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Chapitre I. Introduction au soin des yeux

I.3. Les collyres retrouvés en contexte archéologique

I.3.2. Les collyres retrouvés dans le reste du monde romain

I.3.2.1. Les collyres retrouvés à Viminacium (Serbie)

Nous savons peu de choses sur les collyres retrouvés à Viminacium. La publication de Korats est l’unique référence dont nous disposions (Korats, 1986). Viminacium était la capitale de la Mésie sous l’Empire romain. Cette ancienne grande cité antique se situe dans l’actuelle Serbie. Le site archéologique s’étend sur 450 hectares. La découverte qui nous intéresse concerne l’une des tombes de la nécropole.

La tombe exhumée devait être celle d’un médecin, et sans doute plus précisément celle d’un médecin spécialisé dans le soin des yeux. Outre les collyres conservés dans une boîte en bronze, les archéologues ont retrouvé des outils chirurgicaux dont une aiguille supposée être utilisée pour l’opération de la cataracte (figure I-21 et I-22). La boîte contenait aussi des « pastilles » : il s’agit de petites boules de pâtes écrasées dont la composition et l’utilisation restent inconnues. Les deux flacons balsamaires qui accompagnaient l’ensemble pouvaient contenir des onguents ou des liquides thérapeutiques.

La boîte en bronze de Vimnacium contenait trois collyres estampillés et six pastilles. Deux des petits pains portent l’inscription « P genal croco » (figure I-22, objets 10 et 11). Korats suppose que l’expression intégrale s’apparente à « P(astillus) (ad) genal(es) croco(des) », ce qui peut se traduire par « Pastille au safran pour les paupières ». Danielle Gourevitch propose une autre interprétation du « P » initial (Gourevitch, 1998). Il pourrait

49 correspondre à penicillum. Cette hypothèse s’appuie sur les inscriptions des cachets à collyres retrouvés (Pardon-Labonnelie, 2009).

Le troisième collyre porte l’estampille Stactum (figure I-22, objet 12). Ce nom évoque peut-être son mode d’utilisation : il signifierait « instillée en gouttes ». Il pourrait également désigner un collyre contenant du cuivre (Pardon Labonnelie, 2014).

A l’époque de la découverte, aucune analyse n’a été réalisée dans le but de déterminer la composition chimique des collyres. Malgré de nombreuses tentatives, nos demandes pour analyser les collyres sont demeurées infructueuses. La composition de ces collyres estampillés restera donc pour le moment inconnue.

Figure I-21. La boîte en bronze de Viminacium et son contenu au moment de l’ouverture (Korats, 1986).

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Figure I-22. Dessins extraits de la publication de Korats représentant l’ensemble découvert dans une tombe à Viminacium. On y retrouve les trois collyres estampillés numérotés 10, 11, 12 ainsi que le lot de pastilles numéroté 13.

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I.3.2.2. Le collyre conservé au Musée Romain-Germanique de Cologne (Allemagne)

Le collyre estampillé de Cologne est l’unique exemplaire retrouvé dans l’actuelle Allemagne. Il est conservé au Musée Romain-Germanique de Cologne (figure I-23). Il est fragmenté et il porte une inscription latine interprétée comme étant C. Cass(ii) Doryp(hori)

(diamy)sus ad diat(hesis) et traduite par « médicament de Cassius Doryphore à base de misy

contre les maladies des yeux » (von Stokar, 1941).

Figure I-23. Photographie du collyre incomplet de Cologne (von Stokar, 1941). L’importance des reflets sur la photographie est due au vernis protecteur dont le collyre a été enduit, sans doute pour sa conservation.

Son nom indique qu’il est « à base de misy ». Ce composé mystérieux est souvent assimilé au minerai de cuivre ou au sulfate de cuivre. L’analyse réalisée en 1939 nous donne des indications sur la composition du remède. Il comporte de la céruse, de l’oxyde fer et de l’alun dans sa fraction minérale et des traces d’arnica et de graisse de porc dans sa fraction organique (von Stokar, 1941). L’analyse ne nous permet pas d’en apprendre d’avantage sur la nature de ce collyre.

Tout comme pour le corpus de Viminacium, il nous a été impossible d’analyser le collyre de Cologne avec nos techniques. La législation allemande en matière de rayons X rend quasi-impossible l’utilisation d’une instrumentation conçue en laboratoire. Nous ne pourrons donc donner plus de précisions sur sa composition.

I.3.2.3. Les collyres conservés au Musée National Atestino d’Este (Italie)

La « tomba del medico » a été découverte vers la fin du XIXe siècle à Morlungo, en Vénétie. Son contenu exceptionnel est conservé au Musée National Atestino de la ville d’Este. Parmi les trente-six objets extraits de cette sépulture, les archéologues ont retrouvé une boîte cylindrique contenant quatorze collyres et douze fragments (Bonomi, 1984).

52 Les objets de la « tomba del medico » nous renseignent sur les activités et le statut social du défunt. Celui-ci a été enterré avec ses instruments médicaux. Les archéologues ont également exhumé les fragments d’une statuette d’Eros en ambre, ainsi que des perles et des lampes. L’objet le plus original de la tombe est sans aucun doute un cadran solaire portatif. Cet objet rare atteste du statut social et de l’ouverture culturelle et scientifique du défunt (Pardon-Labonnelie, 2014).

Cette collection impressionnante d’objets comporte deux collyres inscrits avec la même empreinte stactu / (a)dclar. L’appellation stactu était déjà présente sur le troisième collyre de Viminacium. Soit les autres remèdes ne portaient pas d’empreinte, soit celle-ci s’est effacée avec le temps. De premières analyses par fluorescence X et spectrométrie Raman portables ont été réalisées par Elsa Van Elslande, (LAMS) et l’équipe de Maria Cristina Gamberini (Université de Modène) en 2012.

Figure I-24. L’ensemble des collyres retrouvés dans la tombe du médecin de Morlungo. Les collyres C1 et C2 sont estampillés stactu (photographie E. Van Elslande).

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I.3.2.4. Pompéi : des collyres retrouvés ?

Une cité telle que Pompéi devait accueillir un grand nombre de médecins comme le démontre les divers instruments médicaux retrouvés lors des fouilles archéologiques. Les excavations ont mis au jour des boîtes en bronze s’apparentant aux trousses de médecins antiques.

Dans un ouvrage dédié aux collections du Musée Archéologique de Naples (Bliquez, 1994), l’auteur nous fait part de l’existence d’une trousse en bronze exposée dans le musée et qui contiendrait toujours des « pilules ».

Des étuis cylindriques ont également été découverts dans « la maison du chirurgien », notamment « un large nombre de boîtes cylindriques contenant des bâtonnets de médicaments » (Bliquez, 1994).

Des observations similaires ont été faites lors de l’inventaire du mobilier de la « casa del medico nuovo » où plusieurs tubes contenaient toujours des médicaments. Les descriptions données dans Bliquez (1994) ne fournissent pas d’informations supplémentaires ni de photographies.

Malgré l’inventaire des collections de Pompéi, la localisation de ces collyres potentiels reste difficile. La richesse des collections de Pompéi en regard de la petite taille des collyres et du manque de connaissances de leur usage ancien pourrait expliquer le manque d’informations disponibles sur la localisation possible de ces objets. Ils sont aujourd’hui égarés, probablement à cause de leur petite taille et du manque de connaissances sur l’usage ancien de ces petits pains.