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PARTIE II. LES RÉSULTATS DES ENQUÊTES DE VICTIMATION

I- 2.1. Les victimations à Luminy

Tout d’abord, nous pouvons noter sur le terrain 1 qu’environ 80%58 des étudiants (entre 77% et 83,7%) n’ont subi aucune victimation, ce qui nous amène à penser ce site universitaire comme relativement tranquille. Aussi bien les observations entreprises que les entretiens menés vont dans le sens d’une sérénité apparemment imperturbable. De plus, parmi les victimes, la part des multivictimes est de 6%. Étant donné que les taux sont calculés sur les personnes concernées (le risque : prévalence des étudiants susceptibles, en raison de la possession d’un véhicule, de subir une victimation), la catégorie « vol ou tentative de vol d’objets dans ou sur la voiture » se situe au second rang des victimations subies après les discriminations et avant les injures ou menaces verbales. Ainsi entre 2,8% et 7,9% des étudiants ont déclaré avoir été victimes d’un vol ou d’une tentative de vol d’objets « dans ou sur leur voiture » sur le campus de Luminy durant l’année universitaire 2012-201359.

Focalisons-nous sur les discriminations60 qui représentent, d’après les résultats du questionnaire, les secondes victimations les plus déclarées. D’une manière générale, nous considérons comme discrimination sa définition légale : « toute distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de la particulière vulnérabilité résultant de leur situation économique, apparente ou connue de son auteur, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur perte d’autonomie, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une Nation, une prétendue race ou une religion déterminée61 ». Dans notre enquête, la discrimination doit se comprendre comme le fait de distinguer une personne des autres en fonction de caractères

58 Bien que certains intervalles de confiance se recouvrent en partie, notre analyse s’appuie sur les valeurs centrales de ces intervalles.

59 Pour ce type de victimation, on peut également parler de taux de risque puisque c’est la prévalence des seuls individus susceptibles, en raison de la possession d’un véhicule motorisé, de subir la victimation suivante. Nous retiendrons que cette affirmation est vraie sur les autres campus concernant les victimations en rapport à la possession d’un véhicule.

60 Nous utilisons le terme de discrimination alors que l’expression d’attitude ou acte discriminatoire serait sans doute plus juste. En effet, notre questionnaire ne donne pas de définition précise dans l’interrogation sur la nature d’une discrimination subie. La question initiale est formulée ainsi sur le premier campus (Luminy) :Au cours de l’année scolaire

extrinsèques (religion, lieu d'habitation) ou intrinsèques (sexe, origine ethnique, couleur de peau)62 afin de pouvoir lui appliquer un traitement différentiel. Ce qui se concrétise le plus souvent par des insultes entre étudiants, des « problèmes » vis-à-vis d’un enseignant ou de l’administration. Nous enregistrons ici la prévalence de l’expérience en invitant les enquêtés à statuer (rapport subjectif aux discriminations) sur un ou des comportements qu’ils auraient pu subir et que nous rangeons sous la catégorie « discrimination » (définition légale). Il n’y a donc pas lieu de mettre en doute les réponses des enquêtés, qui sont leur propre juge, mais « de prendre en compte un point de vue subjectif sur une expérience objective (Lesné et Simon, 2012) lorsqu’ils donnent un motif entrant dans le champ des discriminations. Nous avons donc essayé, sans y parvenir complètement63, à distinguer les traitements discriminatoires des insultes à caractère sexiste, raciste ou xénophobe. En effet, passer de l’expérience à la qualification d’une discrimination est délicat (Eckert et Primon, 2011) bien que les effets de la sensibilisation des individus aux phénomènes discriminatoires aient pu être observés (Bajos, Bozon et al., 2008) ; nous nous basons donc sur une stabilisation du concept de discrimination, au sein de la population enquêtés, renforcée par son utilisation abondante depuis la loi de 2001 et la création de la HALDE (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité), notamment.

Les victimes d’actes de discrimination – en rapport au sexe, à la couleur de peau, à la religion, notamment – représentent entre 3,9% et 7,9% sur le terrain 1. Ce type de victimation est par conséquent plus courant qu’il semble n’y paraît, mais évidemment, la statistique policière ne peut en faire qu’un écho extrêmement mesuré (aucune plainte). Ensuite, c’est entre 3,2% et 7% que se situe le pourcentage de victimes d’injures ou menaces verbales. Ici aussi, la statistique policière reste un piètre outil pour dénombrer ce type de victimes souvent muselées à la fois par leur faible confiance en la police pour réparer cette injustice et leurs propres représentations sur la gravité de l’acte. On guérit sans doute plus rapidement d’une insulte ou d’une menace verbale que d’une agression physique. Nous pouvons nous accorder sur le fait que les victimes de violences physiques sont marginales au sein de notre échantillon. Concrètement, notre enquête révèle des taux assez faibles d’étudiants victimes de violences physiques (entre 0,1% et 2,8%) qui pour une part d’entre elles ne sont que des tentatives.

I- 2.2. Les victimations à Saint-Charles

Sur le terrain 2, le premier constat est semblable puisque la plupart des étudiants interrogés (entre 73,5% et 82%) ne déclarent aucune victimation. Entre 18% et 26,5% de l’échantillon ‘étudiants’ sur le campus Saint-Charles ont déclaré avoir été victimes d’au moins une victimation (taux légèrement supérieurs à ceux du terrain 1). A contrario, le taux de prévalence de la

62 Les motifs cités dans le questionnaire son issus de la liste des critères légaux de discrimination.

63 L’enquête « Trajectoires et Origines » revient sur la complexité à dissocier le subjectif du factuel. En montrant que cette opposition peut être dépassée en traitant à la fois des situations précises que du ressenti des personnes enquêtées (Leslé et Simon, 2012, p. 11), un élément que nous n’avons pas intégré dans le questionnaire mais qui aurait pu l’être. Les auteurs invitent à construire un indicateur complémentaire à l’expérience auto-reportée à partir de « situations de traitement défavorables dans les différents domaines de la vie sociale – les discriminations situationnelles » (Ibid., p. 30) : reconstitution de l’expérience par le chercheur lui-même après le récit des faits par l’enquêté. De plus, la sous-estimation des discriminations est avérée : « La déperdition observée [entre les discriminations situationnelles et

multivictimation est ici un peu plus important que sur le terrain 1 (nous fournirons des éléments d’explication sur ce résultat ci-après). On retrouve une proportion plus importante de victimes d’« injures ou menaces verbales » et de « discriminations ». Les étudiants de l’échantillon sont entre 10,2% et 17,3% à avoir été victimes d’injures ou menaces verbales. Puis, entre 4% et 9,1% ont déclaré avoir été victimes d’une discrimination. L’hypothèse de la banalisation de cette délinquance et de son invisibilité institutionnelle se vérifie ici comme à Luminy. Les victimes de violences physiques (ou tentatives) et de vols avec ou sans violence montrent des taux de prévalence compris entre 1,3% et 4,8%. Malgré une variation certaine des taux de prévalence sur chacun des deux premiers terrains, nous sommes clairement face à des victimes de délits d’une gravité très mesurée qui exclut a priori la violence physique ou les tentatives. Ces constats se retrouvent seulement de manière partielle sur notre troisième terrain.

I- 2.3. Les victimations à Saint-Jérôme

Le terrain 3 est quelque peu différent en ce sens qu’il fait apparaître un taux de victimes d’environ 32,8% (entre 24,3% et 41,2%), un taux moyen bien supérieur à ceux que nous constatons sur les terrains 1 et 2. Y a-t-il un « effet quartiers nord de Marseille » comme le soulignent les médias locaux et nationaux où la dangerosité est omniprésente ? Nous vérifierons cette hypothèse. La prévalence des multivictimations est ici plus importante qu’ailleurs au cours de l’année enquêtée (2014-2015). Aussi, les victimes de violences physiques sont l’exception, avoisinant des taux en deçà de 5%, au regard des autres types de victimes. En effet, concernant l’intégrité morale, les victimes d’injures ou menaces verbales (environ 11,8%) ainsi que de discriminations (environ 7,6%) de toutes sortes sont les plus présentes dans notre échantillon ‘étudiant’. Pour ce qui est des dommages matériels – taux calculés uniquement sur les détenteurs du bien en question – ils se concentrent sur les victimations en rapport véhicules avec des vols (ou tentatives) d'objets dans ou sur la voiture (environ 22,9%) en l’absence du propriétaire. En somme, le délinquant agit lorsque la voie est libre, le plus souvent sur les biens matériels ; ce qui contribue à éviter un éventuel affrontement verbal, voire corporel. Enfin, les victimes de vols (ou tentatives) d’objets personnels se montent à environ 5,1%.

I- 2.4. Comparaison générale : les victimations étudiantes

D’une manière générale, les étudiants interrogés sont plus victimes sur le campus de Saint-Jérôme que sur Saint-Charles ou Luminy. De ce point de vue, le campus de Luminy semble être le terrain le plus préservé par la délinquance locale et intra-universitaire. Néanmoins, les campus Saint-Charles et Luminy contiennent un peu moins d’étudiants plusieurs fois victimes de diverses victimations (prévalence de la multivictimation) quand Saint-Jérôme montre plutôt des étudiants victimes à plusieurs reprises au cours de l’année universitaire.

Concernant l’intégrité morale, on recense une plus grande atteinte sur les étudiants à Saint-Charles devant Saint-Jérôme puis Luminy. Ce type de victimation a trait primo aux injures et aux menaces verbales et secundo aux discriminations (cf. détail des victimations ci-après). Pour cette dernière victimation, on peut suggérer à l’instar de Ferry et Tenret (2017) que les inégalités de traitement ont un lien avec l’expérience universitaire et notamment le niveau d’intégration des

réelle distinction des taux de prévalence entre les trois campus. Le positionnement géographique du campus de Luminy servirait-il à comprendre la moindre atteinte aux personnes ? L’éloignement vis-à-vis du centre-ville, la difficulté d’accès ou encore une surveillance moins importante qu’ailleurs seraient-ils des raisons suffisantes ? Les incivilités sont-elles plus présentes dans les centres urbains ? Toutes les questions que nous soulevons trouveront des réponses plus loin dans le texte, notamment lorsque seront abordés les résultats de l’étude qualitative (partie III.).

En outre, si notre étude interroge les actes de violence verbale et physique, nous n’avons pas négligé les atteintes aux biens. Le campus Saint-Jérôme, puis celui de Luminy sont ceux qui cumulent le plus de victimes de vols d’objets dans ou sur la voiture. Néanmoins, les victimes d’actes de vandalisme sur ces mêmes types de bien de consommation sont en proportion plus grandes à Luminy. Doit-on y voir un lien avec la capacité des parkings ? C’est possible puisque Luminy possède la plus grande envergure en termes de stationnements. Mais une autre liaison pourrait être établie avec le fait que les parkings de Luminy accueillent des étudiants, des personnels, ainsi que des touristes (départ de ballades dans le parc des Calanques). Si notre hypothèse est exacte, les actes de vandalisme sur les véhicules pourraient n’être que le simple reflet de mauvais conducteurs égratignant un autre véhicule à proximité. Dit autrement, même si sur les trois campus des étudiants usent d’un véhicule personnel, les campus de Luminy et de Jérôme, à la différence de Saint-Charles, possèdent des parkings étudiants très grands, ouverts au public et non sécurisés ; éléments environnementaux qui favorisent le développement de ce genre d’incidents. Pour autant, c’est aussi l’utilisation plus massive d’un véhicule sur les terrains 1 et 3 qui semble, pour une part, expliquer qu’on y retrouve davantage d’étudiants victimes d’atteintes aux voitures, motos et scooters.

Outrepassant cette analyse rudimentaire, ou cette sorte de défrichage initial, nous voulons affiner le propos en étudiant les victimations enregistrées sur les trois terrains investigués. Il s’agira entre autres de comprendre pourquoi, et comment, certaines victimations sont plus présentes ici ou là au sein de notre échantillon. Mais avant d’analyser chaque victimation, nous voulons apporter une nuance. La victimation est en partie relative, au sens durkheimien du terme, puisqu’elle se déroule dans l’interaction. En effet, lorsque l’un des Pères fondateurs de la sociologie écrit au sujet du crime qu’il correspond à « tout acte qui, à un degré quelconque, détermine contre son auteur cette réaction caractéristique qu’on nomme la peine » (Durkheim, 2007 [1893], p. 35) – cette offense aux sentiments collectifs (Ibid., p. 47) –, il met le doigt sur cette relativité. Par analogie, les discriminations, les injures et menaces verbales entretiennent avec la victime une part de subjectivité (Zauberman, Robert et Pottier, 2004) qu’il convient d’interroger. Ainsi, nous avons considéré que « l’insulte existe quand on se sent insulté » (Moi ̈se, 2011, p. 30). Dans cette même idée, « l’insulte est difficilement cernable du strict point de vue linguistique, car elle emprunte une variété de formes » (Rosier, 2009, p. 42).