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Vers le destin

Dans le document Un pétale dans la braise (Page 165-171)

Tomi n’était pas la seule personne à qui Brunet de-vait des adieux.

« J’aimerais adresser mes sentiments à ce bon vieux Verny. C’est un vieil ami de Polytechnique que j’ai eu beaucoup de plaisir à fréquenter céans. »

Le grand brun se trouvait là, dans le bureau de Cha-noine, debout face à son capitaine qui le toisait d’un air presque inquisiteur.

« Nous partons demain et notre présence au Japon n’est plus souhaitée. J’éviterais de me faire remarquer si j’étais toi. Et tu ne pouvais pas t’en charger plus tôt ?

— J’ai plusieurs personnes à saluer. Il faut dire que ma présence ici a laissé des impression et des amitiés…

— Oui… Oui… dit Chanoine en haussant les épaules, peu convaincu. Écoute, je ne suis pas un pa-rent, fais ce que tu veux, mais on embarque demain.

— Merci, mon capitaine. »

À la suite de quoi il effectua un salut militaire et quitta le bureau de Chanoine pour se rendre à celui qui lui avait été dédié en tant que capitaine.

Armé d’une note et d’un stylo à plume dorée, après avoir précisé à l’écrit les circonstances de sa missive, il coucha sur le papier ces simples mots :

J’ai l’honneur de vous remettre ma démis-sion du grade de capitaine ; je déclare qu’à partir de la présente date, je renonce aux prérogatives de la position d’officier d’ar-tillerie dans l’armée française.

Agréez, Monsieur le Maréchal, l’assurance de mes sentiments très respectueux de votre très dévoué serviteur.

« Bien que je fusse davantage dévoué à mes chers élèves… se dit-il à lui-même. »

Eux n’attendraient pas longtemps et si Brunet avait trouvé le moyen de régulariser sa situation pour aller combattre aux côtés des Japonais, il le faisait également pour la France, qui pourrait espérer, pensait-il, nouer des liens diplomatiques avec la nouvelle faction qu’il contri-buerait à créer.

Il laissa la lettre posée sur son bureau et, sans de-mander son reste, quitta la légation française de Yoko-hama.

Il s’était rendu à une auberge pittoresque, la toute première que Ōtori avait fait réserver pour eux quand ils étaient arrivés l’an dernier. Il y avait une chambre dans laquelle étaient restés tous ses effets personnels.

À sa grande surprise, Cazeneuve attendait, les bras croisés, avec une valise reposant à sa droite. Il ne revê-tait pas les uniformes de l’armée française.

« Cazeneuve ? Que faites-vous ici ? demanda Bru-net.

— Je saurais vous retourner la question, mon capi-taine.

— Eh bien, je comptais m’en retourner dans ma chambre pour me reposer.

— Pas de ça avec moi. Je sais pour vos desseins.

— Mes desseins ? interrogea Brunet en croisant les bras.

— Oui. Ce que vous projetez de faire. Je ne parle pas de vos estampes. Je parle de desseins avec un “e”.

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Pas de vos dessins sans “e”. Comprenez-vous ? » Cazeneuve s’était essayé à l’humour, comprenant que son approche était délicate.

« Oh, plus sérieusement, mon capitaine. Je sais ce que vous comptez faire, et l’humble brigadier des haras que je suis n’a d’autre choix que celui de vous suivre dans cette entreprise folle et désespérée qu’est la vôtre.

— Je regrette, c’est hors de question.

— Vous ne m’aimez pas ?

— Au contraire. Mais c’est un combat qui me concerne seulement. Et puis on a besoin de bonnes gens comme vous dans l’armée française. Des gaillards de votre trempe !

— Contrairement à vous, je ne suis plus tenu par le service militaire. Autant vous dire que mon départ à vos côtés ne causera pas plus de vagues que ce que vous en faites.

— Cazeneuve ! Je ne peux pas, vraiment. Je ne me le pardonnerais pas si des hommes que j’emmenais avec moi ne sauraient trouver le salut dans cette affaire. Je ne me sentirais que responsable et meurtri s’il vous arrivait quelque chose. Par ma faute !

— J’ai pris ma décision. Arrêtez de faire le chevalier égoïste, mon capitaine ! Ils n’ont pas besoin d’un héros.

Ils ont besoin d’une équipe. Et à nous deux, nous fai-sons une équipe de choc. Enfin, les héros qui bravent les dangers seuls, ça n’existe que dans les romans. Dans la réalité, un héros seul est un héros mort.

— Cazeneuve…

— Vous me remercierez plus tard. J’imagine que vous êtes en cavale et qu’il ne vous reste que peu de temps.

— Je vous expliquerai sur le chemin. Je dois ras-sembler mes affaires. »

Après quoi, Brunet, qui progressait avec Cazeneuve en direction du port de Yokohama — priant pour qu’on ne les aperçût point — poursuivit ses explications :

« J’ai laissé ma lettre de démission sur mon bureau.

Je ne pouvais pas me permettre de laisser mon capitaine me tenir la jambe. J’ai attendu trop longtemps que les impérialistes ne prolifèrent au nord et il me faut partir au plus vite.

— Vous avez un plan ?

— J’ai un ami qui travaille au port de Yokohama. En échange d’un billet, il devrait pouvoir s’arranger pour nous faire partir pour Shinagawa.

— Shinagawa. C’est, ma foi, pas très au nord. » Shinagawa était en effet une petite ville située juste au sud d’Edo et un peu plus au nord d’Ōtamura.

« Je dois y retrouver un contact là-bas. Attends-moi là. »

Brunet et Cazeneuve se trouvaient devant une petite bâtisse préfabriquée où l’on devinait qu’il n’y avait rien de plus que des bureaux aménagés à l’intérieur. Le grand brun avait montré patte blanche, demandant au premier employé venu où il pourrait trouver Verny. Par chance, l’ingénieur en question était dans les parages.

Après un court instant, Brunet et Verny revirent au dehors.

« Cazeneuve, Verny ; Verny, Cazeneuve. Le meilleur ingénieur français au Japon et le meilleur brigadier français au Japon.

— N’en fais pas trop, reprit Verny, amusé. » Un rire parcourut les trois gaillards.

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« Cazeneuve va partir avec moi, expliqua Brunet. Tu penses pouvoir nous faire passer jusqu’au port de Shi-nagawa ?

— Et comment, mon vieux ! s’exclama Verny. Pour un confrère polytechnicien, je décrocherais la Lune. »

Il jeta un regard à Cazeneuve.

« Je plaisante. Je ne sais pas ce que vous avez à y faire, mais rien ne me fait plus plaisir que le sentiment d’aider des Français en ce bas monde.

— Mon capitaine, répondit Cazeneuve, vous avez des amis formidables.

— Vous dites ça car vous êtes mon ami, Caze-neuve. »

À nouveau un rire.

« Alors, reprit Verny, la mine un peu plus sérieuse.

On a un navire en vapeur qu’on va justement emmener en réparation à Yokosuka et il est tout à fait possible de faire une escale à Shinagawa. Il va cependant vous falloir patienter un peu. Et comme je devine que votre situation à vous deux est délicate, essayez de ne pas trop vous montrer.

— Tu es un frère, Léonce, avoua Brunet à Verny.

— Frère d’une autre mère, certes. Tu m’en dois une. »

Ainsi ils attendirent calmement, jusqu’à l’instant où le navire en rade les embarque.

Brunet et Cazeneuve se tenaient adossé contre la coque en bois qui faisait office de barrière sur le pont.

« Au fait, fit le grand brun en pivotant la tête vers Cazeneuve, plus de “mon capitaine” qui tienne. Je suis démissionnaire. Alors “Jules” ou “Brunet” feront l’af-faire.

— Comme vous voudrez, Brunet.

— Et je pense qu’il est de mise que nous nous tu-toyons.

— … Comme tu voudras, Brunet. »

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