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1.1. Les personnels de terrains et la main courante manuscrite

perspectives des différents personnels de sécurité sur les campus marseillais

III- 1.1. Les personnels de terrains et la main courante manuscrite

Dans la cité de Luminy, les veilleurs de nuit qui ont la charge de la surveillance des bâtiments et de leurs abords reportent chaque soir sur une main courante manuscrite tous les faits qu’ils ont jugé opportun de signaler à leur direction. Plus précisément, sur cette main courante apparaissent

faits de violence (souvent verbale). Les agents de sécurité font ici face à des faits qui s’apparentent globalement à des incivilités commises par des étudiants qui sont pour partie le reflet de l’ennui (ou le manque d’occupation) qui peut régner dans ce type de logement, de surcroît quand il est aussi excentré de la vie sociale et culturelle.

« Ces faits peuvent être commis par des étudiants qui logent dans la cité et qui dégradent, qui cassent, qui vident les extincteurs, ce type de choses. Et puis, cela peut aussi être des gens de l’extérieur, mais rarement. On a eu des motos incendiées, un local poubelle qui a brulé également. Les faits de violence, il y en a très peu, pas énormément, mais on peut avoir des altercations entre jeunes étudiants, ça oui » [Directrice de la cité universitaire, Luminy].

Cette main courante sert de mémoire au personnel qui y inscrit également le récit de son activité et devient de fait un moyen de communication entre ces personnels et la direction qui en prend connaissance en début de service le matin suivant. La main courante donne en quelque sorte la température de la cité de la veille au soir pour la direction. Mais elle demeure un élément de contrôle du travail des agents sans lien direct avec les problèmes touchant la sécurité au sens strict. Les agents le savent et s’appliquent à cette tâche de remplissage. Par conséquent, à la lecture de cette main courante, sans pour autant être exhaustive, on remarque une assez grande précision sur ce qui s’est déroulé dans la nuit, mais l’essentiel des informations traite de l’activité habituelle des vigiles et non de problèmes qu’on relierait à la délinquance ou aux incivilités. Néanmoins, il n’existe pas d’enregistrement des faits (délinquance, incivilité) se déroulant en journée (ici l’importance de l’enquête de victimation est à signaler). Les faits antérieurs à plusieurs semaines sont difficilement consultables comme ce serait le cas sur une main courante informatisée. Le personnel avoue d’ailleurs ce grave défaut des consignations en expliquant qu’il est parfois difficile de tout se rappeler de mémoire et de faire le rapprochement entre deux incidents distants. Le personnel a le désir de pallier ce manque, mais en définitive, la gestion « sur le tas » est privilégiée à une informatisation des événements. L’absence d’un système informatisé peut donc se comprendre par la faiblesse des faits constatés :

« Il y a des incidents que l’on pourrait faire remonter, mais si on arrive à gérer la situation sur le moment, on ne le fait pas. Par exemple, au printemps dernier, j’ai trouvé quatre personnes en capuchon qui venaient de s’introduire par une porte encore ouverte dans le restaurant. Je leur ai crié de partir assez vivement et les personnes sont parties. Donc la situation s’est débloquée de suite et c’était fini. Comme cela s’est bien passé, il n’y a pas de remontée » [Directrice de la cité universitaire, un an d’expérience sur ce site, campus de Luminy].

Il est difficile d’obtenir une information fiable pour quantifier le nombre d’agressions dans les lieux sous responsabilité du CROUS puisque peu de récits écrits existent. Nos informateurs nous font part de trois « agressions » durant l’année 2012-2013. Ce sont vraisemblablement des bagarres, d’une très faible intensité, entre étudiants, relatifs à des problèmes de vie en collectivité, de relations de voisinage (tapage nocturne notamment). Sans pouvoir donner un chiffre précis, la direction explique que les agressions déclenchées par des personnes extérieures sont très rares, la dernière en date a eu lieu durant l’été 2013. Ces « agressions » concernent donc des étudiants, entre eux, et

Les agents de sécurité incendie tiennent également une main courante, où ils inscrivent toutes les anomalies rencontrées (registre papier), conservée dans le PC sécurité. Ici aussi, les éléments qui apparaissent traitent en grande partie de leur activité si bien que les seuls problèmes de sécurité que l’on peut y lire se rapportent à un matériel défectueux et non à des incivilités. Si l’anomalie est vraiment importante, ces agents contactent leur référent (coordinateur SSIAP 3) ou directement le chef du PC sécurité. Ils ont par conséquent un rôle, bien qu’essentiel, de simples relayeurs d’informations.

Sur ce campus, les personnels de sécurité prennent néanmoins bien soin de noter ce qu’ils qualifient d’intrusion et de squattage. À ce sujet, l’enquête de terrain a surtout montré que cette consignation devait se comprendre comme une dénonciation de faits qui font peser une charge de travail supplémentaire sur les agents sans pour autant relever de la sécurité. Les agents sont pourtant unanimes à demander un site plus hermétique (il s’agit là des intrusions dont nous allons traiter ensuite). À Saint-Jérôme, les personnels sont plus laxistes sur les cas similaires, sans doute aussi parce qu’ils sont moins légion sur ce campus (encrage géographique différent). Il s’agit là de simples rappels à l’ordre et d’évocations du règlement intérieur ou encore du « bon usage des lieux ». Manifestement, sur ces deux campus, les principales incivilités s’apparentent à des désordres sommaires comme l’utilisation bruyante d’une salle, des usagers non étudiants qui stationnent dans le campus ou les salles de cours vides, notamment. En somme, rien d’extraordinaire. Néanmoins, pour asseoir leur autorité, les agents brandissent de temps à autre la menace de la police pour faire sortir les « indésirables », mais le plus souvent une simple discussion accompagnée d’une posture de médiateur suffit amplement à éviter le conflit. Ces types d’interaction ne sont jamais enregistrés par les agents de Saint-Jérôme qui les jugent peu importants, mais surtout les assimilent au quotidien du terrain, comme faisant partie de leur profession : « On est là pour faire les médiateurs, on essaye d’expliquer ce qu’il ne faut pas faire et voilà » [Agent de sécurité, 3 ans d’expérience sur le site, campus Saint-Jérôme]. Nous avons donc des campus en proie aux intrusions qui nous rappellent d’ailleurs l’aspect ouvert de ces lieux du savoir. La consignation de tels faits est analysée à travers le regard que l’agent de sécurité se fait de sa mission et de l’ancienneté dans son poste actuel. Quand à Saint-Charles, les agents sont souvent installés depuis plusieurs années et ont perdu quelque peu patience, on trouve à Saint-Jérôme une équipe plus jeune (3 ans maximum d’ancienneté), peut-être plus idéaliste au sujet de la fonction de médiation qui fait le cœur du métier (ce point sera traité plus loin dans cette partie). De plus, cet exemple nous laisse entrevoir la vision largement subjective des agents sur problème, leur gestion ou leur dénonciation.

Toujours à Saint-Jérôme, à chaque nouvelle vacation, l’agent de sécurité qui prend son service ouvre une main courante. Plusieurs éléments très précis sont annotés sur cette dernière : événements divers, déclenchement d’alarme, appels reçus. Pour une alarme par exemple, l’agent prend en note l’heure du déclenchement, la localisation, l’appel pour prévenir l’astreinte, ce que ce dernier propose de faire, et après la « levée de doute » (lors d’alarme incendie et intrusions), la personne d’astreinte signale à l’agent que la situation est normale, dernière information qui clos l’événement sur la main courant. La main courante peut également servir à signaler la présence d’odeurs étranges dans un laboratoire de chimie, une porte qui devrait être verrouillée, etc. Le PC sécurité est équipé d’un report d’alarme et indique l’activation automatique ou volontaire de

III- 1.2. LES SSIAP : des notifications en guise de couverture

À Saint-Charles, la main courante des agents dédiés à la sécurité incendie recense toutes les intrusions, les alarmes incendie, les produits chimiques qui s’évaporent anormalement, les accidents de la route dans la faculté, entre autres. En outre, elle est de temps à autre un outil de contrôle de l’activité des agents par les responsables AMU. Les questions relatives à la sécurité des usagers du campus dans les bâtiments sont de la responsabilité des SSIAP et, pour cette raison, ils notifient tous les événements dans la main courante. Cette dernière consigne tous les incidents survenus, les problèmes rencontrés par les agents ainsi que l’heure des rondes de prévention et de vérification du matériel. Ces personnels ont également accès à un téléphone pour contacter les personnes compétentes et les prévenir sitôt qu’ils constatent un dysfonctionnement. Une fois l’information notifiée et transmise, les SSIAP1 et le SSAIP2 sont juridiquement couverts. En cas d’incident, la responsabilité incombera hiérarchiquement soit au SSIAP3, soit au responsable de la sécurité incendie, c'est-à-dire à l’administration centrale. De ce fait, les personnels au plus bas de l’échelle hiérarchique semblent être très consciencieux en apposant sur le registre de main courante les faits survenus ainsi que les tâches exécutées au cours de leur service. Cette manière d’agir se rapporte également à la qualité du matériel qu’ils jugent plutôt médiocre et espèrent ainsi dénoncer.

III- 1.3. Direction de la logistique et de la sécurité : récupération

et consignation des informations relatives à la sécurité

Lorsqu’une infraction survient en pleine nuit, elle est en premier lieu révélée par les agents de nettoyage en raison de la précocité de leurs horaires de travail (début du service à 6h). En cas de constat d’infraction faible – de type dégradation légère, souillure de locaux de faible importance –, ces agents avisent leur responsable d’équipe. Ensuite, ce dernier envoie un mail au responsable de la logistique. Si les faits constatés sont considérés comme « graves », le responsable de la logistique est prévenu directement par téléphone afin d’améliorer la réactivité : réparation, agents d’entretien supplémentaires, dépôt d’une plainte, etc. Une fois avisé, la procédure suit son cours et le responsable des services de sécurité est informé à son tour. S’il y a des réparations à effectuer, les agents techniques les prennent en charge. En général, toutes les personnes concernées sont averties des faits. Si éventuellement les faits sont graves, le dépôt de plaintes par le directeur de la logistique est la règle (par exemple lors d’un vol).

Aucune direction rencontrée ne possède de logiciel spécifique d’enregistrement, mais elle tient un historique assez précis dans un dossier informatique et un dossier mail. La mutualisation entre services à l’intérieur d’un campus et à l’échelle de l’université est par conséquent difficile, car la transmission des informations se perd à la fois dans les échanges téléphoniques et les envois de mails qui s’accumulent.

Les accidents de faible ampleur (accident corporel léger, accident du travail lié à la manipulation en laboratoire, blessure légère sur le parking, etc.) sont, d’un côté, comptabilisés par la commission accident ou maladie professionnelle dépendante du CHSCT. D’un autre côté, une part des accidents est appréciée et enregistrée au niveau syndical. Nous sommes donc en présence de deux modes de

le bilan rédigé par les médecins du travail et présenté annuellement au CHSCT par l’administration (DRH). Loin de se cantonner à inventorier froidement les incidents, le rôle du CHSCT est d’investiguer. Autrement dit, ce comité a le pouvoir de déclencher des enquêtes lorsqu’il estime que la santé des salariés est en jeu.

Sur les campus, chaque personnel chargé de la sécurité identifie son supérieur hiérarchique à qui il rend compte, parfois de manière parcellaire. En effet, une certaine confusion semble toutefois exister au sujet de l’appréciation de la gravité de l’incident constaté. En d’autres termes, seules les informations jugées importantes sont notifiées de manière claire, permettant ainsi de les faire suivre à l’ensemble des personnels du campus, généralement par e-mail – le but étant de prévenir les incidents futurs et avertir les personnels. Tous les actes de délinquance ne sont pas enregistrés de la même manière puisque l’information passe soit par écrit soit par voie orale. Nous avons découvert une différence de fonctionnement entre les personnels possédant un bureau (avec accès Internet permanent) et le personnel de sécurité sur le terrain. Les premiers enregistrent volontiers le moindre fait ou incident, quand les seconds présents quotidiennement sur le terrain, possèdent un degré de tolérance plus fort ainsi qu’une appréciation différente d’une même situation. Un certain nombre de conflits, plus généralement avec « les jeunes » (nous y reviendrons), se gèrent par la parole, par la mise en garde, par une reconduite en dehors des délimitations du site universitaire. Donc ces conflits ne donnent pas forcément lieu à une trace écrite par les personnels de terrain. Ceci se comprend, au-delà de la perception de la gravité, par le manque de preuve (pas toujours de flagrant délit). Les propos ci-dessous caractérisent l’ambiguïté basée sur le soupçon.

« Les jeunes c’est simple, s’ils sont venus pour voler, ils ne vont pas vous dire "salut, je suis venu voler", vous comprenez. Ils prennent la fuite, c’est arrivé plusieurs fois depuis trois ans [2010-2013]. Je ne vais pas faire un rapport pour ça. Ou alors, ils viennent pour voler, et une fois ils m’ont dit : "on cherche un petit chien blanc qui est perdu". Penses-tu, ce n’est pas un petit chien blanc qu’ils recherchaient. Avec un collègue, on les a fait sortir. On leur a dit qu’ils ne devaient plus venir ici, que c’était une zone privée. Après ils me demandent ce que cela veut dire "privée". Je réponds : si vous avez un jardin, est-ce que je vais venir dans votre jardin. "Privée" cela veut dire qu’il ne rentre pas n’importe qui. Mais attention, toujours avec diplomatie tout ça. Mais les jeunes, ils ne sont pas bêtes ; ils demandent ce que cela veut dire "privée" ; ils savent très bien ce que cela veut dire. Ils testent. On parle avec eux pour régler cette intrusion » [un personnel chargé de la sécurité, AMU, campus de Luminy].

Il est important de noter que les agents de sécurité sont aussi tributaires des remontées d’informations faites par les victimes et témoins (vol de véhicule, conflits interpersonnels, etc.). Ils ne peuvent donc avoir qu’une connaissance imparfaite de la réalité, car comme nous l’avons vu dans l’enquête de victimation, la proportion de victimes qui n’avertit ni l’université ni la police est très important et semble fonction de la victimisation subie. Par conséquent, par le biais des victimes ne peuvent être appréhendés que les incidents plus ou moins grave et marquant.

Chez les coordinateurs sécurité des campus, nous avons noté une manière largement plus systématique d’enregistrer les faits de délinquance et d’incivilité. Ce constat est sans doute le reflet d’une certaine vue d’ensemble des problèmes de sécurité qui règnent chez cette catégorie de personnels. À chaque incident connu, un rapport est envoyé par e-mail à la direction du site. Le souci

Par exemple, si un même groupe de personnes commet plusieurs fois un acte délictueux, le discours et les actions des responsables doivent aller graduellement pour être efficace :

« Un vendredi où les installations sportives étaient fermées, on nous appelle pour nous dire qu’il y avait du monde. Effectivement, c’était des jeunes qui jouaient au foot, mais pour rentrer, ils ont fracturé une porte. On leur a dit, on n’est pas là pour vous embêter ou pour vous empêcher de jouer au foot. On est là pour que vous ne vous fassiez pas mal. Les gens de l’extérieur ne peuvent pas venir, mais on n’allait pas aller au clash surtout parce qu’on ne s’en serait pas sorti. Donc on a joué comme ça, cela s’est très bien passé. Mais, on veut laisser une trace écrite, on ne sait jamais si les jeunes reviennent. Une fois ça va, après la deuxième fois, il ne faut pas avoir le même discours » [Responsable technique d’une composante, 20 ans d’expérience, campus de Luminy].

On peut aussi penser que les personnels en question, faute de pouvoir user de la coercition (faible sur un campus universitaire) voient dans l’écriture d’un rapport un moyen d’extérioriser leur frustration. Ils peuvent ainsi avoir l’impression de faire avancer les choses à leur échelle faute de solution miracle.

Plusieurs éléments recueillis permettent de comprendre la manière non uniforme de consigner les problèmes touchant à la sécurité du site. Premièrement, la tolérance des agents ainsi que la part de subjectivité qui les animent dans leur fonction sont la première raison d’une consignation partielle des incidents. C’est bien ici l’évaluation d’une situation à risque qui détermine la prise en note ou la gestion sur le tas, par une discussion avec le contrevenant par exemple. Ensuite, l’enregistrement peut être vu comme le simple fait de rendre compte de son activité de travail et éventuellement se couvrir en cas de problème grave ; dans ce cas, le signalement dans la main courant permet d’être juridiquement couvert et ne prendre aucune responsabilité. Puis, la main courante peut se caractériser comme un média qui permet de dénoncer une situation telle que le manque de matériel, le dysfonctionnement technique d’un appareil, etc. Regarder la consignation sous cet angle permet de comprendre enfin la difficulté des responsables à récupérer les informations et connaître l’ampleur des petits tracas que subissent les agents de terrain. Bien qu’un certain niveau de communication existe entre les différents services sur un campus, s’ajoutent à cette complexité l’enregistrement multiple des informations sur format papier et peu sous format numérique par divers acteurs auxquels les responsables étudiants et administratifs s’enjoignent. La mutualisation s’avère donc difficile d’autant plus que les remontées des incidents sont soit parcellaires (sélection subjective par les agents de terrain, notamment), soit comptabilisées à plusieurs reprises. En ligne de fond, on peut aussi questionner la manière dont les agents de sécurité appréhendent la main courante. Dans un campus où le nombre d’intrusions est important comme à Saint-Charles, les agents de sécurité ont sans doute perdu l’espoir que l’annotation sur la main courante pour résorber le souci qu’ils rencontrent depuis plusieurs années. On peut aussi questionner le rapport au temps perdu dans la consignation d’un événement pour une fraction de travailleurs qui s’estime en tant que personnels de terrain et non des rapporteurs d’incidents manuscrits.

III- 2. Les liens entre les campus universitaires et les