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Chapitre III. Les réplications des systèmes chimiques inorganiques

III.2. Stabilité des phases minérales

III.2.2. Réplication en phase aqueuse des systèmes chimiques des phases minérales

III.2.2.1. Le vert-de-gris

Beaucoup de composés peuvent se retrancher derrière l’appellation vert-de-gris. Le vert-de-gris était un ingrédient souvent utilisés dans les collyres. Etudier la fabrication du vert-de-gris antique doit permettre de mieux appréhender la composition des collyres à base

d’aerugo. Ensuite, nous nous sommes intéressés à ses réactions possibles avec d’autres

23Site de téléchargement du logiciel MEDUSA : https://www.kth.se/en/che/medusa/downloads-1.386254

127 ingrédients comme les composés de plomb et de zinc dans différents milieu aqueux. Les systèmes chimiques ont été préalablement simulés à l’aide du logiciel MEDUSA, puis répliqués et analysés.

Lors de la fabrication des collyres pendant l’Antiquité, l'utilisation du vin et du vinaigre est aussi décrite, parfois seulement pour l'application des collyres. Cette pratique peut conduire la formation des sels organiques, comme les acétates et tartrates. Mais comme le vin ou le vinaigre de l'antiquité étaient plutôt un mélange d’acides organiques avec du sucre, la formation de sels organiques n’est pas à exclure. En général, la formation des sels organiques est souvent l’objectif de la pharmacie moderne parce qu’ils ont un meilleur taux de pénétration dans l’organisme. L'orotate de zinc a, par exemple, une très bonne biodisponibilité. Le citrate de zinc est commercialisé comme complément alimentaire source de zinc aidant, entre autre, à lutter contre la dégénérescence maculaire25.

La synthèse du vert-de-gris

Combiné avec les sels de plomb et de zinc, les produits de corrosion de cuivre sont mentionnés dans des recettes antiques pour la préparation des collyres. Ces produits de la corrosion du cuivre sont rassemblés sous l’appellation « vert-de-gris ». Le mot vert-de-gris peut donc regrouper l’ensemble des sels du cuivre de couleur bleu-vert. Aujourd’hui, il existe deux différentes significations du mot : l’acétate du cuivre, sel acide (Cu₂(OAc)₄), et la patine verte recouvrant les objets en bronze et composée de carbonates de cuivre. Ces carbonates de cuivre peuvent être la malachite (Cu2(CO3)(OH)2), ou sa forme amorphe la georgeïte, l’azurite (Cu3(CO3)2(OH)2), et la chalconatronite (Na2Cu(CO3)2•3(H2O)).

La malachite est un minéral vert qui peut être synthétisé par différentes voies et qui est le carbonate de cuivre le plus stable dans l'eau ou une atmosphère humide (Kokes et al., 2014). Elle est considérée comme dangereuse et provoque des graves irritations des yeux, mais aussi des irritations cutanées26. La georgeïte est la forme amorphe de la malachite. De couleur bleu pâle, sa formule est Cu2CO3(OH)2.6H2O. Sa stabilité dans l’eau est plus faible que la malachite (Kondrat et al., 2016). Selon Pollard et al., les conditions dans lesquelles la réaction est effectuée sont déterminantes pour que ce carbonate basique soit formé (Pollard et

25 http://www.webbernaturals.com/product/zinc-citrate/

26 Commission des normes, de l'équité,de la santé et de la sécurité du travail :

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al., 1991). Ils décrivent seulement la production de la georgeïte par mélange de solution de

cuivre avec des solutions de carbonates.

Toujours d’après Pollard et al. (1991), il est indispensable d'agiter le mélange pendant trois heures minimum, avec une protection contre l'évaporation, pour produire de la malachite. Sans agitation, mais avec une protection contre l'évaporation, et avec la présence de sodium, la réaction conduit à la formation de chalconatronite. La chalconatronite, décrite par la formule Na2Cu(CO3)2.3(H2O), est un minéral vert pâle27. Elle compose la patine verte sur le bronze ancien.

Le sel acide du cuivre, l'acétate de cuivre, est un sel vert pétrole, décrit par la formule Cu(CH3COO)2. C’est un sel connu comme pigment vert, mais aussi pour son effet fongicide. Des solutions concentrées d'acétate de cuivre sont dangereuses pour la santé et provoquent des graves lésions oculaires. Une des méthodes pour la fabrication de l'acétate de cuivre est la réaction des carbonates de cuivre avec l'acide acétique.

Dans les textes de Pline l’Ancien, on trouve aussi des informations sur l'utilisation et la fabrication du vert-de-gris :

« On fait aussi un grand emploi du vert-de-gris. Il se prépare de plusieurs

manières : tantôt on le détache tout formé du minéral d’où on tire le cuivre par le feu ; tantôt, on perce le cuivre blanc, on le suspend dans des tonneaux, sur du vinaigre ; ces tonneaux sont fermés avec un couvercle de cuivre ; le vert-de-gris ainsi obtenu est bien meilleur que celui que donnent les écailles. Quelques-uns plongent des vases de cuivre blanc dans des pots de terre remplis de vinaigre, et ils les raclent au bout de dix jours. D’autres les couvrent de marc de raisin, et les raclent après un nombre pareil de jours. D’autres arrosent de vinaigre la limaille de cuivre, et les remuent plusieurs fois par jour avec des spatules, jusqu’à dissolution complète. D’autres aiment mieux triturer cette même limaille avec du vinaigre, dans des mortiers en cuivre. Mais la méthode la plus prompte, c’est de jeter dans du vinaigre des rognures de cuivre coronaire. On falsifie le vert-de-gris, surtout celui de Rhodes, avec du marbre pilé. »

129 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, livre 34, 26,

traduit par M. E. Littré.

Par la lecture de l’œuvre de Pline, nous comprenons que le vert-de-gris de l'antiquité était plutôt caractérisé par sa couleur verte. C'est la raison pour laquelle Pline l’Ancien ne précise pas de différences entre les carbonates et les acétates, si ce n’est la qualité de l’aerugo de synthèse. Pour les recettes de l’Antiquité, cela signifie qu’il est difficile de savoir si

l’aerugo correspond à un carbonate ou un acétate du cuivre. De la Roja et al. ont décrit des

méthodes de synthèse du vert-de-gris à partir de recettes anciennes conduisant à la fabrication d’acétate de cuivre (de la Roja et al., 2007). Dans les procédés qu’ils ont testés, le cuivre est mis en présence de vapeurs de vinaigre, de marc de vin, ou encore de chlorure d’ammonium et d’urine.

Pline l’Ancien décrit plusieurs méthodes pour la fabrication du vert-de-gris avec le cuivre et le vinaigre. D'après lui, la fabrication du vert-de-gris serait possible en mélangeant le cuivre broyé avec du vinaigre. On peut affirmer, sans nul doute, que cette méthode va conduire à la formation de l'acétate de cuivre. Pline l’Ancien parle également du vert-de-gris naturel que l’on peut racler sur des statues en bronze ou des plaques de cuivre. Etant donné que l'acétate de cuivre est un minéral très rare dans la nature il est probable que les produits raclés en surface de métaux soient plutôt un carbonate de cuivre. De même, la dernière phrase de l’extrait de Pline l’Ancien cité plus haut parle de mélange de cuivre avec du marbre pilé. En effet comme le marbre est un carbonate de calcium, la réaction entre du cuivre et une source de carbonate peut conduire à la formation de carbonates de cuivre de type malachite.

Pour comprendre les systèmes chimiques des collyres il est donc nécessaire de comprendre la signification du mot vert-de-gris et les composés chimiques qui peuvent se cacher derrière cette appellation. Les connaissances de l’Antiquité sur le vert-de-gris vont être le point de départ de la définition des conditions de réplication des collyres.

Expériences et résultats

Les méthodes chimiques ainsi que les matériaux utilisés ont été choisi de façon à rester proche des protocoles antiques. Les mélanges pour la réplication des systèmes chimiques des collyres ont été faits dans un mortier. Certaines réactions ont été protégées de l'évaporation par un film alimentaire. Enfin, après synthèse tous les produits ont été séchés dans une étuve à la température de 45°C.

130 L’ensemble des expériences menées est résumé dans le tableau III-9. Pour la fabrication de carbonates de cuivre, nous avons choisi d’utiliser différentes sources de carbonates : du carbonate de sodium, de la craie broyée, de la coquille d’œuf entière et broyée et des coquillages qui sont mis en contact avec du sulfate de cuivre.

L'acétate de cuivre a lui aussi été synthétisé par différentes méthodes inspirées de procédés anciens et modernes et en utilisant différentes sources de cuivre. Les sources du cuivre employés sont le cuivre métallique, la malachite (carbonate basique de cuivre) et l’hydroxyde de cuivre. La source d’ions acétates est l'acide acétique, présent dans le vinaigre antique.

Les analyses des poudres obtenues ont été réalisées par spectroscopie Raman. Le manque de cristallinité et les mélange des phases obtenues ont rendu les analyses XRD testées très difficile à interpréter, celles-ci ne seront donc pas exploitées ici.

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Tableau III-9. Description des expériences de synthèses de vert-de-gris menées à partir de différentes sources de carbonates et de cuivre.

No° Source des carbonates ou du cuivre

Quantité Conditions Observations Produits identifiées

par spectroscopie Raman V1 V1.2 Na2CO3 1 g CuSO4 , 1,1 g Na2CO3, 60 ml H2O,

Solutions des deux sels (solution carbonate pH= 11 ; solution sulfate ph=4) mélangées (pH=8) dans un bécher, agitation magnétique à température ambiante

Précipitation immédiate d’une poudre bleue en mélangeant les solutions

Georgeïte ?

V2 Na2CO3 0,3 g CuSO4 , 0,3 g Na2CO3,

20 ml H2O

Solutions des deux sels mélangées dans un bécher complètement fermé avec un film alimentaire, agitation magnétique à température ambiante

Précipitation immédiate d’une poudre bleue en mélangeant les solutions. Après un jour la suspension a complètement changé sa couleur en vert Malachite Cu2(CO3)(OH)2 V2.1 Na2CO3 0,5 g CuSO4 , 0,5 g Na2CO3, 20 ml H2O

Solutions des deux sels mélangées dans un bécher complètement fermé avec un film alimentaire à température ambiante

Précipitation immédiate d’une poudre bleue en mélangeant les solutions. Après un jour la suspension est entièrement verte

Malachite Cu2(CO3)(OH)2 V3 Coquille d'œuf broyée 3 g coquille d'œuf broyée, 3,1 g CuSO4 40 ml H2O

Coquille d'œuf broyée dans un bécher avec sulfate de cuivre et 40 ml H2O, agitation magnétique à température ambiante pendant 24h

La coquille d'œuf broyée se colore en bleu pale. Formation d'un précipité en deux phases. Une phase supérieure, une poudre et une phase inférieure des grains de dimensions différentes Gypse, Antlerite Cu3SO4(OH)4 Brochantite Cu4SO4(OH)6 Langite Cu4SO4(OH)6

V3.2 Coquille d'œuf demi-coquille d'œuf,

40 ml solution saturé en sulfate de cuivre

Coquillage dans un bécher avec solution saturé en sulfate de cuivre à température ambiante

La coquille d'œuf se colore en vert. Après 5 jours elle est complètement vert émeraude Gypse, Antlerite Cu3SO4(OH)4 Brochantite Cu4SO4(OH)6 Langite

132 Cu4SO4(OH)6 V4 Coquillages broyés (Cardiidae) 3 g coquillages broyés, 3,1 g CuSO4, 40 ml H2O

Coquillages broyés dans un bécher avec sulfate de cuivre et 40 ml H20, agitation magnétique à température ambiante pendant 24h

Les grains se colorent en bleu pale. Formation d'un précipité en deux phases. Une phase supérieure, une poudre ; et une phase inférieure, des grains Gypse Sulfate de cuivre basique V 5 Coquillage (chapeau chinois) 1 coquillage, 40 ml solution saturée CuSO4

Coquillage dans un bécher avec solution saturé du sulfate de cuivre, chauffé à 70°C

Le coquillage se colore en vert. Après 4 heures il est complètement vert Brochantite Cu4SO4(OH)6 Gypse V5.1 Coquillage (coquille Pétale blanc) 1 coquillage, 40 ml solution saturée CuSO4

Coquillage dans une boîte de Pétri avec solution saturée du sulfate de cuivre à température ambiante

Le coquillage se colore en vert pétrole. Après 5 jours il est complètement vert pétrole et brillant à l'extérieur et à l'intérieur vert émeraude Sulfate de cuivre CuSO4 Brochantite Cu4SO4(OH)6 V6 Craie 2 g craie 2,1 g CuSO4 40 ml H2O

Craie broyée dans un bécher avec du sulfate de cuivre et 40 ml H20, agitation magnétique à température ambiante pendant 24h

Précipitation immédiate d’une poudre vert-bleu pâle en mélangeant les solutions et la solution se décolore. Le précipité se colore en vert pale en 24h Gypse, calcite V7 Cuivre métallique en poudre 0.5 g Cu 20 ml CH3COOH 100 %

Cuivre en poudre dans un bécher avec de l’acide acétique pendant 2 semaines avec une agitation par jour

Après 2 jours la solution se colore en vert pétrole.

Après une semaine le cuivre se colore en vert pétrole

133 V8 Cu(OH)2 0,5 g Cu(OH)2

20 ml CH3COOH 100 %

Hydroxyde de cuivre en poudre mélangé dans un bécher avec CH3COOH.

Agitation magnétique à température ambiante pendant 15 minutes

Réaction forte et immédiate en mélangeant les deux produits, fort dégagement gazeux.

Formation d'une poudre verte pétrole partiellement en solution

Acétate de cuivre

V9 Malachite 1 g malachite 20 ml CH3COOH 100 %

Carbonates basiques de cuivre en poudre mélangés dans un bécher avec CH3COOH. Agitation magnétique à température ambiante pendant 15 minutes

Réaction forte et immédiate en mélangeant les deux produits, fort dégagement gazeux.

Formation d'une poudre verte pétrole partiellement en solution

134 La solution de sulfate de cuivre mélangée au carbonate de sodium (Na2CO3) a conduit à la formation de carbonates de cuivre. Lorsque la solution n’est pas recouverte, des échanges avec l’atmosphère sont possibles ce qui influe sur le système des carbonates obtenus (H2O/CO2, HCO3- et CO32-). Le produit formé, de couleur bleue, est peu cristallin (figure III-22). Le spectre Raman, de très faible intensité, pourrait être celui de la georgeïte, la forme amorphe des carbonates de cuivre. Lorsque le cuivre est exposé à une source de carbonates sans échange avec l’atmosphère, nous avons observé la formation de malachite (figure III-22b). Lorsque le mélange est soumis à l’agitation magnétique, les grains de malachite formés sont hétérogènes en taille et en forme (figure III-23a). Sans agitation, les grains de malachite formés sont de taille homogène d’environ 20 µm (figure III-23b). La malachite a été identifiée par spectroscopie Raman et par comparaison du spectre mesuré à un spectre de cristal de malachite issu de la base de données Raman Rruff (figure III-24). L’exposition de cuivre à de la poudre de marbre pourrait donc être un procédé antique de synthèse de malachite, ou du moins de carbonates de cuivre. Cependant il est nécessaire que la poudre de marbre soit suffisamment fine pour que les carbonates se solubilisent.

L’exposition de cuivre à une source d’acétate conduit systématiquement à la formation d’acétate de cuivre comme nous l’avions supposé. L’aerugo de synthèse devait donc être l’acétate de cuivre.

A contrario, l’utilisation d’une source de carbonates comme la coquille d’œuf ou les

coquillages n’a pas conduit à la formation de carbonates de cuivre. Les carbonates ne se solubilisent pas et une réaction entre le cuivre et les anions est alors impossible. Cependant, le sulfate de cuivre s’est déposé à la surface de la coquille, en particulier sous la forme de brochantite, le sulfate de cuivre basique (Cu4SO4(OH)6) (figure III-25).

Figure III-22. Résultats de la réaction entre Na2CO3 et CuSO4 (voir tableau III-9). A gauche l’expérience V1 avec agitation à l’air libre. A droite l’expérience V2 sans agitation et couvert pendant l’expérience.

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Figure III-23. Image au microscope optique de la différence de cristallinité de la malachite en fonction de l’agitation (voir tableau III-9). A gauche, l’expérience V2, avec agitation. Les grains de malachite sont plus gros et hétérogène en taille et en forme. A droite, l’expérience V2-1 sans agitation. Les grains de malachite sont plus petits (environ 20 µm) et plus réguliers.

Figure III-24. Spectre Raman de la malachite synthétisée par la réaction V2 (voir tableau III-9) et le spectre de référence de la malachite issu de la base de données Rruff28.

Figure III-25. Résultats de la réaction entre différentes source de carbonates (coquillages à gauche V4 et V5, coquille d’œuf à droite V3.2, voir tableau III-9) et le sulfate de cuivre.

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