• Aucun résultat trouvé

La vie en Ehpa et la diversité des modes de vies à la retraite

1.3 Les modes de vie et d’alimentation en foyer-logement

1.3.2 La vie en Ehpa et la diversité des modes de vies à la retraite

privilégié les approches typologiques, que ce soit en domicile ordinaire, en maison de retraite ou en Ehpa. Ces modèles ont pour ambition de montrer les liens entre les activités des retraités et leurs systèmes de valeurs, ceux-ci étant au principe de leurs pratiques sociales, et, d’autre part, la diversité des manières de vivre sa retraite en fonction de l’appartenance sociale. D’autres typologies portent plus spécifiquement sur les modes d’adaptation à la mobilité résidentielle en établissement pour personnes âgées. Si ces études ne portent pas directement sur les pratiques alimentaires des personnes âgées en foyer-logement, elles renseignent sur la diversité des styles de vie après la retraite en domicile et en institution. Or, il s’avère que les travaux en sociologie de l’alimentation ont montré le poids des styles de vie sur les pratiques alimentaires.

L’une des études les plus connues sur les pratiques sociales des retraités est celle de Guillemard (1972). Elle s’intéresse à leur rapport à la consommation et la production, et à leur relation à leur être biologique et social. Elle dégage cinq manières d’être à la retraite. La première est la « retraite-participation », elle suppose l’adhésion à la société, les personnes ont la volonté de continuer à se tenir informé de l’actualité et de participer au monde tel qu’il est. Les personnes en « retraite-revendication » militent dans des associations de retraités pour améliorer la condition sociale des personnes âgées dans la société. La « retraite-troisième âge » consiste à remplacer l’activité professionnelle par de nouvelles activités productives, tels que le jardinage, ou des loisirs qui permettent aussi de s’insérer dans un nouveau groupe de sociabilité. Dans la « retraite-retrait », les personnes âgées se replient sur l’espace domestique,

participent peu à des activités collectives et s’occupent essentiellement de leurs besoins biologiques et fonctionnels. La « retraite consommation » est divisée en deux sous-types : soit la « retraite-loisirs » où les personnes considèrent la consommation de loisirs comme un dû après une vie de travail ; soit la « retraite-famille » où les personnes s’investissent dans le maintien de leurs liens familiaux.

Dans les années 1980, Lalive d’Epinay détermine six catégories de liens entre systèmes de valeurs et styles de vie à la retraite. Le premier est celui des classes populaires rurales, où les personnes maintiennent leurs activités habituelles, à un rythme moins soutenu. Ils sont attachés à leur village et au mode de vie rural, ainsi qu’aux valeurs religieuses qui leur font condamner les modes de vie modernes. Le deuxième style de vie concerne les classes populaires urbaines, il se caractérise par un « hédonisme stoïque ». Les personnes consacrent leur temps à leur famille, elles savourent le moment présent et acceptent les problèmes de la vie comme des impondérables. Les « petits possédants », anciens employés de bureau ou petits indépendants composent le troisième type. Ils se montrent distants vis-à-vis de la société qu’ils jugent décadente, et leurs relations se limitent à la famille. Les cadres supérieurs, formant le quatrième type, s’investissent à la retraite dans une association, valorisant le travail, l’effort et l’intelligence. S’ils ne peuvent trouver une activité leur permettant de remplacer leur ancienne activité productive, ils assimilent la retraite à une « mort sociale ». Les retraités bourgeois sont soucieux de maintenir leur rang, ils investissent fortement la famille et les associations. Enfin, dans le dernier type correspondant à la petite bourgeoisie intellectuelle, les retraités défendent des valeurs humanistes ou religieuses. Ils ont de nombreuses activités dans les secteurs sociaux et culturels, et une forte participation à la collectivité.

Delbès et Gaymu (2003) ont réalisé une étude sur les styles de vie à la retraite en contactant des répondants d’une première enquête menée quinze ans plus tôt. Elles ont établi une typologie à partir de trois axes. Le premier concerne le nombre et la diversité des activités, le deuxième distingue les activités anciennes et les nouvelles, le troisième porte sur le niveau et la forme de sociabilité des pratiques (familiale, amicale, ou associative par exemple). Elles ont fait émerger cinq types de retraites, qui croisent catégories socioprofessionnelles et genres. Le premier type est celui de la « retraite-loisirs », qui concerne surtout des cadres et des employés, et se retrouve davantage chez les femmes que les hommes. Les personnes en « retraite-loisirs » ont de nombreuses activités, diversifiées, et s’engagent dans de nouvelles, avec une place pour les engagements associatifs. Les retraités en « retraite conviviale », le deuxième type, sont pour la plupart des hommes ouvriers, qui maintiennent de nombreuses pratiques, qui leur sont

habituelles, et qui leur permettent de conserver une forte sociabilité familiale, amicale et associative. La « retraite intimiste » correspond également à des hommes ouvriers en majorité, qui, s’ils conservent aussi leurs pratiques antérieures, sont moins engagés et ont une sociabilité moins dense. La « retraite retranchée » concerne des cadres, des femmes et des personnes seules, qui conservent leurs activités antérieures, avec une sociabilité moyenne tournée essentiellement vers la famille. Dans le dernier type, on trouve surtout des employés, des ouvriers, des femmes et des personnes seules. Les activités sont très peu nombreuses et la sociabilité y est très réduite, il s’agit de la « retraite abandon ».

D’une étude à l’autre, on retrouve des traits communs à certains groupes de retraités. La « retraite-retrait » de Guillemard (1972°, et la « retraite-abandon » de Delbès et Gaymu (2003) ont des caractéristiques très proches, dessinant un style de vie récurrent chez les retraités, plutôt lié à des origines sociales modestes. A l’inverse, on voit apparaître des groupes de retraités ayant une vie sociale active et tournée vers la participation, sur différents modes, tels que les activités associatives, les échanges avec les familles, les engagements associatifs, ou encore la consommation et les loisirs.

En ce qui concerne les modes de vie en institution, on trouve des travaux qui s’intéressent davantage aux modes d’adaptation à la vie en collectivité dans un nouveau contexte. Dans son ouvrage sur la vie en maison de retraite, Mallon (2001) propose une typologie des manières de s’adapter à la vie en institution, c'est-à-dire quel rapport à la communauté et au collectif les personnes entretiennent, et à quelles conditions elles peuvent reconstruire le sentiment d’être chez elle dans ce nouveau contexte. Elle met en rapport l'organisation de l'existence dans l'institution par l'investissement ou le non-investissement des espaces à la fois privés et collectifs, et hors de l'institution avec la relation que la personne entretient avec l’institution, qu’elle l'instrumentalise ou au contraire qu’elle s’y soumette. Il en ressort que les personnes ont quatre façons de vivre en maison de retraite : la première est l'intégration dans la communauté des résidents, la deuxième est la reconstitution d'une existence conforme à ce qu’elle était auparavant, la troisième consiste à résister aux contraintes institutionnelles et la quatrième repose sur la fuite hors du lieu. Ainsi, selon l’auteure, certains résidents parviennent à recréer un monde personnel en maison de retraite en s'investissant dans l'univers nouveau de la maison de retraite, dans toutes les activités proposées par l'institution. Ils peuvent le faire en tant que simple participant des loisirs, des clubs et des sorties, soit comme animateurs. De cette manière, ces résidents se sentent chez eux également dans les espaces collectifs, dont ils sont familiers. Au contraire, d’autres résidents préfèrent mener une existence tournée vers leur espace

personnel et la préservation de leurs habitudes. Enfin, certaines personnes n'arrivent pas à s'adapter à la vie dans l'institution. Elles ne parviennent pas à reconstruire un univers familier et stable, pour se sentir chez elles.

Concernant les modes de vie en Ehpa (qu’on les appelle EERPA ou habitats intermédiaires), postérieurs à la réforme dite de la tarification de 1999, les travaux montrent qu’ils sont très hétérogènes, et que les caractéristiques sociales des personnes ont un poids important. Selon Nowik (2018), il y a trois façons de vieillir en habitat intermédiaire qui peuvent être considérées comme trois illustrations des notions d'emprise, de reprise et de déprise. La première est une logique d'anticipation et de prévention du vieillissement individuel. Dans ce groupe, les femmes vivant seules et « dotées d’un capital culturel ou social supérieur à la moyenne, sont surreprésentées ». La deuxième est une logique d'adaptation aux difficultés provoquées par le vieillissement. Le déménagement a été imposé par la situation, mais il a été bien accepté. Cette situation serait celle de la majorité des personnes rencontrées au cours de son enquête. La troisième façon de vieillir en établissement pour personnes âgées correspond à une « bifurcation résidentielle précipitée, sous la pression de proches ou par une situation de rupture : accident, veuvage, ... ». Dans cette catégorie, les personnes sont issues de catégories sociales moins favorisées, et « disposent de moins de ressources sociales pour s’adapter à un mode d’habiter qui valorise les supports relationnels (Caradec, 2010) : les contraintes du collectif l’emportent sur l’intérêt que la dimension collective des lieux est censée offrir pour soutenir le vieillissement individuel. » De ce fait, elles se replient davantage sur le domicile privé, et ont des difficultés à s'intégrer au collectif. L’auteur tire une conclusion similaire à celle de Bacconier et alt (2018), dans le sens où les personnes ne tirent pas profit de la même manière des services proposés, selon les raisons d'emménager et d'autres facteurs, tels la santé, les capitaux relationnels. En outre, le parcours antérieur et les raisons d’emménagement affectent la façon d’être au sein de l’établissement (Thalineau, 2012).

Les sociétés et associations gérants d’Ehpa élaborent également des typologies sur leurs habitants, qui pointent la diversité des modes de vie des résidents, et des degrés d’engagements variés dans la vie sociale des établissements. La typologie suivante, citée par Bacconier et al. (2018) montre qu’il y a, selon l’étude menée par le bailleur, quatre catégories de résidents : « La catégorie des « réservés », estimée aux deux tiers des habitants, rassemble les individus qui, systématiquement et pour des raisons très variables, déclinent toute participation aux activités proposées. Dans une posture de retrait de la vie sociale bien plus marquée, on trouve les « isolés », qui vivent très repliés sur leur logement. À l’opposé, il y a les « moteurs » : c’est le noyau

dur des participants, ceux qui font toutes les animations. Ils sont très peu nombreux mais il y en a toujours quelques-uns par résidence. Enfin, il y a les « extérieurs », c’est-à-dire des résidents qui continuent à avoir une sociabilité et des activités mais à l’extérieur de la résidence et qui participent seulement aux animations événementielles de cette dernière. ». Ici encore, on retrouve des modes de vie de type « retraite-retrait » ou d’autres plutôt proches de la « retraite- loisirs ».

Des personnes les plus investies dans la vie collective des établissements, aux postures les plus repliées sur l’espace privé, il existe donc un continuum de façons de vivre au sein de ces établissements. Les résidents participent aux activités proposées et font appel aux services de manière très inégale. Cet état de fait vient du caractère facultatif, optionnel, de l’ensemble des services et activités disponibles. Concernant la participation sociale aux activités collectives « l’âge et le degré d’autonomie des individus constituent des facteurs discriminants en termes de participation aux animations et sorties, donc de sociabilité et de mode de vie » (Baconnier et al., 2018, page 213). D’après les auteurs, il y a parmi les résidents, des personnes « encore en pleine possession de leurs moyens qui veulent continuer à profiter de leur indépendance pour développer un mode de vie largement autonomisé par rapport à celui suggéré par l’équipe d’animation. », dans le même ordre d’idée que les retraités dans l’ouvrage de Mallon (2001), qui mènent une vie « normale » à leur sens. Il est à noter que le quartier dans lequel l’établissement est implanté, avec les équipements disponibles (transports en commun proches, ou des bancs pour s’asseoir), les commerces et les services accessibles, participe de la variété des modes de vie en établissement pour personnes âgées (Baconnier-Baylet, Chaudet et Madoré, 2018). D’autre part, le sentiment de se sentir chez soi (Thalineau, 2012) résulte de la possibilité pour les résidents de définir les « frontières de leur intimité́ » en contrôlant les entrées dans leur appartement. Il faut notamment qu’elles aient pu y mettre leurs meubles et leurs objets, « associés à des évènements ayant marqué leur parcours personnel ».

1.3.3 Les effets du vieillissement sur l’alimentation et les manières