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DES MODALITES DE MISE EN OEUVRE DIVIERSIFIEES ET DES VERTUS CERTAINES

3. Les trois vertus du débat public

Nombreux sont les auteurs qui font part d’un certain scepticisme à l’égard des expériences de concertation et de participation. Ils soulignent que l’intégration de la participation aux processus de production des politiques de transport et de déplacement a finalement peu d’influence sur le contenu des plans et des actions (GAUTHIER, 2005) ou une portée très variable selon les expériences (GUILBOT, 2004 ; FRERE, 2005). Les modalités d’organisation du débat public sont certes très variables, nous l’avons noté, mais dans les démarches de Plans de déplacements urbains conduites à Grenoble et à Lyon, dans une moindre mesure à Lille, il existe des «vertus » au débat public qui constitue de véritables apports à la construction du contenu du PDU. Ces apports sont de trois ordres.

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Concernant la révision du PDU de Lille, il semble que le processus d’élaboration envisagée laisse de côté les modalités de débat public, mais privilégie la mise en place d’un comité (politique) de pilotage et la constitution de plusieurs groupes de thématiques de travail dans lesquels on retrouvera des élus. Cependant, la CUDL ne semble pas envisager l’intégration d’acteurs associatifs ou privés.

Le débat public permet aux AOTU de prendre le pouls de la population et ainsi d’éviter la contestation au moment de l’enquête publique ou de la réalisation des actions préconisées. Dans cette perspective, le débat public, qu’il prenne une forme intégrée ou non intégrée, permet d’éviter des conflits et de rendre des projets acceptables. Les campagnes de presse et les réunions d’information visent principalement à atteindre cet objectif de réduction des tensions. Le cas de Grenoble le montre, s’engager dans une démarche de concertation, fusse-t-elle approfondie et permanente, ne constitue en aucune manière une garantie d’éviter les contestations au cours de l’enquête publique, ni les recours devant les tribunaux administratifs.

L’apport peut être de nature « substantielle » et alimenter le contenu du projet de PDU. Le débat public peut favoriser l’émergence de nouvelles thématiques d’action ou permettre la mise au point de compromis entre les points de vue en présence (apport démontré également par LOUVET, 2004 et 2005). Il peut devenir en effet un lieu d’articulation entre une expertise associative et une expertise technique. Cette vertu a été relevée à Grenoble et à Lyon.

Enfin, cet apport peut relever d’un véritable apprentissage collectif. La théorie de politiques publiques (notamment la version qu’en propose Pierre MULLER) montre que le préalable à toute action collective est l’identification en commun du ou des problèmes à traiter. Ainsi le lancement d’un Plan de déplacements urbains oblige à se poser la question de savoir si le problème à traiter est celui d’une amélioration de l’offre globale de transports tous modes confondus, s’il relève d’une stratégie de report modal dont l’objectif est de limiter les effets de la circulation automobile sur l’environnement, ou s’il s’intègre dans une perspective de maîtrise de la mobilité au moyen d’une meilleure articulation des projets d’urbanisme et de déplacements. Mais cette identification du problème à traiter ne passe pas uniquement par l’adoption de nouvelles stratégies cognitives, elle suppose aussi un « enrôlement » des acteurs (CALLON, 1986), amenant ces derniers à sortir d’une attitude de « narrow cognition », autrement dit de repli sur leur prés carré (STONE, 1993). Le débat public favorise alors de nouveaux positionnements des acteurs publics et privés. Nous avons montré comment ce débat permettait le développement d’une culture commune aux acteurs publics appartenant à une même administration. La construction de référentiels communs en matière de déplacements ou mieux encore de mobilité peut impliquer à côté les membres d’un même « réseau thématique », dont les membres appartiennent tant à l’administration publique, qu’au secteur privé, ou aux Chambres consulaires. La vertu du débat public est l’acculturation des techniciens et des élus aux problématiques propres à l’action collective dans le domaine de la mobilité. Nous avons parfois qualifié cette acculturation d’institutionnelle et de rampante. Cette vertu a été relevée non seulement à Lille, mais également à Grenoble et Lyon. Elle est moins explicite et rarement pressentie comme telle par les AOT.

Ainsi, l’apport du débat public à la production d’un PDU peut être considéré comme :

Un apport direct, lorsque le débat permet d’alimenter le contenu des PDU (diagnostic, stratégies).

Un apport indirect, lorsqu’il permet de modifier les perceptions et le positionnement des acteurs, et plus précisément d’inciter les acteurs institutionnels à développer une culture commune du PDU afin de mieux échanger avec la société civile.

4. Les facteurs d’émergence du débat public

La décision de recourir de manière plus ou moins importante aux dispositifs dits « participatifs » peut découler de choix politiques – c’est le cas à Bordeaux et à Lille. La présence au sein des conseils municipaux d’élus « verts » ou d’anciens militants associatifs est favorable au développement de la concertation. Dans d’autres situations – c’est le cas à Grenoble, mais aussi – la concertation répond à une exigence d’un milieu associatif particulièrement bien organisé et à l’état d’une société civile « arrivée à maturité ». Nous développerons ici le cas de Grenoble, parce qu’il nous semble représentatif des nouveaux rapports qui s’établissent aujourd’hui entre décideurs politiques et représentants de la société civile.

L’agglomération grenobloise est connue pour le foisonnement du milieu associatif. A côté des unions de quartiers, qui sont regroupées au niveau de l’agglomération dans une fédération et qui sont les interlocuteurs des municipalités pour les aménagements de proximité, il existe des associations spécialisées. Parmi celles-ci, il faut citer la Fédération Rhône-Alpes de Protection de la Nature (FRAPNA) qui intervient d’abord sur les questions de protection des espaces naturels et qui progressivement étend son champ d’action à tout ce qui a trait à la pollution. Il faut citer aussi l’Association pour le développement des transports en commun (ADTC) qui œuvre de longue date pour la promotion des transports collectifs (tramway puis train-tram) et des modes doux. Il faut aussi citer une série d’associations qui représentent des intérêts particuliers : fédération de cyclotourisme, unions de commerçants, opposants à un projet particuliers, associations d’usagers…

Ce milieu associatif, extrêmement diversifié, s’est mobilisé à la fin des années 1980 pour contester le tracé de l’autoroute A51 qui doit relier Grenoble à Sisteron. Les associations, au premier rang desquelles la FRAPNA et l’ADTC, réussissent à fédérer les comités de riverains, la profession agricole et les élus locaux autour d’un projet alternatif d’aménagement du réseau routier existant (passage à trois voies ou à 2x2 voies de la route nationale). A cette occasion, les militants associatifs établissent des relations avec les élus, non seulement les conseillers municipaux du parti Vert, mais aussi les maires communistes de banlieue et le député-maire socialiste Didier Migaud qui, après les élections municipales de 1995, accède à la présidence de la communauté d’agglomération (DUARTE, NOVARINA, 2001).

Le débat sur le Plan de déplacements urbains est indissociablement lié au projet, en phase pré opérationnelle, de réalisation d’une rocade autoroutière (par la Nord), avec

création d’un tunnel sous la Bastille. Mais cette rocade est perçue par les associations comme un tronçon de l’A51, puisqu’ils participent tous les deux à la réalisation d’un nouvel axe autoroutier devant permettre de relier l’Europe du Nord à la Méditerranée, axe qui doublerait la Vallée du Rhône à l’Est. Le lancement du Plan de déplacements urbains intervient dans un contexte de controverses à propos de nouvelles infrastructures autoroutières. L’organisation d’un débat public apparaît comme une nécessité incontournable. Les élus y voient non seulement un moyen de désamorcer les oppositions, mais aussi de mobiliser le potentiel de connaissance et d’expertise qu’ils ont repéré dans le monde associatif. La Métro est à la recherche d’une position de médiation entre la Ministère de l’Equipement qui, à travers le Dossier de Voirie d’Agglomération, fait de la rocade Nord l’unique moyen de résoudre les problèmes de déplacements au sein de l’agglomération et les associations qui, arguant le retard pris par les transports collectifs, sont opposées à tout nouvel investissement en matière de voirie. Le recours à une expertise contradictoire et la construction de scénarios prend tout son sens dans ce contexte.