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Chapitre II. Stratégie analytique et dispositifs expérimentaux

II.2. Présentation des techniques analytiques mises en œuvre

II.2.1. Spectroscopie Raman

II.2.1.1. Principe

La spectroscopie Raman est une technique analytique non-destructive de caractérisation structurale des matériaux. Elle repose sur le principe de diffusion inélastique de la lumière par la matière. En pratique, cela consiste à envoyer une lumière monochromatique sur l’échantillon, et à analyser la lumière diffusée à une longueur d’onde différente. L’onde monochromatique excitatrice va induire une déformation du nuage électronique en fonction de la polarisabilité de la liaison, ou des liaisons correspondantes. Si la liaison est polarisable, il y a formation de ce qu’on appelle un « dipôle induit ». La molécule passe de l’état fondamental vers un état électronique virtuel pendant une très courte durée, puis elle se désexcite pour revenir à l’état fondamental (figure II-1). Cette désexcitation de la molécule peut se faire de trois façons différentes. La plus commune est la diffusion élastique dite « diffusion Rayleigh ». Dans ce cas, la désexcitation entraîne un retour au même niveau électronique que celui de départ, la fréquence de l’onde émise correspond donc à celle de l’excitatrice. Dans le cas de la diffusion Raman, la désexcitation se fait à une fréquence

69 inférieure ou supérieure à la fréquence de l’onde excitatrice, c’est-à-dire une diffusion inélastique, appelée respectivement diffusion Stokes ou anti-Stokes.

Figure II-1. Schéma des différentes transitions énergétiques pouvant se produire lors de l’exposition de la matière par une source excitatrice monochromatique d’énergie E0= hν0 ainsi qu’une illustration du spectre résultant présentant les diffusions Raman Stokes et anti-Stokes ainsi que la diffusion Rayleigh.

Les bandes vibrationnelles observées sur un spectre Raman correspondent à ces déplacements en fréquences par rapport à la diffusion Rayleigh. Celle-ci représente le point zéro du spectre. La fréquence excitatrice peut varier selon le laser utilisé, l’indexation des bandes Raman est donc réalisée par les écarts en fréquences par rapport à la diffusion Rayleigh. L’unité de ces déplacements est le nombre d’onde noté 𝜈𝜈̅ (wavenumber sur les spectres présentés dans ce travail). 𝜈𝜈̅ est exprimé en centimètre puissance moins un (cm-1). Il est égal à l’inverse de la longueur d’onde par rapport à l’excitatrice, exprimée en centimètres.

Il est possible d’utiliser aussi bien les bandes Stokes que les anti-Stokes pour caractériser la matière car elles sont symétriques par rapport à la raie Rayleigh. Cependant, les transitions anti-Stokes se font à partir de niveaux énergétiques initiaux moins peuplés que celui concerné par les transitions Stokes (d’après la loi de distribution de Boltzmann). La probabilité d’une transition anti-Stokes est donc plus faible que celle d’une transition Stokes et les raies Stokes sont plus intenses que les raies anti-Stokes (figure II-1). L’effet Raman est particulièrement faible ˗ environ à un photon sur 106 photons envoyés initialement. La mesure des signaux les plus intenses est privilégiée : seules les raies Stokes sont donc étudiées. Leurs intensités sont liées au nombre de molécules diffusantes, aux « sections efficaces » de chacun des modes de vibration, ainsi qu’à la longueur d’onde excitatrice. En effet, d’une façon générale le signal Raman est proportionnel à 1/λ4 où λ est la longueur d’onde excitatrice.

70 Parallèlement à ces phénomènes de diffusion élastique et inélastique, il peut exister un autre phénomène, cette fois-ci parasite pour un spectroscopiste Raman : il s’agit de la fluorescence. Dans ce cas, la transition ne se fait pas vers des niveaux vibrationnels virtuels, mais vers les niveaux électroniques excités (figure II-1). Ce phénomène de fluorescence présente des rendements beaucoup plus intenses que la diffusion Raman, et conduit alors à des émissions intenses qui masquent le signal Raman. La fluorescence est habituellement intense lors de l’analyse de matières organiques avec des excitations dans le visible (Pasteris, 1989). Sur les matériaux du patrimoine, souvent altérés ou contaminés par des micro-organismes à cause de l’enfouissement ou de l’exposition, ce phénomène de fluorescence peut empêcher de mesurer le signal Raman. La fluorescence peut s’atténuer au fur et à mesure de l’exposition au faisceau incident excitateur et, ainsi, permettre l’enregistrement du signal Raman. Une autre possibilité pour diminuer l’émission de fluorescence est d’utiliser une excitatrice d’énergie trop faible pour induire de la fluorescence. C’est le cas pour les lasers émettant dans le proche infrarouge, par exemple à 1064 nm. La plus faible intensité Raman ˗ car proportionnelle à 1/λ4

˗ pourra être en partie compensée par l’utilisation d’une plus forte puissance laser d’excitation, moins énergétique à ces longueurs d’onde, dans la limite du respect de l’intégrité de l’échantillon.

Les fréquences d’élongation peuvent être estimées par la loi de Hooke. Dans l’application de cette loi, deux atomes et leur liaison sont considérés comme un simple oscillateur harmonique composé de deux masses reliées par un ressort (figure II-2). La fréquence de vibration de la liaison dépend de sa force et des masses des atomes qu’elle relie.

Figure II-2. Une liaison chimique peut être représentée comme un ressort de raideur k entre deux atomes de masses m1 et m2 distants d’une longueur r.

L’équation suivante, dérivée de la loi de Hooke, donne la relation entre la fréquence d’oscillation, les masses atomiques et la constante de force de la liaison :

𝛎𝛎� = 𝟐𝟐𝟐𝟐𝟐𝟐𝟏𝟏𝐤𝐤 𝛍𝛍

71 ν� = fréquence de vibration (cm-1)

c = vitesse de la lumière (cm/s)

k = constante de force de la liaison (dyne/cm) µ = masse réduite µ = mx.my/(mx+my)

On peut remarquer qu’elle augmente avec la force de la liaison (k), et diminue quand la masse des atomes augmente. Les liaisons entre deux atomes « lourds » seront plus difficilement déformées et donc les fréquences Raman émises ne seront que peu décalées par rapport à celle de l’excitatrice. Cela signifie que les composés constitués d’éléments lourds possèdent des bandes Raman dans les basses fréquences. Etre capable d’observer les basses fréquences, au plus près de la diffusion Rayleigh, permet donc de mieux caractériser les liaisons chimiques des éléments lourds et en particulier celles impliquant des métaux.

La diffusion Rayleigh est extrêmement intense en comparaison des bandes Raman. Il faut donc un dispositif capable de filtrer la Rayleigh au plus près. Il existe plusieurs systèmes de filtrage, basés sur l’utilisation de filtres holographiques qui sont apparus dans le commerce à la fin des années 1990 pour remplacer les systèmes « monochromateurs » (Barbillat et al., 1999).

Les premiers filtres, dits « notch », sont des filtres holographiques qui rejettent de façon sélective une partie du spectre, tout en transmettant toutes les autres longueurs d'ondes (figure 3). Ils sont constitués de multicouches de gélatine (Barbillat et al., 1999). Ces filtres permettent généralement d’observer les raies Stokes et anti-Stokes pour un déplacement Raman supérieur à 120 cm-1 (ou inférieur à -120 cm-1). De par leur constitution organique, sensible à l’humidité et à la lumière, les filtres notch ont une durée de vie limitée d’environ quatre ans.

La deuxième génération de filtres, datant du début des années 2000, sont des diélectriques multicouches (Futamata, 1996). Ces filtres, appelés « edge », ne permettent d’observer que les raies Stokes, à partir d’environ 80 cm-1 (figure II.3).

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Figure II-3 Différents modes de filtration de la diffusion Rayleigh en fonction de l’utilisation de filtre notch (à gauche) et de filtre edge (à droite) (image issue de http://www.omegafilters.com).

La dernière génération de filtres apparue au début des années 2010 permet d’aller couper la diffusion Rayleigh au plus près. Ces filtres caractérisés par une coupure ultra-étroite sont des miroirs de Bragg holographiques gravés dans un verre photosensible. Ils sont stables dans le temps et les bandes Raman sont observées à partir de 5 à 10 cm-1 (Lin et al., 2016).

Dans le cadre de cette étude, l’observation des basses fréquences est d’un grand intérêt pour la caractérisation des phases minérales contenues dans les collyres qui sont souvent à base de métaux lourds. Il est donc souhaitable d’utiliser une instrumentation permettant l’observation des basses fréquences.