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Vers une approche multifonctionnelle des expérimentations de biodiversité

Nous nous sommes concentrés au cours de ce travail sur un des processus écosystémiques les plus étudiés dans les expérimentations de biodiversité : la production de biomasse qui est considérée comme le support de nombreux autres processus écosystémiques. Toutefois le fonctionnement des écosystèmes repose sur un ensemble de processus qui peuvent agir de manière indépendante. Ceci laisse à penser qu’il serait intéressant à l’avenir d’orienter les expérimentations de biodiversité vers une échelle multifonctionnelle en intégrant l’effet des relations trophiques sur plusieurs processus écosystémiques (Reiss et al. 2009).

Des modifications de la structure fonctionnelle et de l’abondance des espèces de plantes dominantes ont été observées en réponse à l’identité fonctionnelle des communautés de criquets. Elles ont conduit à des changements de production de biomasse. On pourrait s’attendre à ce que d’autres processus écosystémiques que la productivité soient modifiés en fonction de l’identité fonctionnelle des communautés de criquets, tels que la décomposition de la litière (Schädler et al. 2003b; Wardle & Bardgett 2004) ou le cycle des nutriments notamment celui de l’azote en l’accélérant ou le ralentissant (Belovsky & Slade 2000). L’effet des insectes herbivores sur le cycle des nutriments peut être direct par l’excrétion des faeces qui permettent un retour des éléments chimiques dans le pool de matière organique du sol et qui vont en retour influencer l’activité des microorganismes du sol et la croissance des plantes (Vanni 2002; Wardle 2002; Frost & Hunter 2007). L’effet des insectes herbivores peut aussi être indirect et dépendre de leur sélectivité alimentaire qui modifie la composition des communautés de plantes et donc le type de matière végétale morte qui sera décomposée et qui permettra un retour des nutriments dans le sol (Olff & Ritchie 1998; Belovsky & Slade 2000) (Figure 6). En effet, le choix alimentaire des communautés d’insectes herbivores peut influencer la vitesse du cycle de la matière. Par exemple, les communautés de criquets favorisant les espèces de graminées à forte teneur en matière sèche pourraient ralentir la vitesse du cycle du carbone et de l’azote en réduisant le taux de décomposition de la litière. Cependant, les résultats préliminaires évoqués dans le chapitre 3 sur la dynamique du cycle de l’azote suggèrent également que d’autres processus peuvent entrer en compte pour comprendre l’effet des herbivores sur le cycle de l’azote. Les stratégies de conservation de la ressource des plantes via la présence d’organes de réserves pourraient moduler l’effet des insectes herbivores sur le cycle de la matière puisque nous observons une stimulation de la

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production de biomasse dans les traitements où les graminées sont favorisées. Ainsi il serait intéressant d’inclure dans l’étude des relations trophiques et de leur effet sur les processus écosystémiques les traits des plantes qui intègrent ces stratégies de réserves.

En modifiant le cycle des nutriments et leur disponibilité dans le sol pour les plantes, les herbivores pourraient se trouver eux même limités par la disponibilité de la ressource. Ceci nécessiterait une analyse sur le long terme des boucles de rétroaction de l’impact des herbivores sur la dynamique de la disponibilité de leur propre ressource. Dans notre expérimentation nous avons observé une résilience du système au cours de la première année de la perturbation occasionnée par l’herbivorie, qui s’est traduit par un retour à l’état initial de la structure des communautés de plantes au printemps suivant. En revanche après une seconde année de perturbation la composition fonctionnelle et la production de biomasse ont été significativement modifiées ce qui laisse à penser que les criquets peuvent influencer la dynamique de leur ressource.

Figure 6. Différentes conditions de modification du cycle de la matière et de production primaire au sol par les

herbivores. A) Ralentissement du cycle des nutriments et de la production primaire. B) Augmentation de la vitesse du cycle et de la production primaire. L'épaisseur des flèches reflète l'ampleur de la consommation et du cycle de la matière. Extrait de Belovsky & Slade 2000.

Les modifications de composition des communautés de plantes et du cycle des nutriments peuvent se transférer aux processus du sol. Les communautés de microorganismes du sol tels que les bactéries ou les champignons jouent un rôle primordial dans les cycles biogéochimiques pouvant influencer la croissance et la survie des plantes. Les relations plantes-microorganismes sont des relations complexes et les échanges mutuels d’éléments nutritifs entre ces espèces sont nécessaires à leur bon fonctionnement respectif. Souvent étudié de manière indépendante, l’effet de la biodiversité sur les processus écosystémiques peut dépendre des interactions entre le compartiment aériens et celui du sol (Van der Putten et al. 2001; Wardle 2002; Bardgett & Wardle 2003; Grime 2006). La consommation

187 de la matière organique par les microorganismes permet une libération du carbone et des substances minérales telles que l’azote ou le phosphore. Ces organismes possèdent un rôle important dans le recyclage de la matière organique en la rendant de nouveau disponible pour la nutrition des plantes. Ainsi la modification de la structure fonctionnelle des communautés de plantes pourrait en retour modifier le fonctionnement des communautés des microorganismes du sol (Figure 7). Dans les milieux productifs, les communautés de microorganismes sont majoritairement dominées par des bactéries et à l’inverse les milieux peu productifs sont majoritairement dominés par des champignons (Welker, Bowman & Seastedt 2001). Ainsi des changements de contenu en azote du sol dû à des modifications de composition végétale et de décomposition de la litière pourraient impliquer des changements de structure fonctionnelle des communautés de microorganismes. Il reste à explorer la façon dont la diversité et l’identité fonctionnelle des communautés d’herbivores modulent la structure fonctionnelle des communautés de microorganismes du sol et leur effet sur les processus écosystémiques.

Figure 7. Schéma illustrant l’effet indirect des herbivores sur les processus du sol. Adapté de Bardgett & Wardle

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