La barrière n’est pas étanche entre la variation syntaxique et la variation sémantique qui opèrent
dans le fonctionnement des verbes en corpus. En effet, d’après nos observations, la syntaxe
joue un rôle important dans le sémantisme des pss verbaux. Elle détermine très souvent leurs
sens, comme nous allons le voir dans cette partie de notre travail.
Les résultats de l’annotation sémantique permettent de mettre en évidence la variation
sémantique autour d’une structure argumentale. Grâce aux catégories sémantiques de la
5. Dans cet exemple, le syntagme prépositionnellors de l’EPS fonctionne comme un circonstanciel temporel, mais sur le plan sémantique, il est très proche d’un complément enpar.
Snomed, il est possible d’acquérir plusieurs patrons sémantiques différents (c’est-à-dire des
pss) à partir d’un seul schéma syntaxique ou d’une seule structure argumentale. Le verbe
diagnostiquer par exemple a 43 pss (types + variantes) dans l’ensemble du corpus, parmi
lesquels les trois cités ci-dessous. Les deux premiers interviennent dans le corpus des experts,
tandis que le dernier est fréquent dans le corpus des forums :
26) sest diagnostiqué (c.-à-d.jdiagnostique s):L’intérêt d’un traitement précoce de l’HTAP
n’est pas démontré et la majorité des patients est diagnostiquée tardivement, en classe
fonctionnelle III-IV.
27) d est diagnostiquée (c.-à-d. j diagnostique d) : Les malformations cardiaques sont
présentes dans 50-75 % des patients et sont généralement diagnostiquées tôt dans la
petite enfance.
28) j diagnostique d s(c.-à-d. jdiagnostique d chez s) : Une des raisons pour laquelle la
MTE n’est probablement pas diagnostiquée chez la personne âgée est la présentation
clinique souvent atypique dans cette population.
Comme on peut le remarquer, les deux premierspssci-dessus sont caractérisés par une présence
implicite de l’argument sujet et d’un complément que nous considérons comme un coi. Nos
analyses nous ont permis d’identifier un schéma valenciel spécial, assez fréquent, autant dans
les textes des experts que ceux des non-experts ; il s’agit de sujet verbe complément1 chez
complément2. Ce schéma est particulièrement employé avec certains verbes appartenant à la
classe des verbes d’observation, qui à la base sont de valence 2 : diagnostiquer, découvrir,
observer, détecter, etc. Le second complément est particulier car il est parfois introduit par la
prépositionchez qui pousse à croire qu’il s’agit d’un circonstanciel. Mais, en réalité, ce n’est
pas le cas puisque sa présence (même implicite) est requise pour la réalisation du sens du verbe
dans cet emploi. Prenons quelques exemples
6:
29) Le SIDA a été découvert dans les années 1970.
30) Mon médecin m’a découvert une hépatite.
31) On découvre ce type de cancer chez les sujets âgés.
Dans les phrases 30 et 31, le verbe a une interprétation différente (‘détecter’) de celle de la
phrase 29 (‘apparaître’), ceci de par la présence du second complément (m’, les sujets âgés).
Nous considérons ce complément comme uncoi. Par conséquent, dans ce schéma valenciel,
les verbes sont considérés comme ayant une valence 3 (sujet verbe cod chez coi ou biensujet
verbe coi cod).
6. Ces phrases ne proviennent pas de notre corpus mais elles illustrent les schémas valenciels observés en corpus.
Pour revenir aux pss susmentionnés, ceux des exemples 27 et 28 représentent des variantes
d’un seul schéma syntaxique de base (sujet-verbe-cod-coi) qui est illustré par le pss de
l’exemple 28. Cependant, sur le plan sémantique, il est intéressant de remarquer qu’il existe
une différence de sens non négligeable entre le pss de l’exemple 26 et les deux autres. Cette
différence est marquée par le changement de catégorie sémantique de l’argumentcod. Lorsqu’on
dit qu’un médecin diagnostique un patient, cela signifie quele médecin examine et/ou identifie
le patient (comme étant porteur d’une maladie). En d’autres termes, il ausculte le patient et
lui découvre une maladie. Tandis que médecin diagnostique maladie veut dire que le médecin
détecte, décèle, découvre cette maladie (chez le patient). Le test de synonymie permet de
mettre en évidence la nuance qui existe entre ces deux emplois du verbe diagnostiquer. En
effet, une maladie peut être identifiée par un médecin, mais il n’est pas naturel, à la place
de diagnostiquer de dire qu’un patient est détecté/décelé/découvert (comme souffrant d’une
maladie) par un médecin. Et lorsqu’on dit qu’un patient est examiné par un médecin, en général,
c’est pour exprimer autre chose.
Il arrive très souvent que la variation sémantique se manifeste entre les différents corpus,
c’est-à-dire que des variantes d’un pss véhiculant des sens différents du verbe interviennent
dans différents corpus, avec des fréquences divergentes. C’est d’ailleurs le cas des pss s est
diagnostiqué et d est diagnostiquée qui sont fréquents respectivement dans les corpus proet
for. Le pss d est diagnostiquée enregistre quelques occurrences dans le corpus des experts,
mais il est prédominant dans le corpus des forums où il se réalise à travers un schéma syntaxique
plus explicite, à la forme active (j diagnostique dchez patient), tandis que le corpus des experts
privilégie le pss s est diagnostiqué qui est à la forme passive (cf. tableau 4.11).
Le tableau 4.14 présente quelques cas illustrant la variation sémantique autour d’une structure
argumentale de base. Le verbe de chaque structure argumentale (construction syntaxique) est
associé à plusieurs interprétations déterminées par les catégories Snomed qui caratérisent ses
arguments. Les catégories Snomed sont abrégées comme suit : d : maladie, f : fonction de
l’organisme, j : métier (de manière générale, médecin),p : procédure, et s : statut social (de
manière générale, patient).
Le nombre de variantes sémantiques d’unpsschange d’un verbe à l’autre. Certains psspeuvent
avoir jusqu’à 4 variantes sémantiques (c’est-à-dire 4 interprétations distinctes), voire même
plus, selon le degré de polysémie du verbe. C’est le cas du verbe suivre (cf. tableau 4.14) qui
présente 4 interprétations distinctes réparties principalement entre le corpus des experts et celui
des non-experts. En général, le corpus des experts compte le plus grand nombre de variantes,
comme nous l’avons vu grâce aux tableaux 4.11 et 4.12.
Le changement de fréquence des variantes sémantiques despssd’un corpus à l’autre qui est un
phénomène récursif chez plusieurs verbes, fait penser à un choix délibéré des rédacteurs d’utiliser
des patrons verbaux précis pour exprimer des sens particuliers du verbe. La prédominance
Tab. 4.14 – Variation sémantique autour d’une structure argumentale de base.
Construction syntaxique Interprétations Exemples
su diagnostiquer cod
j diagnostique s ‘examiner’ [...] la personne qui diagnostique et
suit le patient ayant le TDAH.
j diagnostique d ‘découvrir’ Mon cardio a diagnostiqué de rares
extrasystoles auriculaires.
su évoquer cod
p évoque d ‘faire penser à’ La constatation d’hématomes [...]
évoque un trouble de la coagulation
associé.
j évoque p ‘suggérer’, ‘penser à’ On évoque, devant ce diabète
bronzé [...], le diagnostic
d’hémo-chromatose génétique.
su évaluer cod
j évalue s ‘examiner’, ‘contrôler’ Le lendemain matin, le médecin B
évalue la patiente et décide de lui
donner congé.
j évalue f ‘mesurer’ On a évalué le risque de
saigne-ments chez le rat.
su suivre cod
j suit s ‘traiter’, ‘surveiller’ Nous avons suivi pendant deux ans
une cohorte de sujets atteints de
démence.
s suit p ‘prendre’ La solution à long terme serait que
les voyageurs suivent un traitement
spécialisé.
p suit p ‘respecter’ La réanimation cardiorespiratoire
suit les mêmes principes pour ce qui
concerne la ventilation artificielle et
la défibrillation.
TEMPS suit p ‘contrôler’, ‘venir après’ Les patients doivent être suivis au
moins une fois par an pendant les
5 ans qui suivent le traitement par
radiothérapie.
d’une variante sémantique d’un pssdans un type de corpus, au détriment des autres variantes,
signalerait donc le caractère spécifique du sens qu’a le verbe dans cepss, vis-à-vis du corpus en
question.
On a donc affaire à des verbes employés par les experts et les non-experts, mais dans
chaque communauté, au moins un sens ou une interprétation particulière du verbe prévaut
sur les autres. Dans le cas de diagnostiquer, les experts utilisent les deux interprétations du
verbe en question (‘examiner’ et ‘découvrir’), tandis qu’un seul semble être privilégié chez les
non-experts, ce qui fait toute la différence. Le fonctionnement du verbediagnostiquer illustre
deux phénomènes que nous nommonspolysémie intratextuelle vs.monosémie intratextuelle. Par
polysémie intratextuelle, nous désignons le caractère d’un verbe qui a plusieurs sens dominants
dans un type de corpus. La monosémie intratextuelle, quant à elle, renvoie au caractère d’un
verbe qui ne manifeste qu’un seul sens dans un corpus donné.
Les verbes dont les pss illustrent la variation sémantique, surtout l’opposition polysémie
intratextuelle vs. monosémie intratextuelle, doivent être abordés avec délicatesse. Ce caractère
particulier fait d’eux des candidats potentiels pour la simplification car la polysémie crée
facilement des difficultés de compréhension, le plus souvent du côté des non-experts qui, en
général, sont familiers de sens bien précis du verbe, liés à leur contexte socio-culturel. Quant aux
experts, ils sont susceptibles de connaître et d’utiliser les verbes en fonction de l’interprétation
qu’ils souhaitent leur conférer, et ceci grâce à leurs connaissances médicales. Cette inégalité du
niveau de connaissance se traduit également par le choix de constructions verbales privilégiées
dans les différents textes. Tandis que les experts font usage de constructions qui octroient au
verbe un sens technique et spécialisé, les non-experts ont tendance à utiliser des constructions
verbales à caractère général, bien connues de la plupart des locuteurs du français.
La variation sémantique peut également intervenir entre différentes structures syntaxiques
(par exemple transitive vs. intransitive). Autrement dit, le verbe peut changer de sens selon le
type syntaxique de pss au sein duquel il figure. En effet, l’analyse comparative des résultats de
l’annotation sémantique a permis d’observer un phénomène assez révélateur entre les verbes,
les structures argumentales et les corpus. Certaines structures argumentales semblent imposer
une certaine interprétation aux verbes qui les instancient. Ce phénomène est particulièrement
marquant avec les constructions transitives indirectes sujet verbe coi (introduit parde) etsujet
se verbe coi (introduit par de), qui sont prisées dans le corpus des experts. Les verbes relever
et accompagner peuvent servir d’illustration. Les tableaux 4.17 et 4.16 présentent quelques
exemples.
Le tableau 4.15 décrit la répartition en corpus des pssde ces verbes autour des structures
syntaxiques dominantes, notamment la structure transitive directe et la structure transitive
indirecte, qui est parfois couplée à la forme pronominale appelée le « se-moyen » (Zribi-Hertz,
1982), connue comme une variante du passif :
Tab. 4.15 – Répartition syntaxique des pssde relever et accompagner dans les corpus pro
et for.
Constructions relever accompagner
direct indirect direct indirect
Exp 9 26 4 81
For 15 3 5 11
Le cas du verberelever est particulièrement frappant. Dans le corpus pro, sur 36 occurrences,
26 correspondent à la structure syntaxique transitive indirecte sujet relève de coi, qui est
pratiquement absente du corpus des forums, où l’on compte uniquement 3 occurrences. Le
mode de fonctionnement du verberelever est intéressant car dans cette construction transitive
indirecte, il fait montre d’une forte polysémie, particulièrement dans le corpus des experts. Le
tableau 4.16 (ainsi que le tableau 4.17) donne quelques pss illustrant cette polysémie, avec
les synonymes du verbe dans chaque emploi. Le symbolex indique que le pss en question est
utilisé dans un corpus :
Tab. 4.16 – Relever dans les constructions transitives directe et indirecte.
pss synonyme pro for exemples
S relève qqch noter x
Aujourd’hui on m’ a posé un MAPA
pendant 24 heures et les résultats
me sembles un peu élevé ,
j’ ai relevé plusieurs fois les chiffres.
J relèvef prendre x x L’infirmière a relevé ma tension.
S se relève se tenir debout x [...] il pouvait plus se relever
il sentait plus ses jambes, [...].
P relève de p être lié à x L’usage des techniques de RTC-3D relève
donc d’une bonne pratique médicale.
S relève ded souffrir de x
L’exonération du ticket modérateur
peut être donnée [...] lorsque le patient
relève d’une affection de longue durée.
S relève dep requérir x
Les patients hypertendus à haut
risque cardio-vasculaire relèvent
d’une prise en charge globale, justifiant
la prescription d’un antihypertenseur et
d’une statine.
Dans le corpus des forums, par contre, la structure argumentale transitive directe est dominante,
comme le montre le tableau 4.15. Dans lepss pronominal réflexif qui est le plus fréquent chez
les non-experts (15 occurrences), le verbe fonctionne comme un verbe de mouvement. Dans
le pss transitif direct, qui intervient également dans le corpus des experts (avec une faible
fréquence), le verbe oscille entre les sens : ’prendre des notes’, ‘remarquer’, ‘hausser’, ‘souligner’,
etc.
Comme l’indiquent les tableaux 4.16 et 4.17, dans le corpus des experts, le verbeaccompagner
intervient aussi fréquemment dans la construction transitive indirecte, qui s’associe très souvent
à la construction « se-moyen ». Les exemples fournis dans ces tableaux peuvent appuyer ce
constat :
Tab. 4.17 –Accompagner dans les constructions transitives directe et indirecte.
pss synonyme pro for exemples
J/S accompagne s amener x Le médecin a directement accompagnée
ma soeur au scanner.
D accompagne d survenir x x Rassure toi, les extrasystoles accompagne
cette maladie un peu chiante .
avec
F accompagnef suivre x x Chez moi, les maux de tête accompagnent
toujours la fièvre.
F s’accompagne de F entraîner x La prise de poids s’accompagne d’une
élévation de la pression artérielle.
D s’accompagne de d entraîner x Les troubles bipolaires peuvent
s’accompagner d’épisodes de dépressions.
Dans le pssJ/S accompagne S, qui est fréquent dans le corpus des forums, le verbe a un sens
de déplacement, tandis que dans la construction F/D accompagne F/D, le verbe exprime la
succession ou la précédence entre deux éléments.
Une analyse du sémantisme des verbes accompagner et relever dans les phrases des tableaux
4.16 et 4.17 permet de se rendre compte que, dans la construction transitive indirecte, il
existe un élément commun à leurs sens, qui n’intervient pas lorsque ces verbes entrent dans
la construction transitive directe. Il s’agit d’un sens d’association (entre deux éléments), qui
est l’interprétation sous-jacente imposée aux verbes par la construction intransitive.Un patient
qui relève d’une maladie est un patient qui a, qui souffre de cette maladie, de même qu’une
procédure qui relève d’une autre procédure est liée à cette dernière. Il peut s’agir d’un lien
de dépendance ou d’association, de cause-effet, etc. Il en est de même pour Une fonction
de l’organisme qui s’accompagne d’une autre fonction de l’organisme ou une maladie. Cette
fonction est en quelque sorte associée à la seconde car l’une implique l’autre. De ce qui précède,
nous remarquons que malgré les différents rapports de synonymie que peuvent avoir les verbes
dans cette construction transitive indirecte, l’idée d’association demeure présente.
Les verbes illustrant ce type de variation sémantique s’avèrent être d’excellents candidats
pour la simplification. En effet, les prédicats verbaux qui apparaissent régulièrement dans la
construction transitive indirecte au sein du corpus des experts sont susceptibles d’être difficiles
à interpréter, vu la forte polysémie que cette construction peut leur imposer et sachant qu’elle
n’est pas fortement sollicitée par les non-experts.
Dans le document
Analyse contrastive des verbes dans des corpus médicaux et création d’une ressource verbale de simplification de textes
(Page 162-169)