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La veille du départ

Dans le document Un pétale dans la braise (Page 97-103)

On frappa doucement, mais répétitivement, à la porte de la chambre de Brunet. Le capitaine fraîchement promu avait la particularité d’avoir le sommeil léger en plus d’être énergique. Il ne se fit pas prier pour ouvrir sa porte.

« Kintaro ? Descharmes ? Que se passe-t-il ?! de-manda le grand brun. »

Son ton était presque agacé, alors qu’il vêtait en vi-tesse de quoi avoir l’air présentable, s’empressant d’al-lumer une lampe à huile pour dissiper l’obscurité am-biante. Kintaro répondit sur un ton professionnel :

« LeShōguna répondu au coup d’État fomenté par les provinces du Sud. Il requiert notre présence exprès pour planifier une attaque sur le palais de Satsuma.

— Il est quelle heure ? demanda Brunet.

— Six heures et quelques, de répondre Descharmes.

— Il nous faut proposer un plan en vitesse avant de mener une attaque dans la nuit au plus tard, ajouta Kin-taro. Ōtori et les autres sont partis pour Ōsaka. Tout est allé si vite ! »

Brunet ne répondit pas, préoccupé à rassembler ses affaires le plus promptement possible.

Dans leur vivacité, ils étaient déjà sur leurs selles, galopant pour Edo tandis qu’ils s’échangeaient quelques bribes de conversation.

« Professeur Brunet, je tenais à vous présenter mes excuses pour mon impolitesse de l’autre jour à la can-tine.

— Cesse de dire des sornettes, Kintaro. Tu es un jeune homme plein de promesses et je te porte beau-coup d’affection. Quelle importance pour cet accroc que tu dénonces pour une personne de ta trempe qui cultive l’honneur et l’intégrité ? D’autant plus que je n’ai res-senti aucune insulte de ta part. Alors concentre-toi sur l’instant présent. Le devoir avant tout, n’est-ce pas ?

— C’est beau, Brunet, admit Descharmes. Tu as la classe.

— C’est l’urgence de la situation qui vous fait ça ? questionna Brunet.

— Encore un peu la ganache défaite, disons. Et c’est peut-être le dernier moment convivial que nous parta-geons, mon capitaine.

— Oh, allons. Brunet suffit et a toujours suffi. Pas de “capitaine” entre nous. »

Le temps passait au fur et à mesure qu’ils galopaient, et les aurores pointaient à l’Est, embrasant de gerbes pi-voine un ciel bleu marine.

Ils arrivèrent à Edo, devant un grand bâtiment à l’oc-cidentale, où un garde s’était empressé d’ouvrir le por-tail noir tandis qu’un autre hélait des collègues pour ré-cupérer les selles. Ils marchèrent dans la cour gravelée, le pas pressé, tandis que, lorsqu’il passèrent le pas de la grande porte acajou, un commis les escortait jusqu’à une salle de réunion où se trouvait Roches qui avait ras-semblé les documents nécessaires à l’ordre du jour.

« Merci d’être venu aussi vite, fit Roches, la mine grave.

— Qu’en est-il des autres ? demanda Brunet.

— Chanoine et le reste des instructeurs sont partis pour Ōsaka avec le gros des troupes. LeDenshūtai et 98

plusieurs autres bataillons sont en route. On craint une grande bataille aux alentours de la capitale impériale et il faut empêcher leur progression autant qu’il faut tenter de communiquer avec l’Empereur.

— C’est une déclaration de guerre imminente, constata Descharmes.

— Mes confrères, j’en ai bien peur, eussé-je fait tout ce qui était en mon pouvoir pour soutenir leShōgundans cette passe difficile, nous ne pouvons plus reculer.

— Ils sont combien, au palais de Satsuma ? demanda le grand brun.

— Autour de trois cents, répondit Roches. Le Shō-gunveut mener une attaque “punitive”.

— Un incendie serait de mise, cela obligerait les gens à fuir et nous pourrions les cueillir ensuite, dit gra-vement Brunet. »

Pour l’heure, c’était lui qui se consumait, intérieure-ment, d’émettre une pareille suggestion pour le compte d’un homme auprès duquel il avait prêté serment. Nul ne lui semblait tenir rigueur. Descharmes était affairé à prendre quelques notes, esquissant des schémas qu’il reportait ensuite sur un tableau noir.

La neutralité des agissements du grand brun et de son entreprise tout entière étaient facilement discutable.

Si l’on pouvait percevoir une petite étincelle dans le re-gard du jeune Kintaro qui ne manquait pas d’admirer celui qu’il appelait — à cœur joie — le « professeur Brunet », Roches semblait unanime sur la question.

Les officiers français avaient développé un attache-ment certain pour ce pays, notamattache-ment grâce l’hospi-talité offerte par les partisans du Shōgun. Seul Des-charmes semblait garder une certaine réserve par

rap-port à la situation.

Après plusieurs tasses de café consommées, alors que le soleil avait déjà entamé sa descente vers l’Ouest, les quatre compères avaient abouti à un plan d’attaque.

« Kintaro, dit Brunet, tu mèneras trente hommes avec toi. Ensemble, vous appréhenderez le périmètre du palais et attendrez la nuit pour lancer des nattes incen-diées dans le côté Nord Est de l’enceinte du palais. Cela servira à détourner l’attention des sentinelles. Tu trou-veras ensuite un moyen de forcer un passage par l’en-trée principale, neutraliser les gardes, si possible usurper leur identité et amplifier la panique générée par l’incen-die. Dix fusiliers devraient suffire. Affecte dix samou-raïs pour patrouiller autour du palais et dix hommes de réserve. Des morts sont à prévoir dans l’incendie. Tous sortiront par l’entrée principale. Je laisse la décision au Shōgunde disposer de la vie de ces gens, en espérant qu’il y ait des civils plus que des militaire…

— Et si la tendance est inversée ? demanda Des-charmes.

— Cela me paraît hautement improbable. Évitez l’affrontement dans ce cas. Ce qui compte, c’est l’in-cendie. LeShōgunveut faire passer un message tout au moins… Alors si cela n’aboutit pas, courez pour votre vie. Ce n’est pas le genre de bataille où il vous est donné de mourir. Pas celle là. »

Il planta son regard dans celui de Kintaro qui, im-passible, ressemblait presque à un de ces samouraïs qui accompagnait son maître et qui ne faisait montre d’au-cune émotion.

« Bien, d’enchaîner Roches. Je vais porter ce plan à la connaissance duShōgunTokugawa et faire préparer 100

vos selles. Le capitaine Chanoine a demandé à ce que vous rejoigniez Ōsaka dans les meilleurs délais. Brunet, Descharmes, Kintaro, je vous remercie tous les trois. La séance est levée. »

Les trois militaires quittèrent la pièce, laissant le vieux Roches dans son bureau, la mine fatiguée. Il sou-pira alors qu’il rassemblait les plans d’attaque qu’il pré-senterait au régent Tokugawa.

Brunet et Descharmes étaient déjà à dos de cheval dans la cour extérieure. Laissés pour seul l’espace d’un court instant, Kintaro levait la tête vers Brunet.

« Vous non plus, il ne vous est pas donné de mourir, professeur.

— Je ne peux rien te promettre. Mais si cela venait à se produire, tourne-toi vers Fortant. Je gage qu’il saura reprendre mon œuvre. Tu m’idéalises un peu trop, je crois.

— Je peux en dire autant de vous à l’égard de mon pays. Soyez fort. Je ne vous décevrai pas. »

Le grand brun hocha la tête consciencieusement et détourna sa monture pour rejoindre Descharmes.

« Vivre avec opprobre ou mourir avec panache ? de-manda Descharmes.

— On en reparle depuis les cieux, de conclure Bru-net. »

Ils galopèrent vers l’Ouest, où les nuances pourpres ne laissaient présager aucune certitude sur les prochains jours.

Dans le document Un pétale dans la braise (Page 97-103)