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Un nouvel espoir

Dans le document Un pétale dans la braise (Page 171-177)

Le crépuscule s’annonçait déjà à l’Ouest lorsque nos deux Français, après un très court instant de répit, amar-rèrent à Shinagawa.

On fit transporter les bagages de Brunet et Caze-neuve jusqu’au quai où ils attendirent.

« Tu dois retrouver quelqu’un ? demanda Caze-neuve.

— Kintaro m’a fait une promesse.

— Pourvu qu’on nous voie… » Et on les vit.

Kintaro, le sourire radieux, avait tenu sa promesse. Il s’approchait, sa silhouette se distinguant parmi la foule de gens pressés. Quel ne fut pas le sourire de Brunet, qui se surprit à rire nerveusement.

« Vous l’avez fait, professeur ! s’exclama Kintaro.

Vous êtes venu avec le professeur Cazeneuve !

— Je te demande pardon pour n’avoir pris ma déci-sion plus tôt, répondit Brunet.

— Oh, ça, ne vous en faites pas ! On a réussi à ras-sembler beaucoup d’hommes en conséquence, et vous aurez trouvé le moyen de nous rejoindre, quoi qu’il en soit !

— Tu as quelqu’un à nous présenter ?

— Absolument ! Suivez-moi, s’il vous plaît. » Kintaro escorta les deux Français, le long du quai, jusqu’à un autre navire à vapeur ; une imposante frégate qui comportait à ses bords plusieurs canons.

« Ce n’est pas risqué d’afficher un tel vaisseau ici ? demanda Brunet.

— On nous croit au service de la cause impériale, précisa Kintaro. Nous allons profiter de la nuit noire pour quitter la baie. Je vous laisserai en discuter avec le seigneur Enomoto.

— Seigneur Enomoto ?

— Le meneur de la rébellion, avoua Kintaro en bais-sant d’un ton. Il souhaite vous rencontrer. »

Kintaro accorda également un regard à Cazeneuve.

D’autres Japonais approchèrent. Ils étaient, au même titre que Kintaro, certains élèves de Brunet. Ils peinèrent à contenir leur joie alors qu’ils s’amassèrent, tout admiratifs, autour du grand salvateur qui en eut presque les larmes aux yeux.

« Vous guettiez ma présence à ce point ?

— Il faut croire que votre français chevaleresque leur manquait, plaisanta Kintaro. »

Après quelques chaleureuses poignées de mains échangées avec les élèves officiers, Brunet et Caze-neuve montèrent donc à bord de l’imposant navire.

« Nous sommes sur leKaiyō Maru, expliqua Kin-taro, commandé par Seigneur Enomoto Takeaki. Il s’agit d’une frégate de vingt-six canons venu tout droit d’Hollande, et notre meilleur vaisseau ! Attendez-moi là. »

Kintaro disparut derrière une porte. Brunet et Caze-neuve échangèrent un regard complice.

« Comment tu te sens ? demanda ce dernier.

— Nerveux.

— Tu veux faire demi-tour ?

— Non. » 172

Ils n’eurent pas longtemps à patienter. Kintaro re-vint, suivit d’un autre homme aux traits asiatiques mais à la dégaine typiquement européenne. On aurait dit un amiral de l’armée française.

« Professeur Brunet, professeur Cazeneuve, intro-duisit Kintaro, j’ai l’immense honneur de vous présenter Seigneur Enomoto Takeaki, samouraï dévoué à la cause duShōgunTokugawa Yoshinobu. »

Enomoto était de taille moyenne — Brunet le dépas-sait d’une tête — et avait le teint plutôt clair pour un Ja-ponais. Ses cheveux noirs, comme gominés, étaient re-marquablement bien coiffés, dégageant un front ample.

Son regard était perçant perçant aux iris brunes, cernées de deux courts sourcils fins et noirs. Ses oreilles étaient amples et rabattues, son nez long et quelque peu écrasé, sa moustache en guidon, comme celle de Cazeneuve, mais avec un vide imberbe juste en dessous de l’arête du nez.

Concernant sa tenue vestimentaire, il ressemblait ni plus ni moins à un amiral : caban sombre, chemise blanc cassé, pantalon ample noir, bottes de jais remontant jus-qu’aux tibias.

Enomoto, la mine neutre, s’approcha de Brunet et lui tendit une poigne. Il s’exprima d’une voix grave, presque graveleuse, comme marquée par le tabac.

« Monsieur Ōtori ne m’a point tari d’éloges à votre sujet, professeur Brunet. »

Puis il se tourna vers Cazeneuve, à qui il accorda la même poigne solennelle.

« Seigneur Enomoto, se risqua à dire Brunet, je vous présente André Cazeneuve. Il a ramené d’Europe des selles arabes et a effectué un travail remarquable sur nos

haras. C’est un atout de choix au regard de notre cava-lerie que j’ai jugé bon d’emmener avec moi.

— Parfait. D’une façon ou d’une autre, vous avez réussi à subjuguer nos hommes, Monsieur Brunet. La présence d’Européens saurait exalter leur ardeur et in-hiber leur terreur face aux bannières impériales. Vous leur montrerez qu’il n’affrontent pas les hommes de dieux, mais de simples samouraïs défendant leurs inté-rêts propres, au même titre que nous.

— Assurément, Seigneur Enomoto. »

Ce à quoi l’amiral finit par sourire, avant de pour-suivre.

« J’ai plus de cinq mille hommes qui me suivront jusqu’au nord. Nous partirons rejoindre d’autres sei-gneurs désireux de rejoindre la résistance, à Sendai, où nous tiendrons un conseil de guerre. Si vous voulez bien m’excuser, j’ai beaucoup à faire, jusqu’à notre départ. » L’amiral tourna des talons puis se stoppa net. Re-gardant par-dessus son épaule les deux Français, il leur confia.

« J’ai l’intime conviction que nous prenons tous la bonne décision, et que nous traverserons de dures épreuves, ensemble, unis sous une même bannière, celle duShōgunet d’un Japon nouveau. »

Brunet et Cazeneuve se regardèrent. Ils sourirent, quoique le doute, si infime fût-il, pouvait se lire dans leur regard.

Comme prévu, la nuit, les huit navires formant la flotte d’Enomoto quittèrent le port de Shinagawa, en route pour rejoindre la résistance.

Brunet s’était assoupi. Ces dernières heures avaient été intenses et stressantes. Dans son esprit, il rejouait ses 174

derniers instants avec Tomi, l’écriture de sa lettre de dé-mission, son attente dans l’incertitude qu’on le conduisît aux rebelles, et l’attente plus stressante encore qu’était celle de prendre le large.

Une vague soudaine vint percuter la coque, arra-chant le grand brun à ses songes. Il vit Cazeneuve de profil, accoudé, tout sourire, son visage éclairé par une timide aurore aux teintes chaudes qui se dessinaient sur un horizon où les océans s’étendaient à perte de vue.

Au vu de l’expression de son ami, Brunet se sentit rasséréné. Mais son esprit logique, scientifique, voulait en avoir le cœur net.

Après vérification, l’aube se trouvait bien à tribord du vaisseau.

Nul doute : ils voguaient en direction du Nord.

Fin de la première partie…

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