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UN DÉPART INÉDIT : « LA BIENNALE DI VENEZIA »

L’ESPACE ARCHITECTURAL : LES LIEUX VISITÉS

UN DÉPART INÉDIT : « LA BIENNALE DI VENEZIA »

À part une escapade dans la neige italienne, côté Alpes Maritimes, en décembre 1937, toujours en compagnie de son Passepartout Marcel Khill92, le grand retour de Cocteau en Italie se réalise, enfin, dix ans après, à la fin de l’été 1947, et le poète continuera à venir régulièrement en Italie jusqu’en 1958. Sa nouvelle fonction dans le monde du spectacle français (celle d’adaptateur de romans pour le cinéma et de metteur en scène), l’amène à revenir à Venise, grâce à son institution culturelle « La Biennale di Venezia », sommet intellectuel de la péninsule entière et rendez-vous des arts du XXe siècle93.

Mais revenons un bref instant en arrière. Après son « tour du monde » en compagnie de Marcel Khill, la Deuxième Guerre mondiale suspend en Europe le « temps social » d’échange entre les pays, et le remplace par celui des dictateurs avec leurs guerres. À Paris, sous l’occupation allemande, grâce à la rencontre quelques années auparavant de Jean Marais, étoile naissante dans le firmament du septième art, Cocteau commence à se consacrer corps et âme au cinéma, dans le rôle de dialoguiste d’abord, dans celui d’écrivain de scénarios ensuite, pour revenir, après ce long détour, à la mise en scène avec la réalisation de La Belle et la Bête (1946), nouveau départ, après le lointain Le Sang d’un poète (1930).

Voyons schématiquement cette période de plus près94 :

92 « […] au fait, je ne séjourne plus à Marseille […] Je suis dans la neige italienne, entraîné en michelines et en

fiacres de Fantômas par Marcel Khill, mon Passepartout du Tour du monde », article ayant pour titre « Tout finit par des chansons », 14 décembre 1937, in COCTEAU Jean, Poésie de journalisme, Paris, Pierre Belford, 1973, p. 98.

93 L’Organisme Autonome « La Biennale di Venezia », autonomie voulue par Mussolini en 1930 pour la

soustraire au pouvoir locale vénitien, est né en avril 1893 par volonté de la Municipalité avec le projet d’instituer une Exposition artistique nationale tous les deux ans, à partir du mois d’avril 1894. L’année suivante, la Mairie décide de la transformer en Exposition internationale. En 1928 s’ouvre l'Institut Historique d'Art Contemporain, le premier organisme des archives de La Biennale qui, en 1930, deviendra l’ASAC (Archives Historiques d’Art Contemporain). À partir de 1930, sous la présidence du Comte Volpi di Misurata, de nouveaux festivals vont naître : en 1930 c’est le Festival International de Musique Contemporaine qui voit le jour ; en 1932, L'Exposition Internationale d'Art Cinématographique et en 1934 le Festival International du Théâtre de Prose.

94 Pour ce qui concerne le cinéma, nous avons établi cette chronologie à partir de celle réalisée par RAMIREZ

Francis et ROLOT Christian, « chronologie ‘Jean Cocteau fait du cinéma’ », Jean Cocteau l’œil architecte, cit., pp. 303-327, ainsi que RAMIREZ Francis et ROLOT Christian, Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série n° 7, « Jean Cocteau. Le cinéma et son monde », Paris, Non lieu, 2009. Pour un point de vue biographique de cette période, le renvoi obligatoire est à COCTEAU Jean, Journal 1942-1945. Texte établi, présenté et annoté par Jean Touzot, Paris, Gallimard, Paris, 1989.

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 en 1939, dialogues additionnels pour La Comédie du bonheur de Marcel L’Herbier (sorti seulement en 1942) ;

 en 1941, dialogues restés inédits de Juliette ou la clef des songes pour un projet abandonné de Marcel Carné ;

 en 1942, reprise des dialogues du Lit à colonnes (1942) de Roland Tual (tiré de la pièce de Nicolas Evreïnov) ;

 dialogues du Baron fantôme (1942) de Serge de Poligny (avec son apparition dans le rôle du vieux baron Carol) ;

 récit et paroles de L’Éternel retour (1943) de Jean Delannoy ;

 en 1943 apparition, dans le rôle d’Alfred de Musset, dans La Malibran (1943) de Sacha Guitry ;  commentaire de Tennis (1949), court-métrage documentaire de Marcel Martin avec les tennismen

Henry Cochet et Yvon Petra ;

 en 1944, dialogues des Dames du bois de Boulogne (1945) de Robert Bresson (adaptation d’un épisode de Jacques le fataliste de Diderot) ;

 adaptation et dialogues de La Princesse de Clèves (1961) de Jean Delannoy (tiré du roman de Madame de Lafayette), projet interrompu à la fin du mois d’octobre et repris en mai 1960 ;

 en 1945, commentaire écrit et dit du court-métrage L’Amitié noire (1946) sur le Congo Brazzaville, de François Villiers et Germaine Krull ;

 au mois d’août commence le tournage de son film La Belle et la Bête (1946).

C’est avec la nouvelle « aura » conquise grâce à son assidu travail d’écriture dans le cinéma français sous l’occupation95, et celle, toute récente, de metteur en scène reconnu et célébré (au moins par le public français, pour La Belle et la Bête, Prix Louis Delluc 1946), qu’il débarque, à la fin de l’été 1947, en Italie du nord, pour superviser la fin du tournage de

Ruy Blas (1947) de Pierre Billon, dont il a effectué l’adaptation et les dialogues d’après le drame de Victor Hugo, et avec Jean Marais dans le double rôle de don César et de Ruy Blas. Le tournage italien se passe entre Milan, Venise et un petit village des Dolomites, situé dans les Alpes vénitiennes : Misurina di Cadore. Nous pouvons aujourd’hui établir avec certitude les trois lieux, ainsi que les dates des tournages, grâce à des articles de la presse italienne non réédités jusqu’à ce jour et que nous venons de retrouver.

Tout d’abord, pour ce qui concerne le premier plateau, celui de Milan, un article- interview italien confirme qu'il avait été monté dans les studios de via Pestalozzi, au-delà de

95 Dans son Journal, à la date du 21 décembre 1942 Cocteau écrit : « Le Comité du cinématographe me demande

une pensée (sic) et un portrait de moi à la plume, pour l’album de luxe du cinéma qu’ils éditent. Ils ne le demandent qu’à des metteurs en scène. C’est donc qu’ils commencent à admettre la mise en scène par l’auteur. Premier pas », cit., pp. 220-221.

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la Porte Ticinese, dans la partie sud-ouest de la ville96. Ainsi, contrairement à ce que Pierre Chanel a pu affirmer dans ses « Dernières remarques » concernant l’étude d’Elena Fermi97, le tournage milanais s’est déroulé au mois d'août, comme le confirme Cocteau lui-même dans une interview donnée à Jean Marabini pour Combat et publiée le 21 août :

[…] Je suis venu tourner Ruy Blas à Milan. Avez-vous remarqué que les maisons, ici, sont asymétriques ? C'est pour moi une des conditions de la beauté. Un visage qui serait parfaitement régulier serait monstrueux. Je ne sais pourquoi Milan me rappelle Amsterdam. Vue de l'avion, Amsterdam est construite comme un jardin où les maisons seraient repliées comme les parchemins d'une vieille bibliothèque98.

Plus précisément, grâce à un article publié dans le Corriere d’Informazione

pomeridiana et signé par Camilla Cederna, daté 19 août 1947, nous savons maintenant que : « Jusqu’à hier […] La compagnie a travaillé pendant huit nuits, de dix heures du soir aux six heures du matin »99. Le tournage s’est donc déroulé entre le 11 et le 18 août pour, ensuite, se poursuivre dans les studios vénitiens de la Scalera Film situés dans l’île de la Giudecca100, comme le confirme un autre article (cette fois du Gazzettino et daté lundi 25 août), qui nous

96 ROSADA Guido, « Pareri di Cocteau », Messaggero Veneto (Udine), 31 agosto 1947 : « […] Maintenant

Cocteau est à Milan. […] Il y a un film dont il a écrit le sujet, et qu'il est en train de surveiller dans les studios de la rue Pestalozzi » (« […] Cocteau ora è a Milano. […] C'è un film di cui ha scritto il soggetto, e che egli sta

sorvegliando negli stabilimenti di via Pestalozzi »).

97 « Le tournage de Ruy Blas a eu lieu en septembre 1947 à Milan, mais aussi à Venise, au studio de la Giudecca

», CHANEL Pierre, « Dernières remarques », in Cahiers Jean Cocteau, nouvelle série n° 6, « Cocteau avant le

Potomak », cit., p. 145.

98 COCTEAU Jean, « À Jean Marabini », Combat, 21-8-1947, repris in COCTEAU Jean, Entretiens sur le

cinématographe, Édition établie par André Bernard et Claude Gauteur, cit., p. 186.

99 CEDERNA Camilla, « Il buonumore dei Milanesi ha fatto stupire Cocteau », Corriere d’Informazione

pomeridiana, 19 agosto 1947 (« La bonne humeur des Milanais a stupéfié Cocteau » ; « Fino a ieri [...] La

compagnia ha lavorato per otto notti, dalle dieci alle sei »). Il faut noter que, après quelques années, Camilla Cederna deviendra l’une des plus célèbres écrivaines italiennes de la deuxième moitié du XXe siècle, surtout

grâce à son travail journalistique.

100 Désormais disparus, les studios cinématographiques se trouvaient à l’opposé du jardin Eaden, lequel avait

fortement marqué le jeune poète pendant sa visite avec ses trois autres compagnons dans le lointain septembre 1908 (comme on a pu le relever à travers les différents textes que Cocteau lui a dédiés). La Scalera Film, propriété des frères Scalera, était née à Rome en 1938 par volonté de Mussolini, en prévision d’un cinéma italien entièrement autarcique. En 1940, elle avait acheté un terrain dans l’île de la Giudecca pour construire des nouveaux studios. Après le 8 septembre 1943, avec l’occupation allemande, elle doit se transférer à Venise, en suivant ainsi le régime fasciste devenu la République de Salo. Dès 1941 jusqu’au 1947, on voit en activité la Scalera française, née d’un accord avec le producteur André Paulvé (titulaire de la société Discina), pour la réalisation, à Paris et aux studios Victorine à Nice, de films en coproduction. C’est dans ce cadre que la fin du tournage de Ruy Blas est réalisée aux studios de la Giudecca. La Scalera Film termine son activité en 1952 pour cause de banqueroute, due à sa dernière aventureuse production vénitienne, Othello (1951), le chef-d’œuvre maudit d’Orson Welles. Cf. LUGHI Paolo, « La prudente avventura della Scalera », in BRUNETTA Gian Piero (a cura di), La bottega veneziana. Per una storia del cinema e dell’immaginario cinematografico, Venezia, Istituto Veneto di Scienze, Lettere ed Arti, 2007, pp. 63-75.

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informe que le sous-secrétaire à la Présidence du Conseil, M. Giulio Andreotti avait visité les studios de la Scalera la veille, donc le dimanche 24 août, et assisté au tournage d’une séquence de Ruy Blas. À la fin de l’article le journaliste informe ses lecteurs que le film sera terminé dans une quinzaine de jours101. Finalement, dans un article du Messaggero Veneto qui présente une interview de Cocteau, c’est lui-même qui déclare que « […] nous tournerons aussi sur les Dolomites, dans un refuge au-dessus de Misurina. J’y reviens maintenant. Ce sont des lieux merveilleux, uniques en Europe »102.

En même temps, correspondant de la revue Carrefour, Cocteau devait couvrir les films de la VIII Exposition Internationale d'Art Cinématographique de La Biennale, qui se déroulait dans la Cour du Palais des Doges du 23 août au 15 septembre. Mais, comme il l’avouera dans son unique article signé le 8 septembre, « Notre travail de Ruy Blas, au studio de la Giudecca, nous retenait jusqu’à neuf heures et nous empêchait d’assister aux films »103.

Cette impossibilité de parler des films présentés à l'Exposition, qu’il compense en parlant d’autres films italiens qu’il a vus à Paris et qu’il a aimés (nous analyserons ce passage dans la deuxième partie de notre travail), lui donne la possibilité de décrire la ville qu’il aime, en laissant libre cours à son imagination. Pour commencer, il renvoie implicitement à sa dernière visite italienne, celle de Rome la nuit, en reprenant une sensation visuelle suscitée par ses palais et ses ruines. Mais aussitôt il la transforme, ici, grâce à la magnificence de l’or :

Cet air qu’ils ont d’être posés n’importe où sur une table contribue à donner aux édifices de la place Saint-Marc l’aspect insolite d’objets d’or sortis de la poche de quelque doge et abandonnés par des cambrioleurs qui n’en connaissaient pas l’usage. (p. 51.)

Ensuite, sans avoir vu les films, il décrit de façon détaillée leur réception, sans l’avoir vraiment connue, et restitue aussi l’ambiance qui entoure cet événement. Cela lui est possible car le mois précédent, pendant le tournage de Ruy Blas à Milan, il séjournait aussi à

101 Sans Signature, « Intensa giornata del Sottosegretario alla Presidenza », Il Gazzettino, 25 agosto 1947

(« Intense journée du sous-secrétaire à la Présidence » ; « [...] la parte più interessante della visita è stata quella

di assistere alla ripresa di una scena del film Ruy Blas »).

102 ROSADA Guido, « Pareri di Cocteau », Messaggero Veneto (Udine), 31-8-1947 (« Avis de Cocteau » ; «

[...] Gireremo sulle Dolomiti, in un rifugio sopra Misurina. Ne vengo ora. Sono luoghi meravigliosi, unici in

Europa »).

103 COCTEAU Jean, « A propos de la Biennale de Venise », Carrefour, 8-9-1947, repris in COCTEAU Jean, Du

cinématographe, Textes réunis et présentés par André Bernard et Claude Gauteur, cit., p. 51. Pour les autres citations tirées de cet article présentes dans ce sous-chapitre, nous donnerons les pages entre parenthèses dans le texte.

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Venise104, et le soir du 12 août il avait pu assister à l’ouverture du VIII Festival International du Théâtre de Prose de La Biennale (auquel son Aigle à deux têtes avait été invité pour la fin septembre), comme nous pouvons le lire dans un article paru dans la presse italienne le lendemain de l’événement. Sur le parterre du pavillon des arts décoratifs aux Jardins de La Biennale, le Festival avait présenté Les Rustres (I Rusteghi, 1760) de Carlo Goldoni, dans une mise en scène de Renato Simoni, devant un public international, où était présente Madame Le Président Auriol. Le journaliste nous dit qu’elle avait trouvé les décors et les costumes de bon goût, tandis que, dans le sous-titre qui accompagne l’article, il explicite : « Jean Cocteau réticent. Non sans raison, sans doute » 105. Or, en se référant à cette expérience, il peut sans peine imaginer la même atmosphère qui règne pendant la projection des films :

C’est au palais des Doges, dans la cour, que se projetaient les films de la Biennale. C’est-à-dire que sur un linge de plus pendu contre les marbres le public devait suivre le drame à travers les cloches du campanile et le vol de papillons de nuit. J’en parle par la rumeur qui se propage de chaise en chaise à l’heure où les pigeons forment des rafales, où le café noir coule de source, où les panneaux publicitaires du cinéma tombent les uns après les autres au moindre souffle de l’Adriatique. (Ibidem.)

Venise a donc maintenant sur Cocteau un effet encore plus marqué que dans sa précédente écriture vénitienne : son imaginaire « poétique » se concrétise dans son imagination « narrative », faite d’images sonores106. Ainsi, sa perception place maintenant aux côtés du préconcept romantique de la ville « morte » celui d’une ville festive et théâtrale, dont les traces sont à retrouver en suivant l’ancienne empreinte napolitaine :

Un festival ajoute fort peu du reste à l’allure perpétuellement festive d’une ville morte construite sous l’influence de la peur […].

À Venise, pas de police en uniforme. La bonne humeur est le signe distinctif des figurants qui hantent son décor et flânent dans le méandre de ses belles

104 Un article, paru dans la presse vénitienne et daté 4 août, nous apprend sa présence en lagune ; cf. Sans

Signature, « L’inafferrabile Cocteau pescato di mattina », Gazzettino – Sera (Venezia), 4-8-1947.

105 RENDINA Massimo, « Entusiasta dei “Rusteghi” la presidentessa di Francia. Jean Cocteau reticente, forse

non a torto », Posta Sera (Bologna), 13-8-1947.

106 Nous différencions l’imagination du poète, son univers fictionnel, sa capacité d’inventer concrètement des

situations narratives, de son imaginaire, qui est son humus créatif toujours en latence comme une « Autre Scène », comme une ombre qui l’accompagne mais en négatif ; voir ROPARS-WUILLEUMIER Marie-Claire, « Le saisissement imaginaire », Hors Cadre, n° 4, 1986, pp. 27-36. Pour le concept d’Autre Scène, cf. MANNONI Octave, Clefs pour l’Imaginaire ou l’Autre Scène, Paris, Seuil, 1969.

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coulisses. À quoi servent les théâtres et les cinématographes ? Tout est théâtre à ce peuple gracieux pour lequel chaque boutique est un spectacle […]. Ce ballet de Carpaccio, de Goldoni, cette promenade, ces cortèges nocturnes des gondoles qui progressent comme une coulée de lave lente autour d’un casino de lumière […]. (pp. 51-52-53.)

Dans son ancien voyage avec Picasso en 1917, au contact avec Naples, Cocteau avait avoué que la ville, pour lui, représentait le « théâtre de la vie », ressentie dans sa dimension naturelle, archaïque. Cette perception, mise en évidence dans l’analyse de la ville parthénopéenne, s’est frayée un chemin dans l’imaginaire du poète : à présent elle fait surface dans les eaux de la lagune vénitienne. De ce fait Venise assume proprement dans cet article l’aspect de ville « théâtre » où tout en elle fait partie de cette dimension représentative, où la vie entière est perçue comme un spectacle permanent, et le renvoi à Carpaccio et Goldoni change ce qui était nature à Naples en culture dans la cité des Doges. Désormais, la ville féerique qui s’était imposée aux yeux enchantés de l’enfance dans « Venise vue par un enfant », ainsi que la ville « au décor théâtral » saisie par Jacques Forestier dans Le Grand

Écart, se transforment ici dans « cette fête qu’est Venise », sous le regard de Cocteau devenu poète du cinématographe :

Un soir, un gala, passe encore. Je n’ai pas vu les films, je le répète. Et j’imagine mal une suite de représentations en marge de cette fête qu’est Venise et dont on est banni dès qu’on s’en écarte. (p. 53.)

Ainsi se termine son article, sur l’importance de cette dimension théâtrale de la ville en mentionnant que « Venise possède un théâtre modèle : la Fenice où mes artistes de L’Aigle

à deux têtes vont aller jouer pour le Festival » (Ibidem). La pièce, avec Jean Marais dans le rôle de Stanislas, ce jeune poète anarchiste qui doit assassiner la Reine, interprétée par Edwige Feuillère, a été présentée en octobre 1946 à Bruxelles, puis à Lyon et le 20 décembre au théâtre Hébertot à Paris107. Forte d’un très vif succès, elle a été retenue par les organisateurs du VIII Festival International du Théâtre de Prose de La Biennale di Venezia (12 août – 2 octobre 1947) et, le 25 septembre, elle sera présentée au théâtre lyrique de La Fenice108.

107 Voir TC, cit., p. 1064 et note 1, p. 1784 (établie par Gérard Lieber).

108 Dans sa Thèse Jean Cocteau et l’Italie, à la page 190 Elena Fermi rapporte que l’annonce de la participation

de Cocteau au Festival est datée du 5 août 1947 et celle de sa mise en scène du 29 septembre et que les deux documents sont conservées à l’ASAC (Archivio Storico delle Arti Contemporanee) de La Biennale de Venise,

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Bien sûr, la conquête de cette importante vitrine italienne est une réussite toute personnelle de Cocteau dramaturge et metteur en scène, mais il faut dire que son nom avait déjà commencé à circuler dans les milieux du théâtre italien depuis deux ans, après une période – les années Trente – au cours de laquelle la seule pièce représentée sur les scènes italiennes avait été La Voix humaine, mise en scène pour la première fois en 1931 et interprétée par la célèbre Emma Grammatica, qui avait remporté un très grand succès109. Dans ce nouveau départ théâtral italien, la notoriété lui arrive grâce à son ami Luchino Visconti, rencontré à Paris dans l’entourage de la vicomtesse Anne de Noailles et de Misia Sert – représentantes de la culture littéraire parisienne des années Trente110. Visconti, qui avait déjà commencé sa fulgurante carrière cinématographique avec Ossessione (Les Amants

diaboliques, 1943), avait débuté le 30 janvier 1945 au théâtre Eliseo à Rome par la mise en scène des Parents terribles (et le 2 octobre de la même année, dans le même théâtre, celle de

La Machine à écrire), qui avait fortement scandalisé la société italienne, ainsi que la critique. Gianni Rondolino, qui a consacré plusieurs études au cinéma de Visconti, met bien en évidence que « […] le drame, à cause du contenu scabreux et encore plus par la mise en scène audacieuse et originale, marqua une étape fondamentale dans l’histoire du théâtre italien, et il constitua un point de référence pour tout discours ultérieur sur la fonction de la scène théâtrale (au moins en Italie), alimentant nombre de discussions entre le public et la critique »111.

les archives qui récoltent les documents concernant l’histoire de l’organisme ainsi que des ses festivals. Nous aussi avons consulté les documents présents à l’ASAC, et nous n’avons trouvé aucun document qui confirme la date du 29 septembre comme journée de présentation de la pièce. Dans le dossier de presse sur la manifestation et déposé à l’ASAC, nous venons de trouver un article de Il Gazzettino, daté le 26 settembre 1947, qui porte le