduit ce matin au cimetière la pauvre madame Dumet morte à trente-huit ans et qui laisse un mari éploré, bien malheureux, tout perdu dans sa peine et trois enfants de dix, huit et six ans. Quand la mère s’en va, c’est bien triste, bien regrettable. Et dire que cela est le résultat d’un drame qui s’est produit à l’hôpital.

Sa maladie à cette femme, ça avait commencé par un malaise. Des malaises tout le monde en éprouve un jour ou l’autre et il n’y a pas lieu de s’alarmer, car d’ordinaire, ils viennent puis ils disparaissent. Celui de Mme Dumet n’avait pas disparu. Il avait continué. Elle s’en ressentait chaque jour. Puis, il s’était aggravé. La sensation était devenue plus douloureuse. Alors inquiète, la femme avait parlé de la chose à son mari qui avait tenté de la rassurer. Mais elle s’en apercevait, elle le constatait, le mal augmentait.

C’était sûrement une maladie. Tout de même, elle avait temporisé, des semaines, des mois.

Finalement, un jour, elle était allée voir un médecin. Celui-ci l’avait longuement interrogée, puis examinée et, après un silence avait déclaré : C’est ce que j’avais supposé tout d’abord. C’est une tumeur.

Et comme conclusion, il avait ajouté : Il faudrait l’enlever.

La femme resta silencieuse, bien abattue, comme l’accusé qui entend le juge le déclarer coupable. En elle-même, elle songeait qu’il y en a qui meurent des suites d’une opération et elle pensait aussi à tout l’argent que cela coûterait, car le ménage n’était pas riche.

Après lui avoir donné un moment pour se remettre de son émoi, le médecin a intimé : Il faudrait que ça se fasse sans tarder, car plus vous attendez, plus ce sera dangereux.

Quand vous avez un mari et trois jeunes enfants et que vous envisagez la possibilité de disparaître, de les laisser seuls dans la vie, c’est bien pénible. Quand il s’agit d’une question de

vie ou de mort vous ne prenez pas une décision en une minute. Vous voulez avoir du temps pour réfléchir un peu. La perspective de vous étendre sur une table d’opération, c’est un terrible cauchemar.

– Si vous voulez, je pourrais m’informer s’il y a un lit disponible à l’hôpital...

– Quel hôpital ? demanda-t-elle d’un ton plaintif, car elle était bien découragée.

– Bien, à l’hôpital Notre-Dame. Vous auriez là de très bons soins.

– Dans tous les cas, je vais en parler à mon mari.

Le pauvre mari ne pouvait que s’apitoyer sur le sort de sa femme et passer par ce que disait le médecin.

– Puisqu’il le faut, dis-lui qu’il te retienne une chambre à l’hôpital Notre-Dame, recommanda-t-il.

Mais justement, ce jour-là, une cousine de Mme Dumet vint la voir. Mise au courant de l’affaire, elle offrit son avis.

– Pourquoi aller à l’hôpital Notre-Dame ? C’est toujours plein de malades et les médecins et les gardes sont tellement pris qu’ils n’ont presque pas le temps de s’occuper de toi et de te donner les soins requis. Moi, à ta place, j’irais dans un hôpital privé, à l’hôpital Mesnaire par exemple.

Là, il n’y a que douze chambres. Alors, l’on s’occupe de toi, tu n’es pas abandonnée et puis, ça te coûterait moins cher. J’ai une amie qui est allée là. Elle a été très satisfaite et tout ce qu’elle a payé, c’est deux piastres et demie par jour.

Et c’est ainsi, sur le conseil d’une étrangère que le destin de la pauvre femme s’est accompli.

Elle s’est rendue à l’hôpital Mesnaire et, suivant le rite usuel, on l’a conduite à la salle d’opération et le chirurgien lui a fait une longue incision, une large entaille, et lui a enlevé sa tumeur, une masse rouge foncé, glaireuse, du volume d’une grosse éponge et molle également.

Une personne ignorante aurait pu croire que c’était là un cœur de bœuf. Après l’avoir débarrassée de cette malsaine croissance, l’homme a soigneusement recousu la coupure,

fermé la plaie. Ensuite, la malade encore endormie, a été transportée dans son lit où elle a lentement repris connaissance. Mais elle était faible, bien faible, Mme Dumet. Tout de même, elle en réchapperait, avait assuré le praticien au mari.

– Ce que je veux dire, expliqua-t-il, c’est qu’elle guérira s’il ne survient pas de complications inattendues.

Pendant le jour, la garde rendait visite à la patiente à toutes les heures. Le médecin passait le matin et l’après-midi. L’opérée restait extrêmement faible. Il y avait trois jours qu’on lui avait enlevé sa tumeur. Elle n’empirait pas, mais elle ne prenait pas de mieux. « La nuit j’ai peur et je ne sais que faire », déclara-t-elle à la garde.

– Tiens, je vais vous laisser une petite cloche et si vous avez besoin de moi, sonnez et je viendrai.

Ne vous gênez pas.

La nuit durait déjà depuis quelques heures ; des malades sommeillaient, d’autres étendus sur leur couche gémissaient sourdement, souffraient dans toute leur chair, un autre agonisait. La pauvre

Mme Dumet se sentait terriblement mal, elle avait peur de mourir et elle éprouvait une angoisse indicible. Il lui semblait qu’elle s’en allait, qu’elle sombrait et elle voulait désespérément se raccrocher à quelque chose. Alors, en tâtonnant, sa main chercha la clochette et faiblement, car elle n’avait plus de force, elle se mit à sonner.

Quelques instants s’écoulèrent, mais personne ne vint. Allait-elle mourir seule dans la nuit ? Alors, d’une main molle elle sonna de nouveau. Soudain la porte de la chambre s’ouvrit et un homme se précipita vers le lit, se rua sur elle, arracha les couvertures, mettant son corps à nu et tenta de la violer. Dans une terreur sans nom, elle se mit à crier, à crier désespérément pendant que le l’homme aux bras et à une jambe et tirèrent pour lui faire lâcher prise, mais celui-ci était comme

un chien qui ne veut pas abandonner son os. Un médecin arriva et, à coups de poings, mâta la brute. On reconnut l’homme. C’était un fou qui avait été amené à l’hôpital afin de lui faire suivre un traitement.

Et sous la violence de l’attaque, l’entaille faite par le chirurgien pour enlever la tumeur s’était rouverte, la chair était déchirée et le sang coulait abondamment, rougissait le lit. Alors, malgré tous les efforts faits pour la sauver, la pauvre femme est morte au matin sans avoir repris connaissance.