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Venise : La Fucina degli Angeli d’Egidio Costantin

L’ESPACE SOCIAL : LES ARTISTES RENCONTRÉS

2.3. LA RENCONTRE AVEC LES ARTISTES EN ITALIE 1 Rome : les futuristes et Parade

2.3.2. Venise : La Fucina degli Angeli d’Egidio Costantin

Egidio Costantini (1912-2007) a été l’artiste qui a su renouveler la tradition du verre de Murano dans la première moitié des années Cinquante, en lui donnant un nouvel élan en le projetant dans le domaine de l’art contemporain. Si sa première rencontre avec Jean Cocteau est advenue sur la Côte d’Azur pendant l’année 1954, c’est en Italie – et pour la précision à quadretti, tavole parolibere, e disegni in quantità. Tavolinetti, trabiccoli di legno e cavalletti ospitavano sopra, sotto e da ogni parte sculture, strani organismi costruttivi, complessi plastici polimaterici, mentre dal soffitto penzolavano elementi in filo di ferro dall’aspetto ermetico. Astrazioni di forme e coloti, dalle violente policromie complementari, sbucavano e bucavano le pareti, era un ambiente ossessionatamente ingombro, dove ogni cosa – compressa – forzava le pareti, il soffitto e il pavimento, quasi volesse evadere. “Questo non è uno studio, ma una scatola magica”, disse il Cocteau entrando, giovanilmente elastico come una molla a spirale »).

290 DI MILIA Gabriella, « Attraverso il teatro 1915-1917 », in BELLI Gabriella e GUZZO VACCERINO Elisa

(a cura di), La Danza delle Avanguardie, Milano, Skira, 2005, p. 150 (« [...] che propagandava il loro

superamento della pittura nella realizzazione di “complessi plastici” non oggettivi che, nell’eterogeneità di materiali diversi, come la celluloide, i vetri colorati, la carta velina, il cartone, la stagnola, le lamine metalliche e i fili di ferro, lana, seta e cotone, davano “scheletro e forma all’invisibile, all’impalpabile, all’imponderabile, all’impercettibile” »).

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Venise, lieu où Costantini a vécu et travaillé – que leur amitié artistique et professionnel c’est bâtie jusqu’à s’épanouir dans un lien proprement affectif, comme Costantini même a voulu le témoigner :

Quand il venait passer dix ou vingt jours à Venise, il séjournait dans ma famille. Lorsque nous nous promenions, il tenait mes deux petites filles dans ses bras, et à un pas devant se trouvait mon fils, et, deux pas plus en avant, moi.

Il ne permettait à personne d’approcher et si quelqu’un le faisait, il disait : « Vous ne voyez pas que je suis accompagné ? Avant de partir, je fais une conférence de presse, venez me voir ». C’était l’aristocrate dans sa forme absolue. Et pourtant il était d’une simplicité remarquable292.

Dès l’année 1950, Egidio Costantini fonde, sous forme de coopérative, le « Centre d’Études des Peintres de l’Art du Verre », avec un groupe d’artistes vénitiens. Il a comme objectif le désir de renouveler et relancer sur des bases nouvelles l’art du verre vénitien : le 18 avril 1953, le Centre réalise à Murano une exposition collective, et le même jour a lieu sa cérémonie inaugurale. Parmi les artistes qui exposent leurs œuvres, il y a Oskar Kokoschka, Le Corbusier, Alexander Calder, Henry Moore, Virgilio Guidi, Gino Severini. Désormais, pour Costantini il est clair que le renouvellement de l’art du verre de Murano peut se réaliser seulement à travers la haute maîtrise technique de ses maîtres verriers associée à une vraie qualité créatrice provenant des artistes ouverts à expérimenter nouveaux langages artistiques. Pourtant, son désir inépuisable de création se heurte à la mise en œuvre de projets difficiles à mettre en œuvre à cause des diverses personnalités qui composent le Centre. Motivation qui le pousse à donner vie à une petite équipe de travail et à établir personnellement les contacts avec les artistes. C’est dans ce nouvel élan qu’il décide d’approcher l’artiste le plus célèbre et accrédité du moment : Pablo Picasso.

Sur la date de la rencontre entre Picasso et Costantini, ainsi que sur l’identité de celui qui joue le rôle de médiateur, deux versions au moins ont cours. La première, nous pouvons la lire – en italien – sur le site Internet de la Fondation « La Fucina degli Angeli », à la voix « Biographie d’Egidio Costantini » :

292 RANDOM MICHEL – de WASSEIGE CORALIE, « Histoire d’une vie : Costantini, le troisième œil de

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En 1954 Egidio monte à Paris, il veut rencontrer un artiste qui soit ami de Picasso et qui puisse lui écrire une lettre de présentation : le peintre espagnol Pedro Flores se propose de l’écrire. […] De Paris Egidio rejoint Vallauris sur la Côte d’Azur, lieu de résidence de Picasso. De la rencontre entre les deux artistes, il ne naîtra pas simplement un accord de collaboration, mais une vraie amitié qui durera jusqu’à la mort de Picasso, survenue en 1973. […] Toujours dans ses voyages en France, Egidio connaît, devient ami et commence à collaborer avec Jean Cocteau, écrivain, poète, peintre, dramaturge et metteur en scène, et avec le poète André Verdet, tous les deux amis de Picasso293.

En particulier, dans le livre Egidio Costantini. Il maestro dei maestri, qui a accompagné la grande exposition que Bruxelles lui a consacré en 1990, il est précisé que la rencontre avec Picasso a lieu le 23 mars 1954 et qu’« En août, cinq mois plus tard, Costantini est de retour. Il apporte, réalisés en verre, le Flamenco et le Gufo. Picasso est enthousiasmé. Il embrasse Costantini. Une amitié solide est née qui va durer dix-neuf ans, jusqu’à la mort de Picasso. […] C’est quatre mois après la première rencontre avec Picasso que Costantini fait la connaissance de Jean Cocteau »294.

La deuxième version de cette rencontre est celle rapportée par André Verdet dans un article publié dans le catalogue d’une exposition italienne sur Costantini, où il affirme :

J’ai rencontré Egidio Costantini chez Pablo Picasso, à Cannes, dans les ateliers de La Californie, il y a longtemps. Le peintre venait de confier à Egidio, rénovateur de l’art du verre, la réalisation d’une série de petites divinités grecques dont les images ornaient les pages d’une œuvre intitulée « Faunes et Nymphes » de Pablo Picasso.

J’avais moi-même écrit le texte de ce recueil, et c’était Jean Cocteau qui, quelques mois auparavant, avait chaleureusement recommandé Costantini à Picasso. Il était présent aussi quand Costantini amena à Picasso les premières

293 GALLINA Marta, COMELLI Egidio, Una breve biografia di Egidio Costantini, Venezia, 2004, in

www.fucinadegliangeli.com (« Nel 1954 Egidio si reca a Parigi, vuole incontrare un artista che sia amico di

Picasso e che possa scrivergli una lettera di presentazione : il pittore spagnolo Pedro Flores si rende disponibile a scriverla. [...] Da Parigi Egidio si trasferisce a Vallauris sulla Costa Azzurra, sede della residenza di Picasso. Dall’incontro tra i due artisti non nasce semplicemente un accordo di collaborazione ma una vera e propria amicizia che durerà fino alla morte di Picasso, avvenuta nel 1973. [...] Sempre nei suoi viaggi in Francia Egidio conosce, diventa amico ed inizia a collaborare con Jean Cocteau, scrittore, poeta, pittore, drammaturgo e regista, e con il poeta André Verdet, entrambi amici di Picasso »).

294 RANDOM MICHEL – de WASSEIGE CORALIE, « Histoire d’une vie : Costantini, le troisième œil de

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pièces exécutées à Murano. Le parrainage de Picasso, de Cocteau et ensuite d’Arp porta bonheur à Costantini295.

Dans Le Passé défini relatif aux années 1954 et 1955, Cocteau ne dédie aucune réflexion ni à sa rencontre avec Costantini ni à son possible rôle de médiateur auprès de Picasso. Néanmoins, il nous dit que la nouvelle maison de Picasso à Cannes, La Californie, a été inaugurée par une crémaillère le 12 mai 1955 (PD IV, p. 122). Ainsi, si la rencontre Costantini-Picasso, dont se souvient Verdet, a vraiment eu lieu, il faut la situer après cette date d’inauguration, qui fait qu’elle se trouve décalée d’une année par rapport à l’autre version, et il faut noter que Cocteau prend ici la place attribuée au peintre espagnol Flores. Pourtant, le fait que dans son journal il n’y ait aucun commentaire ni renseignement sur la figure de Costantini et sa relation avec Picasso, nous fait accepter comme recevable plutôt la première version. Toutefois ce qui est sûr, car l’information vient directement d’Egidio Costantini, c’est que Cocteau donne bien le nom de « La Fucina degli Angeli » (« La Forges des Anges ») à sa nouvelle galerie d’exposition ouverte en 1955 dans le Campo San Filippo e Giacomo à Venise, une fois la rupture définitive avec le « Centre d’Études des Peintres de l’Art du Verre ». Elle ne sera pas seulement un espace d’exposition mais, aussi, un lieu de réflexion dans le domaine de l’art du verre contemporain :

Quand je lui ai dit que je voulais avoir un nom vraiment beau pour désigner mon activité, nous avons réfléchi pendant trois heures, et nous avons sorti les noms les plus étranges quand finalement, il s’est écrié : « J’ai trouvé, Egidio, on va l’appeler : la cuisine des anges, la Cucina degli Angeli ». Je suis resté un peu perplexe et il me dit : « Quoi, ça ne te plaît pas ce nom ? » Je lui répondis : « Oui, mais la cuisine des anges, les gens croiront que l’on y vient pour manger, que c’est un restaurant ». Il me dit : « Mais, sais-tu qu’il existe deux opéras qui portent ce nom ? Ainsi qu’une grande comédie américaine ? Et une œuvre au Louvre ? »

Oui, d’accord, mais on ne peut pas. Alors, il a réfléchi un instant et il a dit : « La forge des anges, La Fucina degli Angeli »296.

295 E. Costantini, Catalogue de l’exposition au Palazzo dei Diamanti, Comune di Ferrara, 8 dicembre-15 gennaio

1975, s. p. (« Ho incontrato Eugenio Costantini da Pablo Picasso, a Cannes, negli studi della California, molto

tempo fa. Il pittore aveva appena affidato a Egidio, rinnovatore dell’arte del vetro, la realizzazione d’una serie di piccole divinità greche le cui immagini abbellivano le pagine di un’opera intitolata ‘Fauni e Ninfe’ di Pablo Picasso. Avevo scritto io stesso il testo di quella raccolta, ed era stato Jean Cocteau che, qualche mese prima, aveva calorosamente raccomandato Costantini a Picasso. Fu anche presente quando Costantini portò a Picasso i primi pezzi eseguiti a Murano. Il pedrinato di Picasso, di Cocteau e poi di Arp portarono [sic] fortuna a Costantini »).

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Or les liens que Cocteau établit avec Costantini au service de l’art du verre sont, tout de suite, assez forts, comme le témoigne déjà la figure de l’ange, conforme à son propre univers artistique. Dès le début des années Cinquante, le poète a commencé à utiliser de nouveaux moyens d’expression : la peinture à l’huile, le pastel, la tapisserie, le décor mural, la céramique. Comme il l'avoue lui-même dans son journal, la difficulté qu’il éprouve à écrire le pousse tout naturellement vers le dessin, qu’il pratique depuis l’enfance, et qu’il n’a jamais abandonné, sauf que, maintenant, la ligne est au service d’autres moyens expressifs. Ainsi quand Egidio Costantini lui propose de créer des œuvres en verre à partir de ses dessins, Cocteau en sera d’abord flatté et, au vu des résultats, très vite séduit : « La première œuvre née de leur collaboration fut un simple verre mais ce verre était d’une beauté étonnante »297, lit-on dans le catalogue de l’exposition de Bruxelles.

Plusieurs verres d’art furent dessinés par Cocteau et réalisés à Murano puis exposés ensuite à la « Fucina degli Angeli ». Par exemple, dans le même catalogue, on voit deux photographies, l’une d’un « Bicchiere » (« Verre ») datée 1956 et l’autre qui nous montre Cocteau en pose, appuyé sur une balustrade, tenant dans sa main gauche le même verre avec en fond l’église de La Salute (vu le contexte et le fond, nous pouvons déduire que la photographie a été prise sur la terrasse de l’Hôtel Bauer-Grünwald, où d’habitude Cocteau séjournait quand il était à Venise298). La visite à Venise de l’année 1956 est celle où Cocteau est sérieusement occupé à jouer son rôle d’artiste dans le renouvellement de l’art du verre, au

296 RANDOM MICHEL – de WASSEIGE CORALIE, « Histoire d’une vie : Costantini, le troisième œil de

Cocteau », in Egidio Costantini. Il maestro dei maestri, cit., p. 41.

297 Ibidem, p. 91.

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La terrasse sur le Grand Canal de l’Hôtel Baur-Grünwald, l’un des Grands Hôtels de Venise, permet une vue magnifique qui va de l’extrême droite – le pont de l’Accademia – jusqu’au Lido – à l’extrême gauche – en passant par le Palais Dario, le Palais des Lions du Musée Guggenheim, l’église de La Salute, la Pointe de la Douane, le Bassin de San Marc, la dernière pointe de l’île de la Giudecca, l’île de San Giorgio, l’île de San Servolo, ainsi que le profil qui, de Place San Marc, arrive jusqu’aux jardins de La Biennale. Peut-être que l’une des raisons pour lesquelles il lui reste fidèle, en plus de la qualité de l’accueil et de la beauté de la vue, c’est que plusieurs de ces endroits ont eu une puissante charge symbolique dans son imaginaire. Et la fidélité est si forte que, quand il vient le mois de septembre 1950 à présenter son film Orphée au Festival du Cinéma, il demande d’être logé à l’Hôtel Bauer plutôt qu’à l’Hôtel Des Bains ou à l’Excelsior au Lido (les deux Grands Hôtels de l’île sont les plus prisés par le monde du cinéma présent au Festival), comme nous l’indique la fiche de séjour que nous venons de retrouver parmi les documents conservés à l’ASAC. On note qu’on lui avait réservé « trois jours à l’Hôtel Bauer, en compagnie du producteur André Paulvé et de l’actrice Maria Casarès », La Biennale di Venezia, Fonds Mostra del Cinema, ASAC, Dossier Cinema francese, Boîte CM 16 BIS. Aussi, comme le suggère Elena Fermi dans sa Thèse Jean Cocteau et l’Italie : « Si, au début, le choix du poète avait été dicté par la position dans laquelle il était placé, il retourna ensuite toujours au Bauer du fait de la présence de Luigi Tortorella, l’un des concierges, un personnage mythique, sorte de dilettante de l’art dont la passion était en réalité la musique. Il était maestro de musique et écrivait des chansons dont beaucoup ont eu du succès. Jean Cocteau entretint avec lui une correspondance suivie jusqu’à la fin de sa vie, fit des dessins pour illustrer ses recueils de chansons et écrivit un poème qui constitua le texte de la chanson intitulée Venise que j’aime dont Luigi Tortorella avait composé la mélodie », cit., p. 37.

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point qu’il le note dans son journal – et c’est la seule trace dédiée à son apport personnel que l’on puisse lire dans les tomes du Passé défini publiés à ce jour :

Mercredi 18 juillet.

[…] Murano. Une admirable main-d’œuvre exécute miraculeusement sous nos yeux des bibelots laids à faire peur.

Demain matin, j’irais à Murano me rendre compte s’il est encore possible de faire sortir ces ouvriers célestes de leur routine, du style de Walt Disney, sorte de Saint-Sulpice d’aujourd’hui.

Jeudi 19 juillet.

Toute la matinée à Murano. J’avais d’abord été saluer la tombe de Diaghilev dans un cimetière qui ressemble aux merveilleux jardins sauvages d’une veille maison de famille. La fournaise. Les ouvriers, les perches à la main, déhanchés, demi nus, pareils aux gardes de Mantegna. Le maître verrier avec lequel je collabore pour qu’un service de verres s’approche le plus possible du dessin que je propose. Les aides qui apportent le miel incandescent du verre mou. On coupe, on colle, on mouille, on tourne, on émince, on souffle, on lisse, on imite les arabesques en sucre sur les gâteaux d’anniversaire. En fin de compte on emporte l’objet, à peine fini, sur une planche, vers les zones froides.

Pour sortir de l’atelier, il est indispensable de fermer la bouche, de retenir sa respiration, de s’envelopper le cou avec son mouchoir. La sueur chaude qui me baigne possède une fâcheuse tendance à se changer en glace au moindre courant d’air. (PD V, pp. 184-185.)

Ce séjour est très bien documenté par une série importante de photographies conservées dans le Fonds Jean Cocteau de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris. On voit le poète au pied du tombeau de Diaghilev, c’est-à-dire au cimetière de Venise situé dans l’île de San Michele. Nous le voyons ensuite dans un atelier de verrier, entouré d’Édouard Dermit et de Francine Weisweiller, en train de regarder attentivement le travail du maître verrier, ou de souffler à son tour dans un tube ou, encore, de jouer avec une paire de ciseaux à verre, en l’utilisant comme si c'était une parie de lunettes. Des souvenirs de moments gais, à l’opposé de ses réflexions sur la dégradation de la production verrière de Murano, que nous retrouvons reprises dans une interview qu’il donne avant de quitter Venise à Aldo Camerino, journaliste de Il Gazzettino, le quotidien de la ville :

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L’autre jour, à Murano, j’avais visité le musée du verre. Des pièces magnifiques. Quelle légèreté. Quelle grâce. J’ai fait un dessin, une pièce très légère. Ils ont essayé de le reproduire. Rien. Le maître verrier était bravissime. Mais ils se sont abîmés les mains, presque tous, en travaillant leurs verres lourds. J’ai dit que, chez nous, casser la première pièce que l’on réalise en se rapprochant d'un art pour la première fois est gage de réussite. J’ai jeté le verre dans le canal ; et j’ai trouvé cette excuse pour ne pas vexer l’ouvrier, bravissime. Mais ils sont obligés de faire ces danseurs de jazz, ces bibelots… Le verre doit être fin. Comment peut-on boire dans certains grands verres très épais ?299.

Enfin, voilà ce qui touche Cocteau dans l’art du verre : le fait que ce matériel puisse reproduire la légèreté de l’air, la restituer dans les formes mêmes les plus banales, par la maîtrise d’un travail artisanal quotidien qui, grâce à la perfection du geste à la fois technique et créateur, métamorphose les objets ordinaires en objets de l’art. Ainsi, cette image du verre artistique ne fait-elle que prolonger, dans un nouveau domaine, la pensée qui est à la base de toute son activité artistique : réactualiser la techné grecque, la seule capable de donner forme à l'idée. Pour cette raison, il exprime son amertume contre le fait que désormais il n’y a plus, selon lui, de vraies capacités techniques dans le travail du verre à Murano, à cause d’une production de plus en plus standardisée. Cela le pousse à écrire dans son journal, lors d’un nouveau séjour vénitien en 1958 : « Dimanche 10 août. À Murano, où nos maquettes se ridiculisent et deviennent méconnaissables, son centaure érotique [de Picasso] est presque réussi. La part de précision et d’imprécision qu’il [Picasso] dose dans ce qu’il touche autorise des étrangers à l’interpréter sans le trahir et, avouons-le, la puissance figurative qu’il imprime à ces formes les moins réalistes le sauve de toute faiblesse fantaisiste » (PD VI, p. 236). La déception, que Cocteau manifeste dans son aveu à propos de Murano, trahit son aptitude plus générale par rapport aux indolences des nouvelles générations, aux changements en cours dans la société, qu’il résume en un seul mot : « Dimanche 3 août. Carence du style de Murano. Et Tortorella me raconte que même les gondoliers se dévergondent » (Ibidem, p.

299 CAMERINO Aldo, « Illustri a Venezia. Jean Cocteau », Il Gazzettino, Sabato 28 luglio 1956 (« Célébrités à

Venise. Jean Cocteau », « L’altro giorno, a Murano, avevo visitato il museo del vetro. Pezzi stupendi. Che

leggerezza d’aria. Che grazia. Ho fatto un disegno, un pezzo leggerissimo. Hanno provato a riprodurlo. Macché. Il maestro vetraio della fornace era bravissimo. Ma si son sciupate le mani, quasi tutti, lavorando quei vetri pesanti. Ho detto che è un uso, da noi : che porta fortuna rompere il primo pezzo che si produce,