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Chapitre III – L‟élevage en Uruguay

3.3 La viande salée et la consolidation de la propriété de la terre; 1760-

En 1778, le commerce a été libéré en même temps que le développement du système économique de la canne à sucre du nord-est brésilien et de Cuba, qui utilisait de la main d‟œuvre esclave et qui demandait un régime alimentaire économique. Cela a permis le développement d‟une industrie qui allait dominer presque tout le XVIIIème siècle: la salaison de la viande ; ce qui a grandement valorisé les bovins dispersés sur le territoire. Le premier entrepreneur de la salaison, Don Francisco Medina, avait acquis son savoir-faire dans la conservation de la viande de baleine, avec laquelle elle avait fait fortune. Le premier saloir fut ouvert en 1786 (Mullin 1935). La première conséquence immédiate de tout ceci a conduit à une accélération de l‟appropriation de terres. Comme dans tous les processus d‟appropriation de territoire, tous les types de conflits ont vu le jour et leur solution dépendait de la capacité d‟un pouvoir administratif central à imposer son autorité et à accorder des droits de propriété. Ce centre se trouvait alors en Espagne.

Pendant les luttes pour l‟indépendance, en 1815, des terres ont été distribuées avec une devise qui disait que « les plus malheureux devaient devenir les plus privilégiés », et ceux qui avaient été partisans de l‟Espagne en étaient expropriés. La préférence était donnée aux citoyens pauvres, mariés et américains, les droits attribués « aux mauvais européens et aux pires des américains » n‟étaient pas reconnus, car il s‟agissait d‟ennemis de la révolution. C‟est ce qu‟établissait le « Règlement Provisoire de la Province Orientale pour la mise en œuvre de la Campagne et de la Sécurité des Propriétés » élaboré en 1815 par celui qui, actuellement, est reconnu comme héros national: José Artigas, alors propriétaire d‟environ 300.000 hectares (Machado 1973). Il est clair qu‟il existait alors une lutte sous-jacente concernant l‟usufruit des produits de l‟élevage et qu‟il était indispensable d‟empêcher que ceux qui n‟avaient pas de droits « légaux » en profitaient. Les vagabonds, les voleurs, les indiens et les portugais, qui faisaient des incursions à partir du Nord, se retrouvaient dans cette catégorie.

L‟indépendance de l‟Uruguay, qui avait permis de supplanter les espagnols dès 1813, ne s‟affirma qu‟en 1828, après un long processus qui avait vu une participation des anglais, des argentins et des brésiliens. Le représentant anglais – Lord Ponsomby – qui avait participé aux négociations, a été, quelques années plus tard, directement impliqué dans la formation de la Belgique.

Le troupeau bovin de cette époque a été estimé à environ six millions de têtes. Toutefois, quelques années plus tard, la « Grande Guerre » a commencé, et pendant plus d‟une décennie cette guerre civile a été le théâtre d‟une forte ingérence de l‟Argentine, du Brésil et d‟autres puissances européennes. Ces perturbations associées au conflit ont entraîné une forte réduction du troupeau, qui a été estimé, à la fin de la guerre en 1852, à moins de deux millions de têtes. Dans cette situation d‟anarchie, des chasses massives étaient réalisées et le manque de sécurité dans la campagne ont fait diminuer la population rurale. A la fin de la guerre, une des puissances impliquées, le

Brésil, a obtenu la libre circulation des bovins vers le Rio Grande do Sul (Alonso 1982), ce qui entraîné un fort recul de ce secteur industriel en Uruguay, les quelques ans qui a duré ce commerce.

La pacification des campagnes a été associée à un fort accroissement de la population bovine, estimée en 1862 à 8 millions de têtes, chiffre qui est resté plus ou moins stable pendant plus de cent ans. Dans le même temps les ovins étaient estimés à 3.618.000 et les chevaux à 1.457.000 (Castellanos 1972). C‟est à ce moment, que la frontière agricole a disparu et que tout le territoire s‟est retrouvé exploité. Le prix de la terre reflète bien ce phénomène car elle a augmenté plusieurs fois au cours de cette décennie. La révision du traité avec le Brésil a amené une croissance importante des saloirs, qui ont traité plus de 500.000 têtes en 1862. Les produits principaux étaient le cuir, le suif, et la viande salée, tous destinés au marché extérieur.

La principale caractéristique de l‟élevage Uruguayen était déjà en place: un fonctionnement très influencé par des événements provenant de l‟étranger, car une forte production rurale entraînait une offre de produits de l‟élevage très supérieure aux possibilités de consommation de la population locale.

En 1864, la marque Liebigs, spécialisée dans les produits carnés, s‟est installée à Fray Bentos, ce qui a marqué le début de la « mondialisation » de l‟agriculture et de l‟alimentation. Dans une exposition récente (2006) du Musée Agropolis de Montpellier, Fray Bentos a été indiqué comme le lieu où la mondialisation des aliments a commencé, puisque ses produits étaient distribués sur les cinq continents. Avec les conseils directs de Mr. Liebigs, G. Giebert a fondé et organisé l‟usine avec des capitaux anglais. Il s‟agit-là d‟un phénomène pour l‟époque. Son traitement de 200.000 bovins par an (Castellanos 1972), n‟a été atteint que par les abattoirs actuels.

Immédiatement après, une des premières crises d‟origine lointaine a débuté. La Guerre de Sécession aux Etats-Unis et la crise européenne ont fait chuter la demande en sucre à Cuba et au Brésil, ce qui a entraîné une forte

La « estancia moderna » ou propriété moderne

Cette appellation a été associée à l‟augmentation de la présence d‟ovins dans le territoire de l‟Uruguay. Il faut souligner que depuis toujours elle était définie comme « lainière », ce qui montre quel a été le produit le plus important de la production. Dans la décennie de 1860, le troupeau s‟est «ovinisé ». Le pacage conjoint et simultané d‟ovins et de bovins a été le signe distinctif de l‟élevage Uruguayen. La présence d‟ovins, en tant qu‟élément important, a eu pour conséquence une modification du fonctionnement des propriétés, à cause d‟une forte demande de main d‟œuvre. L‟évolution de cette activité été très rapide et, du fait de la crise de la viande salée, il devint le produit d‟exportation le plus important, dépassant même la viande bovine, dès les années 1880. Du point de vue de la gestion des exploitations, le pacage mixte a été interprété comme une manière de contrôler les risques, aussi bien climatiques que commerciaux (Campal 1969). Lors des années de sécheresse, les ovins produisent mieux et lors des années pluvieuses, les bovins sont favorisés. En outre, il est peu probable qu‟une crise commerciale se développe en même temps sur ces deux produits.

La clôture

A partir de 1870 et très rapidement, le processus de clôture a renforcé la propriété de la terre et a permis de contrôler le pacage des animaux. De cette manière, les éleveurs sans terre et les habitants non officiels ont été expulsés vers des « rancheríos1 ».

La mise en place de clôtures a permis un usage plus efficace des pâturages et des animaux, ainsi qu‟une demande moindre de main d‟œuvre, comme nous l‟avions déjà mentionné. Il s‟agit d‟un des éléments fondamentaux de la consolidation du système de propriété privée. En 1876, le registre de « Marcas y Señales » (sceaux fonciers) a été implanté dans tout le pays, et a

imposé le marquage au fer du bétail à des fins d‟identification. Un cadastre délimitant avec précision les propriétés foncières a également été consolidé.

Les conditions d‟un développement d‟activité beaucoup plus organisé étaient définies, ce qui allait permettre de nombreux changements, y compris génétiques et de qualité des produits obtenus.