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Chapitre I. Introduction au soin des yeux

I.2. Les médicaments ophtalmiques à l'époque romaine

I.2.4. Métaux lourds : thérapeutique et toxicité

Comme nous l’avons vu précédemment, les grandes civilisations antiques méditerranéennes utilisaient fréquemment des dérivés métalliques comme cosmétiques ou médicaments. Le plomb était sans doute le plus souvent utilisé. Sous diverses formes, nous avons vu précédemment qu’il entrait dans la composition du khôl égyptien. D’après des études fondamentales sur l’actions de certains sels de plomb sur des cellules de la peau, le plomb pouvait effectivement remplir un rôle thérapeutique (Tapsoba et al., 2010). Dans les recettes gréco-romaines, on rencontre le plomb sous différentes formes et appellations. L’usage du carbonate de plomb cerussa, par exemple, était très répandu.

Dans l’Antiquité, les médecins employaient de nombreux dérivés du cuivre. Il existe plusieurs façons de les préparer ce qui conduit à différentes appellations. Le zinc est utilisé sous forme supposée de dérivé carbonaté. Enfin, les recettes relatent l’utilisation de pierre hématite, l’oxyde de fer rouge. D’autres métaux sont ponctuellement utilisés comme l’arsenic ou le mercure mais restent beaucoup plus rares que les quatre métaux cités précédemment (cf chapitre 4). Par ailleurs, le plomb, le cuivre, le zinc et le fer ont continué à être utilisés en cosmétique et pharmacie pendant des siècles. Dans la Pharmacopée universelle de Jourdan, de nombreuses recettes pour la préparation des remèdes ophtalmiques sont présentées

37 (Jourdan, 1828). L’auteur évoque l’utilisation de sels de plomb, de cuivre ou du zinc dans ses recettes. Le sulfate et l'oxyde de zinc, les sulfates et l'acétate de cuivre et enfin l'acétate de plomb sont les sels qui y sont indiqués les plus utilisés.

I.2.4.1. Usage des métaux dans la pharmacie et la cosmétique

L’usage des métaux en cosmétique et en pharmacie a largement perduré jusqu’à aujourd’hui. Le cuivre est un oligo-élément nécessaire à la formation de notre squelette, de nos tendons et de nos cartilages. Indispensable à bien d’autres biomécanismes, il est donc important de ne pas développer de carence en cuivre. Le cuivre est aussi utilisé comme médicament lors d’infections. C’est à la fois un antibactérien et un antiviral. D’après Orsoni-Dupont, le cuivre « favorise la formation d’anticorps, a une activité anti-inflammatoire, est

un excellent antioxydant [...], aide à la pénétration du fer dans l’organisme, agit dans le métabolisme du calcium et du phosphore et augmente l’activité de la vitamine C »

(Orsoni-Dupont, 2009). Les dérivés de cuivre sont nombreux et largement employés en cosmétique. Le sulfate de cuivre est, par exemple, utilisé pour entretenir la peau15.

Le zinc est également un oligo-élément indispensable au bon fonctionnement du corps humain. Nécessaire dans la synthèse des protéines, il accélère la cicatrisation de la peau, active les défenses immunitaires et favorise la vision nocturne (Orsoni-Dupont, 2009). Il est souvent prescrit comme traitement des maladies de la peau. Par voie orale, le zinc régule la concentration de cuivre dans l’organisme. Les cosmétiques modernes sont souvent constitués d’oxyde de zinc (ZnO) car il possède des propriétés antibactériennes, déodorantes et même une action anti-UV, sans oublier un fort pouvoir couvrant15.

Le fer joue un rôle essentiel dans le métabolisme de l’hémoglobine et de l’oxygène. C’est un macroélément, c’est-à-dire qu’il est présent dans notre corps dans des quantités facilement mesurables. Une carence en fer provoque une anémie qui entraîne de la fatigue, du stress et une baisse des défenses immunitaires. En cosmétique, ce sont surtout ses oxydes qui sont utilisés comme colorants rouges, jaunes, oranges et verts15.

Le mercure est depuis longtemps employé en médecine pour ses propriétés antiseptiques. Paracelse, supposé médecin du XVIème siècle de notre ère, le recommandait pour soigner la syphilis. Sa forme la plus connue en pharmacie est la merbromine, commercialisée sous le nom « Mercurochrome ® ». Cette molécule est interdite en France

15 Informations recueillies sur le site internet de l’observatoire des cosmétiques, service de presse en ligne :

38 depuis 2006 pour éviter toute intoxication au mercure. Cependant, ce métal reste présent comme conservateur dans certains collyres liquides et dans certains vaccins.

L’arsenic est quant à lui plutôt connu comme poison efficace. Cependant, employé en dose thérapeutique, il aide à soigner de nombreuses maladies dont une des formes rares de la leucémie.

I.2.4.2. Le plomb : médicament ou poison ?

Très présent dans la pharmacopée jusque dans les années 1970, il est aujourd’hui exclu de tous les médicaments et de tous les produits cosmétiques et son utilisation est extrêmement restreinte. Le plomb, si souvent utilisé auparavant, est-il uniquement un poison pour notre organisme ?

Le plomb pénètre dans l’organisme par voie respiratoire ou digestive. Ce n’est pas un élément naturellement présent dans l’organisme qui ne peut le différencier des autres cations métalliques. Il se fixe d’abord sur les globules rouges, puis dans les organes. Le plomb bloque alors l’activité enzymatique. Son accumulation dans l’organisme est à l’origine de la maladie appelée « saturnisme ». Ses effets toxiques se ressentent sur les organes, sur le système nerveux et sur les os. Il se substitue au calcium dans le squelette et reste présent pendant plusieurs décennies dans le corps. Son élimination par le foie ou les reins est très lente (Huel, 2003;Wexler, 2014).

Pourtant, le plomb et ses dérivés ont été utilisés très tôt dans toutes les civilisations. C’est un élément ductile facile à travailler et abondant sur notre planète. Il était employé lors de la fabrication d’outils ou comme adjuvant dans d’autres alliages métalliques. Il était également utilisé comme pigment, dans la peinture et dans les cosmétiques. Le khôl est connu pour être l’exemple de cosmétique au plomb le plus ancien (cf partie I.2.4). L’oxyde de plomb était aussi utilisé pour colorer les cheveux. Cette recette est commercialisée aux Etats-Unis sous l’appellation « Grecian formula ». Il peut réagir avec le soufre contenu dans les cheveux pour former des particules de galène noires (Walter et al., 2006). Les tests de toxicité de la

Food and Drugs Administration ont démontré son innocuité en tant que colorant capillaire.

Enfin, la céruse a été utilisée pendant des siècles comme pigment pour blanchir le teint.

Truong a rédigé une thèse de pharmacie regroupant les médicaments et/ou cosmétiques au plomb utilisés de l’Antiquité à nos jours (Truong, 2001). Elle cite une étude, menée par Dairi qui prouve une activité antistaphylococcique du sulfure de plomb (Dairi,

39 1991). L’usage des composés de plomb prévient la croissance bactérienne ce qui confère des propriétés antimicrobiennes au métal. L’utilisation de cosmétiques au plomb n’était donc pas dénuée de sens et aidait à lutter contre les infections oculaires. Tapsoba et al. sont arrivés aux mêmes conclusions en étudiant les propriétés antiseptiques des composés au plomb présents dans les préparations antiques égyptiennes (Tapsoba et al., 2010).

Cependant, la majorité des écrits médicaux s’accorde sur le fait que l’ingestion de composés au plomb est dangereuse pour la santé. Dès l’Antiquité, Pline l’Ancien met en garde ses lecteurs contre la toxicité du plomb16. Cependant d’après Bauer, le taux de pénétration du plomb en usage externe n’est pas suffisant pour entraîner une intoxication (Bauer, 2002).

L’usage du plomb et de ses dérivés comme antibactériens se révèle être justifié bien que de nombreux autres composés puissent remplacer ce métal. Dans le cas des collyres, le prélèvement réalisé sur le médicament était ensuite dissout dans un liquide. Le faible taux de dissolution des dérivés du plomb rendait la quantité effective de plomb infinitésimale lors de l’instillation. Ainsi, ces quantités ne sont sans doute pas suffisantes pour provoquer une intoxication, mais elles pourraient constituer une protection contre le développement microbien.