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Chapitre I. Introduction au soin des yeux

I.2. Les médicaments ophtalmiques à l'époque romaine

I.2.2. Textes et recettes antiques de collyres

I.2.2.5. Focus sur la partie inorganique des collyres

Il existe plusieurs types de composés inorganiques dans les recettes antiques. Les premiers sont les métaux et les sels métalliques. Les métaux utilisés pour leurs propriétés

6 Le fiel d’hyène, de taureau et d’animal sauvage entre dans la composition d’un seul collyre chacun, les deux premiers dans deux recettes rapportées par Marcellus Empiricus et le dernier dans une recette de Cassius Felix. Le castoréum est utilisé dans trois recettes rapportées par Celse, dans une recette de Scribonius Largus et cinq recettes de Marcellus Empiricus.

32 thérapeutiques sont le cuivre, le zinc, le plomb, le fer et l’antimoine. Les autres composés inorganiques sont des sels, des terres et des roches.

Le cuivre et ses dérivés

Le cuivre se retrouve dans les recettes sous différentes appellations. En latin, le cuivre ˗ et vraisemblablement le bronze ˗ se dit aes (Pardon-Labonnelie, 2006). Le cuivre est utilisé brut, sous forme d’écailles ou de fleur de cuivre. Dans certaines recettes, le mot grec est utilisé dans sa version originale chalcis. D’après Pline l’Ancien, le chalcis correspond au minerai brut dont sont extraits trois composés, le cuivre, le sory et le misy7 (Nissen, 2009). Le

cuivre et ses dérivés sont souvent « brûlés ». Les termes employés sont usti ou combusti, « brûlé ou complètement brûlé » ou encore combusta donec rubea efficiatur, « brûlé jusqu’à ce que le minerai roussisse » (Fraisse, 2002). Les deux oxydes de cuivre formés peuvent être la ténorite noire (CuO) et la cuprite rouge (Cu2O). Le sory est noir et pourrait donc correspondre à la ténorite. Le misy est décrit comme un composé jaune. Il pourrait s’agir d’un alliage cuivreux comme, par exemple, le laiton.

Le vert-de-gris est également un composé fréquemment utilisé. En latin, il n’existe qu’un seul mot pour le désigner : aerugo. Cependant, ce produit de corrosion, dont la couleur va du vert au bleu, se décline en plusieurs produits. D’après Pline l’Ancien8, l’aerugo peut désigner aussi bien le vert-de-gris naturel, issu de la corrosion du cuivre (dont les produits varient en fonction de l’atmosphère), que le vert-de-gris synthétique. Le premier est un mélange de plusieurs carbonates hydratés de cuivre, et en particulier de la georgeïte (Cu2(OH)2CO3). L’atacamite (Cu2Cl(OH)3) est elle spécifique d’un environnement pouvant apporter des chlorures, comme une atmosphère marine. Selon la recette de Pline9, le deuxième vert-de-gris, l’acétate de cuivre (Cu2(OAc)4), est obtenu par immersion de lames de cuivre dans des jarres de vinaigre. L’aerugo est également brûlé dans certaines recettes, conduisant à la formation des oxydes de cuivre.

L’atramentum est le dernier composé de cuivre décrit comme ingrédient des collyres antiques. Il a souvent été traduit par « vitriol » ou « noir de cordonnier ». Il s’agirait de sulfate

7 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 34, 29.

8 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 34, 26.

33 de cuivre en solution (CuSO4). D’après Pline l’Ancien, il provient de lacs chargés de cette matière10, l’eau étant évaporée pour obtenir le noir de cordonnier séché.

Le zinc et ses dérivés

La cadmia, que nous traduirons par cadmie, est un terme d’origine grecque rattaché aux composés de zinc. La cadmia est souvent associée à la calamine, un mélange de silicates et de carbonates de cuivre (Zn4Si2O7(OH)2•(H2O), Zn5(CO3)2(OH)6 et ZnCO3). Les Romains ne connaissaient pas le zinc en tant que métal. D’après Pline l’Ancien11, la cadmia contient souvent du cuivre. Il décrit l’obtention de différents composés dans les fourneaux : lors de la combustion du cuivre et de la cadmia, une poudre blanche se dépose sur le plafond du four. Dans l’Antiquité, ce dépôt était appelé pompholyx ou spodium. Ce composé est sans doute l’oxyde de zinc (ZnO) (cf partie IV.4.2).

Le plomb et ses dérivés

Le plomb métallique était connu des civilisations antiques. Il était facilement identifiable par sa masse plus élevée que celle des autres métaux. L’appellation plumbum regroupe deux types de « plomb » dans l’Antiquité : le plomb blanc et le plomb noir12. Pline l’Ancien décrit le plomb blanc comme un sable recueilli à même le sol. Il pourrait s’agir de plomb métallique, ou d’un mélange de dérivés de plomb. Le plomb noir est celui associé à l’argent. Ce minéral dont on extrait l’argent est la galène, le sulfure de plomb (PbS).

Le dérivé du plomb le plus présent dans les recettes de collyres antiques est sans aucun doute la cerussa ou encore psymithion. Pline l’Ancien13 explique que la cerussa provenait soit de gisement naturel (probablement sous forme de cérusite (PbCO3) soit elle était synthétisée. La deuxième voie de production consistait en la suspension de lames très fines de plomb au dessus d’une jarre de vinaigre. Les lames se dissolvaient progressivement dans le vinaigre, puis étaient triturées et lavées pour obtenir la cerussa. Un autre procédé décrit par Pline l’Ancien se décomposait en deux phases. La première phase était l’immersion de pains de plomb dans des jarres fermées remplies de vinaigre pendant 10 jours. Puis dans un deuxième temps, les pains de plomb étaient ressortis et le composé blanc formé à leurs surfaces était raclé. Ce procédé était à répéter jusqu’à transformation complète du plomb de départ. Welcomme a réalisé cette expérience en ajoutant une source de carbonates dans le vinaigre et

10 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 34, 32.

11 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 34, 22.

12 Pline l’Ancien, Histoire Naturelle, 34, 47.

34 en faisant varier le pH de la solution (Welcomme, 2007). Ce procédé conduit principalement à la formation d’hydrocérusite (2PbCO3.Pb(OH)2) mais également de plumbonacrite (Pb5O(CO3)3.Pb(OH)2) et de cérusite (PbCO3). Il est possible que les Grecs et les Romains aient été capables de produire un seul de ces carbonates de plomb par synthèse. Sous le terme

cerussa, nous regroupons surtout deux carbonates de plomb, la cérusite et l’hydrocérusite.

Les sels minéraux

Certaines recettes font appel à l’utilisation de sels. Trois sels sont cités parmi les recettes étudiées. Le premier est le sal fossilis, c’est-à-dire le sel gemme ou chlorure de sodium (NaCl) extrait des mines de sels disséminées dans l’Empire romain. Le deuxième sel cité est le nitrum, on peut supposer qu’il s’agit du sel de pierre nommé « salpêtre » (KNO3). Le dernier sel nommé est le sal ammoniaci, le sel ammoniac. Parfois confondu avec les deux autres sels précédemment évoqués, il s’obtient par combinaison de sel marin (NaCl) et d’alcali volatil (NH4OH)14.

Les terres

La seule terre évoquée dans les recettes étudiées ici est la terre aster provenant de l’île de Samos. Elle est réputée pour avoir des propriétés médicinales (Marganne, 1995). D’après Dioscoride, elle guérit des morsures et venins, arrête les vomissements de sang et prévient la transpiration (Société-de-Naturalistes-et-d'Agriculteurs, 1819). Il s’agit vraisemblablement d’une terre argileuse.

Les pierres

La pierre aisément identifiable est la pierre haematis. Cette roche de couleur noire ou rouge est l’oxyde de fer (Fe2O3). Très utilisée comme pigment, l’hématite donne une couleur rouge prononcée à toute préparation. Les pierres dites « fissiles » et « scissiles », correspondraient à la pierre d’alun citée dans les recettes de collyres sous le nom alumen. Marcellus Empiricus et Scribonius Largus précisent que ce minéral en particulier doit être fissile ce qui laisse penser que les pierres fissiles et scissiles sont en fait de l’alun. Les autres pierres sont beaucoup plus difficilement identifiables. La pierre de Phrygie, la pierre d’Asie, la pierre de Chypre peuvent correspondre à une grande quantité de nombreuses roches différentes qu’il est difficile d’identifier.

14 Site internet de l’Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers :

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