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Chapitre IV Le modèle Arapey

4.4 Le type de modèle à simuler

L‟échelle qui doit être utilisée dans le modèle est une décision cruciale car elle renvoie directement au problème posé. Il faut plus particulièrement discuter trois décisions par rapport à l‟échelle et au niveau d‟abstraction utilisé.

a. L’échelle temporelle

Elle est en principe définie par le problème soulevé. Dans la mesure où il est intéressant d‟étudier des décisions stratégiques, il faudra que cela dépasse le simple exercice agricole, puisque nous prétendons voir comment ces décisions affectent une trajectoire à long terme. Elle indique également quel est le pas de temps adéquat pour le modèle. Dans notre cas, deux autres

i. Il se pouvait que les conséquences des décisions que nous étions en train d‟étudier mettent du temps à apparaître ou à être perceptibles avec les indicateurs qui nous avions utilisés. Dans tous les cas, dans le cadre de la gestion des exploitations, les effets de ces décisions devraient devenir évidents sur le temps maximum d‟activité d‟un administrateur, c‟est-à-dire le cycle de vie professionnel de l‟éleveur, soit un peu plus de 30 ans.

ii. Le résultat de la simulation allait dépendre de la qualité du modèle proposé. Dans le cas des SMA, une grande quantité d‟interactions est programmée et au moment d‟analyser les résultats il n‟est pas facile de déterminer si ceux-ci sont le produit du fonctionnement normal du modèle ou des erreurs de programmation ou de la modélisation (Ropella et al. 2002). Il fallait donc que nous puissions évaluer la plausibilité des résultats. Cela nous a renvoyé à la difficulté originelle qui a motivé notre utilisation des multi-agents pour l‟étude de cette situation : nous n‟avons pas d‟outils alternatifs et nous ne pouvons pas anticiper les résultats en fonction de notre expérience. Les résultats peuvent être qualifiés d‟« émergents » (Gilbert et Terna 1999 ; Holland 1995 ; Checkland 1999 ; Morin 1977), c‟est-à-dire qu‟ils ne sont pas déductibles de l‟analyse des composants et de la dynamique décrite. Il faut faire face à un système qui ne peut pas être réduit à un algorithme (Morin 1977). Comme l‟indique Holland (1998) et Axelrod (1997), l‟intuition suggère simplement que les composants et les dynamiques essentielles du modèle ont été identifiés, et que sa simulation en améliorera la compréhension. De plus, les possibilités de confronter les résultats du modèle avec une information secondaire sont rares, voire inexistantes. Nous avons donc résolu de conserver la possibilité d‟identifier des résultats aberrants en fonction de notre expérience et de celle des autres acteurs impliqués, eux-mêmes familiarisés avec la problématique étudiée. Ainsi par exemple, si le modèle indique que les stratégies envisagées entraînent une trajectoire très peu probable, comme une augmentation patrimonial de 10% l‟an ou une mortalité animal moyenne de 30%, il faudra le réviser avec beaucoup d‟attention afin d‟identifier les erreurs.

Pour cela nous avons décidé de modéliser une période – 1970-2004 – qui est très connue pour nous, aussi bien en ce qui nous concerne qu‟en ce qui concerne les acteurs impliqués capables de définir si les résultats de la simulation sont plausibles.

Figure 1. L‟échelle d‟Arapey

b. Le niveau d’agrégation

L‟une des idées centrales de la pensée systémique est l‟idée d‟émergence, c‟est-à-dire d‟impossibilité de connaître le fonctionnement d‟un système s‟il est démonté et que ses composants sont étudiés de façon séparés.

LA “UNIDAD” DE ESTUDIO

Sistema

Sistema

familia/explotaci

familia/explotacióónn

Gentileza de Mercedes Figari

Figure 2 : Le système famille-exploitation

La figure 2 –d‟après Rossi et Courdin (2006)- permet de réfléchir sur ce sujet, ainsi que de classer les différentes disciplines qui s‟occupent de la problématique de l‟élevage. Il est clair que les objets d‟étude peuvent se situer à différents niveaux. Chacun des processus productifs peut être vu, le système famille-exploitation ou un « système agraire » où un ensemble de propriétés qui interagissent sur un territoire donné peuvent être étudiées. Au vue de nos connaissances et de notre expérience, le niveau exploitation n‟a presque jamais été pris en compte dans l‟étude de ces systèmes. Identifier les pratiques qui s‟appliquent au niveau du système famille-exploitation n‟est pas usuel. Ainsi les modèles qui sont proposés et les thèmes de réflexion et d‟échange rarement se placent à ce niveau, sinon ils décrivent ou modélisent la conduite de quelques processus productifs sans les intégrer à la trajectoire globale du système famille-exploitation (Cournut et Dedieu 2004 ; Romera et al. 2004), ou analysent l‟environnement externe aux exploitations, marchés, climat, technologie, etc. Il s‟agit donc d‟un autre défi qu‟il faut relever : identifier, modéliser et évaluer (Landais et Balent, 1993) ces stratégies, à la suite de Holland (1998) qui affirme que le fait qu‟un phénomène soit régulier ne veut pas dire qu‟il soit facile à reconnaître ou à expliquer.

Lorsque nous parlons de stratégies, à quoi est-ce que nous référons- nous ? :

L‟élaboration relativement précise et opérationnelle sur ce que comprend l‟idée de stratégie suppose une comparaison de son utilisation chez différents auteurs. Lossouarn (2003) indique que « la stratégie consiste à coordonner des moyens hétérogènes et des actions différentes afin d‟atteindre des objectifs généraux », « il s‟agit de l‟une des prérogatives du chef de l‟entreprise ». Hubert et al. (1994) dans leur analyse de la gestion alimentaire des ovins se réfèrent à la stratégie comme « notre perception de la finalité qui donne un sens aux différentes actions techniques ». Ces deux définitions montrent bien l‟usage le plus fréquent de ce mot. Il se définit comme une description « des objectifs généraux ou finalités » qui indiquent le cap à suivre ou le sens d‟un ensemble d’actions.

Par ailleurs, Morin (1980) montre la différence qui existe entre la stratégie et le programme. Il indique que le programme est un ensemble prédéterminé d‟actions, alors que la stratégie se réfère à un ensemble d‟actions alternatives qui seront mises à exécution en accord avec le déroulement des événements qui ne sont pas encore prévisibles. Dans ce sens, il considère qu‟une stratégie fait appel à l‟intelligence car il faut intégrer dans le fonctionnement d‟un système, d‟événements qui ne sont pas prévisibles à l‟avance. Holland propose une définition précise : « une prescription qui nous indique quoi faire…, qui spécifie une séquence de décisions », qui est à mettre en parallèle avec celle de « pratique ». Landais et Deffontaines (1990) définissent « la pratique comme une action », « une manière de faire », et quant à sa dimension ces auteurs disent qu‟il s‟agit d‟un « concept à géométrie variable, selon le point de vue et l‟objectif recherché ».

Lorsqu‟il s‟agit de décrire des actions collectives nous parlons de « conventions », de « normes », « d‟institutions » ou de « formes de coordination », (Champredonde 2001; Casabianca et Vallerand 1993; Batten 2006; Fernández

Giménez et Swift 2003; Moran et Orstrom 2005) pour indiquer qu‟elles se développent dans des situations distinctes.

Dans notre cas, nous avons assimilé ces différentes manières de nommer les descriptions d‟actions, soit individuelles, soit collectives, à la « stratégie » ou « règles de décision » (Axelrod 1984 ; Holland 1998), qui est comprise comme une description de ce qui est fait dans différentes circonstances ou scénarios. Nous pouvons ainsi décrire les actions qui ne sont pas précédées d‟une décision, définies comme des « règles générales » par Marshall et al (1994), qui sont appliquées dans n‟importe quelle circonstance, ainsi que les « règles d‟adaptation » qui sont précédées d‟une décision et d‟un critère qui définit son application. Comme nous le verrons plus loin, l‟utilisation de diagrammes d‟activité UML permet de représenter ces séquences d‟actions et de décisions pour qu‟elles soient communicables, rigoureuses et peu ambiguës.

c. Le niveau d’abstraction « analytique » ou « résolution »

Dans ce cas, nous avons à nouveau été renvoyés vers les objectifs de la modélisation. Le défi était de modéliser et de simuler l‟interaction des différentes stratégies au niveau exploitation avec le fonctionnement des processus biologiques et économiques, dans des exploitations influencées par le devenir de facteurs se trouvant hors d‟atteinte de l‟éleveur et formant « l‟environnement » de l‟exploitation, à l‟exemple du climat ou des variables économiques. Dans la littérature nous pouvons trouver d‟innombrables modèles qui décrivent la dynamique et les résultats des processus physico- biologiques par rapport à différentes situations, ce qui, joint à des paramètres qui décrivent (le résultat) des décisions, ainsi que des circonstances économiques, permet de décrire l‟évolution des exploitations. Toutefois, les modèles qui simulent la prise de décision sont bien moins utilisés. La paramétrisation propose généralement le résultat d‟une décision, comme par exemple l‟usage d‟engrais, de suppléments pour le bétail, etc., mais

contrairement à la simulation, il n‟y a pas de description du mécanisme grâce auquel ces décisions sont prises. Dans le cadre d‟une gestion d‟exploitation normale, des décisions différentes sont élaborées lors de circonstances différentes et les résultats obtenus varient simultanément.

Le niveau d‟abstraction « analytique » qui doit donc être appliqué dans ce cas est celui qui avec le minimum de détails (Moss et Edmonds 2005) permet de représenter différentes stratégies, le processus productif et l‟environnement des exploitations. Il faut également maintenir un niveau de cohérence pertinent entre les différentes parties du modèle. Si l‟objectif est d‟améliorer la compréhension au sujet de quelques processus essentiels, il n‟est pas nécessaire de rechercher un affinement très important de certains de ses composants, de façon disproportionnée par rapport au reste du modèle (Axelrod 1997), ou un ajustement rigoureux de son fonctionnement avec l‟information disponible (Holland 1999). Cet aspect des choses, c‟est-à-dire le choix de l‟essentiel au sein d‟une pléthore de modèles physico-biologiques disponibles, peut être particulièrement important lorsque des processus biophysiques, qui mettent à disposition une information très détaillée, sont inclus (Attonaty et al. 1990). Ces décisions concernant le niveau d‟abstraction « analytique » sont à mettre en relation avec les possibilités de plus tard:

i. communiquer le fonctionnement et les résultats du modèle,

ii. utiliser une information anecdotique pour confirmer ses résultats avec iii. vérifier le fonctionnement interne du modèle (Edmonds et Moss 2004), d‟une manière fiable et facile.

Un autre des critères essentiels provient surtout de la pratique. Il n‟était pas possible de mettre en place un modèle dont la codification entraînerait un travail important de l‟informaticien disponible, à savoir Pierre Bommel, et comme ces mêmes auteurs le disent, des problèmes pratiques sont toujours présents mais ils n‟empêchent pas une utilisation profitable de ces outils.

« un modèle doit servir un propos, des modèles universels ne sont pas faisables. Le modèle doit être construit avec un nombre correct de détails, avec un minimum de détails afin d‟atteindre les buts qui ont été fixés, il s‟agit donc plus d‟un art que d‟une science » p7287.

Des composantes subjectives apparaissent inévitablement lorsqu‟il faut choisir les modèles à utiliser (Checkland 1990). Legay (1997) quant à lui affirme que :

« je veux insister sur le choix du modèle… Il y a une part importante de libre arbitre… C‟est à ce moment que la culture, l‟histoire professionnelle, les motivations et l‟expérience du chercheur entrent en jeu, et que la marge de manœuvre dont il dispose peut être utilisée de différentes manières, y compris par des influences idéologiques ».