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Chapitre 1 – De l’animal à la personne

1.2. De l’ethno à la graphie

1.2.1. L’enquête de terrain

Ce terrain mêle, d’une part, des récits collectés auprès d’une poignée de Vuntut Gwich’in et de biologistes évoluant depuis longtemps auprès de ces loups qui nous intéressent, avec, d’autre part, de nombreuses observations collectées parmi des chiens ou lors d’immersions en pays lupin. Le choix des interlocuteurs s’est principalement établi autour de la question des loups eux-mêmes. Puisque nous souhaitons singulariser ces loups, il était nécessaire de les rencontrer à travers les récits expérientiels et non seulement symboliques ou théoriques de mes interlocuteurs. Nous l’avons brièvement mentionné en introduction et nous y reviendrons davantage par la suite, le loup est un animal avec une grande puissance symbolique pour les Vuntut Gwich’in, et aux imaginaires présents aussi pour les biologistes. Il était donc important pour moi d’entendre ces récits de la part de ceux qui l’ont effectivement rencontré et côtoyé dans une réalité qui me serait davantage accessible, et dans laquelle je me fixais pour objectif d’aller à leur rencontre moi aussi, dans les bois8. En effet, comment pourrions-nous prendre plus aux sérieux ce que nous avons

8 La plupart de mes interlocuteurs étaient des hommes, aussi bien biologistes que gwich’in. Cela peut

notamment s’expliquer par le fait que les activités dans les bois sont davantage réputées être celles des hommes à Old Crow. Ainsi, quand bien même les femmes savaient des choses, elles se discréditaient assez vite au profit des hommes. De plus, si quelques femmes accompagnent effectivement les chasses, la trappe reste une activité essentiellement masculine. Mes interlocuteurs comptent donc une dizaine de chasseurs/trappeurs gwich’in, cinq femmes gwich’in (bien qu’elles soient assez peu citées ici) et cinq hommes biologistes (pas tous cités non plus dans ce travail).

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appris de nos interlocuteurs, nous montrer « à la hauteur des défis inhérents à une véritable communication interculturelle et intersubjective » (Goulet 2011 : 121) qu’en mettant effectivement tout cela en pratique ?

Suivant ces aspirations d’ethnographie lupine, nous avons mis au point un séjour avec l’aide de mes interlocuteurs dans des endroits déterminés à deux reprises. En effet, une première expérience hivernale m’avait permis de rester une semaine seule dans une cabane à 50km du village (Bluefish), me permettant ainsi de suivre les traces des loups, que nous savions présent dans ces environs. C’est une première familiarisation avec ce monde de la nature dont j’ai encore tout à apprendre. Expérience excitante et très riche. J’observe la prudence de chacun, mais ressent également une curiosité invisible qui m’observe. Comme avec les gens, cela me laisse l’impression que seul le temps pourra véritablement dévoiler les invisibles, les indicibles. Je réitère donc l’expérience, pour une durée un peu plus longue (bien que trop courte encore). Je suis partie dix jours dans une cabane, à 150km du village cette fois (Salmon Cache), avec Sammy, ma compagne canine de cette expérience dans un endroit où avaient été vus, quelques jours plus tôt, des loups. Cette expérience se révéla très riche à bien des égards, même si l’invisibilité des loups en redéfinit un peu les contours. L’idée de réaliser chaque fois ces expériences seule et non avec mes interlocuteurs était un choix d’abord personnel. De prime abord, je souhaitais réaliser cette ethnographie seule afin de ne pas être trop influencée par une perception gwich’in ou scientifique de l’expérience. En tant qu’ethnographe, il me paraissait plus adapté d’aborder seule ce nouveau terrain. Par la suite, lorsque je parvins à faire comprendre mon projet à mes interlocuteurs, ceux-ci s’accordaient à dire que pour réaliser ces observations sur une certaine durée, au-delà de la seule rencontre, il me fallait rester un certain temps dans un endroit donné. Je n’avais alors pas les moyens (financiers) de compenser une absence aussi prolongée pour n’importe lequel des chasseurs ou trappeurs du village. A défaut de pouvoir m’accompagner, ceux-ci m’ont donc aidé dans toute la préparation. Même si ce ne sont pas des expériences qu’ils se proposent à eux-mêmes, ils n’ont jamais tenté de m’en dissuader et m’ont accompagné, chacun à leur manière, à être préparée au mieux pour l’expérience.

Pour ce qui est des chiens, la plupart des observations, des partages, se sont effectués via du dog-sitting ou du house-sitting, ce qui m’a relativement épargné toute la dimension

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relationnelle des chiens avec leurs humains, et permis de consacrer entièrement mes observations à ces chiens eux-mêmes. Très vite, la nouvelle de mes « services de dog- sitting » s’est répandue au village, m’amenant régulièrement à évoluer avec une meute hétérogène et variée sur des durées plus ou moins longues, pouvant aller d’une après-midi à plusieurs mois. Au village, chez eux, en balade dans le bush, lors de sorties chasse ou pêche, aux cabanes, ou simplement en errant dans le village, j’ai partagé un riche panel d’expériences avec ces chiens parmi lesquels je passais la plupart de mon temps finalement.

Dans une perspective plus humaine, il était également intéressant d’observer l’impact de cette position dans mes relations avec les Vuntut Gwich’in, entre opportunisme et amitiés insoupçonnées. L’ensemble de mon réseau à Old Crow est donc un enchevêtrement entre experts lupins et propriétaires canins.