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Chapitre 2 – Sur la trace des loups : loups rencontrés, loups racontés

2.3. Portraits de loups à partir de récits humains

2.3.5. Victime de prédation

Dans cette réalité « sans pitié », les loups peuvent parfois aller jusqu’au cannibalisme. Sur ce point, l’ensemble de mes interlocuteurs s’accordent à dire qu’ils peuvent manger leurs louveteaux s’ils n’ont pas les ressources suffisantes pour se nourrir et les nourrir. Rappelons- nous cette phrase que me répétaient les Gwich’in « ils mangeront n’importe quoi pour

13 Les calving grounds se trouvent dans l’Arctic National Wildlife Refuge (ANWR), un lieu qui se retrouve très

menacé dernièrement avec les ambitions pétrolières et environnementales du nouveau gouvernement et pour lesquels l’ensemble des Gwich’in se mobilisent grandement, se rendant régulièrement à Washington pour sensibiliser les politiciens à cette cause.

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survivre ». En plus de leurs louveteaux, les loups peuvent donc aussi parfois s’en prendre à un loup malade ou trop vieux. Un vieux trappeur de Dawson me racontait qu’une fois, une meute se déplaçait le long d’une ligne de trappe. L’un d’entre eux s’était fait piéger dans un collet et les autres loups ont alors tué et mangé ce loup prisonnier. Il a tiré ces déductions d’après les traces laissées dans la neige. La ligne de trappe constitue d’ailleurs une relation intéressante entre loups et humains. Des stratégies sont déployées, et cela s’apparente à un jeu. Parfois on perd, parfois on gagne. Ainsi si les loups peuvent parfois se faire piéger au collet ou trapper, tandis que certains profitent aussi des lignes de trappes pour faire leurs provisions et récolter les quelques prisonniers capturés avant le trappeur.

En effet, cette impitoyabilité n’est pas seulement le lot des loups entre eux, elle existe aussi avec les autres prédateurs. Quelques récits interpellant m’ont été partagés à propos de relations si singulières. La première entre un carcajou et une petite meute et m’a été conté par un aîné gwich’in. « Les loups avaient chassé un orignal. Une fois la bête à terre, ceux-ci se sont régalés d’un premier repas avant d’aller prendre un peu de repos. « Une fois qu’ils ont l’estomac plein, ils ne peuvent plus rien faire, ils doivent se reposer », me disait Bob Hayes. Tandis que ceux-ci se reposaient, un carcajou est venu s’emparer de la carcasse littéralement. Il s’est caché à l’intérieur de la carcasse, et menacé les loups chaque fois qu’ils ont tenté de revenir. L’ensemble de mes interlocuteurs s’accorde à dire que loups et carcajous ne prenaient pas tellement le risque de s’affronter car, si les loups sont effectivement plus forts, les carcajous sont plus fourbes et tenaces. Bien il a réussi à garder ces carcasses durant plusieurs jours, privant les loups de ces nombreux repas qu’ils avaient pourtant chassés. Il a vécu plusieurs jours à l’intérieur de sa carcasse d’orignal ». Une histoire inédite selon cet aîné qui n’aurait jamais imaginé assister à de telles scènes, et semblait pourtant s’amuser de la situation.

La seconde histoire que je choisirai ici de vous partager est celle d’une louve et d’une ourse. Elle m’a été contée par Bob Hayes. « C’est arrivé deux fois, dans la même tanière, en quatre ans d’écart. Une ourse était venue avec ses deux grands oursons à la tanière d’une louve, qui avait eu ses petits. L’ourse commença à aller fouiller dans le trou, essayant d’attraper les louveteaux. Plusieurs loups essayaient alors de protéger la tanière. Nous avons dérangé l’interaction par notre passage en hélicoptère, ce qui a offert la distraction nécessaire

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aux loups pour courser l’ourse et ses petits jusque sur les collines. C’était la première fois que je voyais une tanière, c’était très excitant, précisa-t-il. Puis les loups ont commencé à sauter sur le dos des oursons, essayant de les amener à terre. L’ourse se retournait dans tous les sens, en chargeant les loups et leur donnant des coups. Et je l’ai vue à nouveau, quatre ans plus tard. Je suis quasiment sûr que c’était les mêmes protagonistes, la même louve, et la même ourse. Elles avaient des couleurs particulières. La seule chose qui l’ait sauvée ce jour- là, car la louve était seule cette fois-ci, en haut de la colline avec ses louveteaux, était un gros groupe de 25 caribous venus traverser au pied des collines. Alors qu’elles étaient en train de se toiser l’une et l’autre, rôdant autour de la tanière, ces caribous sont arrivés. Il y avait, environ 100 mètres plus loin, un gros mâle grizzly qui attendait ces caribous. Lorsqu’ils sont arrivés, il a chargé dans le tas, et les caribous ont commencé à courir jusqu’en haut de la colline, tout droit sur la tanière, l’ourse et la louve avec leurs petits respectifs. Puis tout le monde s’est séparé sur plusieurs miles. Ça arrive parfois, que les ours viennent tuer les louveteaux, j’avais vu ça côté Alaska aussi. La seule fois où j’ai vu une tanière en Alaska, il y avait un ours qui était en train d’essayer d’attraper les louveteaux ».

Bien qu’il soit l’un des plus redoutables prédateurs sur ce territoire, le loup n’est pas pour autant épargné de toute forme de prédation. Afin de parer aux nombreuses menaces de son monde, le loup a pour lui une intelligence unanimement reconnue. Celle-ci s’exprime de bien des manières, mais elle est définitivement une caractéristique des loups, quels que soient les interlocuteurs.