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Ce personnage rencontré dans une croisière est venu me rendre visite un soir. Il est notaire, mais comme il possède un revenu et n’est pas astreint à gagner sa vie, il n’exerce pas sa profession.

Toutefois, il aime bien qu’on le nomme notaire.

En entrant, jetant un coup d’œil circulaire autour de la pièce et voyant les tableaux qui recouvrent les murs, il constate :

– Il y en a des cadres à épousseter dans cette maison !

Nouveau coup d’œil et il s’exclame : – Maudit verrat ! Il y en a des livres ici.

Et tout de suite :

– Vous permettez que je regarde ça ? – Mais faites, je vous prie.

Il avise un gros volume et le prend.

– Baudelaire, dis-je.

– Les Fleurs du mal. Ça doit être cochon, hein ?

Pauvre Baudelaire ! – Ah ! c’est des vers.

Il lit une strophe, puis se met à compter les syllabes.

– Maudit verrat ! Douze pieds. C’est correct, ça.

Il lit une autre strophe et compte de nouveau.

Alors, d’un ton admiratif :

– Douze pieds ! C’est un poète qui connaît son affaire, ça, hein ?

Le visiteur avise un rayon meublé de volumes à reliures uniformes.

– Ça, c’est tout par le même écrivain ? – Oui, ce sont les contes de Maupassant.

– Ah ! oui, Mupisant.

Et il prend un bouquin.

– Il en a écrit des livres ce Moupesant. Est-ce

bon ?

– Ça se lit.

– Oui ? Puis, est-ce que vous avez lu tous les livres qu’il y a ici ?

– Oh ! j’en ai lu quelques-uns.

– Vous, vous n’avez jamais pensé à écrire un livre ?

Alors avec un sérieux imperturbable :

– Allons, la vie est bien trop importante pour perdre son temps à de pareilles vétilles.

– Maudit verrat ! Vous avez bien raison.

– Encore, si ça rapportait quelque chose, dis-je.

– Oui, si ça rapportait quelques piastres, ça vaudrait la peine.

Une pause.

– Les Canadiens, ils n’ont rien fait de bon, rien produit de remarquable, hein ?

– Vous le dites.

– Moi, j’aimerais ça à avoir une bibliothèque.

Ça meuble bien. Si j’en trouvais une, je

l’achèterais.

– Excellente idée.

– Moi, j’ai eu un ami qui en avait une belle bibliothèque. Tous des gros livres. Il en prenait un. Ça paraissait un livre, mais ce n’était pas un livre. C’était une boîte qui avait la forme et l’apparence d’un livre, et, dans la boîte, il y avait une bouteille de whiskey, de brandy, de rhum.

Dans sa bibliothèque, il y avait toutes les liqueurs possibles. Maudit verrat ! On ne s’ennuyait pas chez lui.

Après une pause, il ajoute : – Il est mort.

Au moment de partir :

– Un de ces jours, je viendrai vous emprunter un livre, hein ?

Le voyageur

Après avoir fait une fortune de plus de huit cent mille piastres dans les renardières, un brave citoyen des environs de Québec s’était retiré des affaires et vivait dans une luxueuse maison sur la Grande Allée. Et chaque après-midi, pendant la belle saison, il faisait une promenade de digestion en fumant son cigare sur la terrasse Frontenac. Et c’est là qu’il entendit parler d’une croisière autour du monde. Le départ devait se faire dans quelques semaines. Comme il s’ennuyait parfois au milieu de ses loisirs, notre richard crut que ce serait là une belle distraction. Après avoir pensé à la chose toute une journée, il acheta son billet, et, un beau jour, il s’embarqua sur un grand bateau blanc avec une foule d’autres gens qui s’étaient aussi enrichis dans des négoces, des industries, ou simplement en volant les gens crédules et simples qui encombrent la machine ronde.

Pendant quatre mois, notre négociant fortuné et

ses compagnons traversèrent maints pays d’Europe, d’Asie et d’Afrique. Ils visitèrent près de cent villes, virent les sanctuaires et les cathédrales érigés par les siècles de foi, les temples les plus célèbres. Ils pénétrèrent dans les châteaux, les palais, les grands musées, ils contemplèrent les ruines et les monuments d’art des plus antiques civilisations. Le citoyen de la Grande Allée voyait toutes ces merveilles. Il parcourait les endroits sacrés de l’humanité, les endroits qui furent le berceau des religions de tant de races, les terres de miracles, les lieux de pèlerinages. Pendant quatre mois entiers, il foula les régions les plus fameuses du globe. Puis, un soir, la croisière prit fin et il rentra chez lui. Il retourna à sa confortable résidence de la Grande Allée et il reprit ses promenades de digestion sur la terrasse Frontenac, au cours desquelles, il fumait lentement son cigare en évoquant des souvenirs...

Et un jour, il rencontra un ami qui se mit à lui parler de son voyage, à l’interroger sur ce qu’il avait vu. L’autre citait des noms de villes, d’autres noms, mais sans enthousiasme. L’ami

l’écoutait.

– Enfin, demanda-t-il, qu’est-ce que tu as trouvé de plus beau dans ta croisière ?

Alors, lançant au loin son mégot, une lueur dans le regard et du ton convaincu d’un homme qui affirme sa préférence :

– Je vais te dire, ce que j’ai trouvé de plus épatant c’est au Zoo de New-York. Tiens, j’te mens pas, il y a là des éléphants qui ch... des bouses grosses comme ça !

Et d’un geste arrondi des mains et des deux bras il désignait quelque chose comme une borne imposante.