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1.3 Le verbe dans les travaux de recherche

1.3.1 Linguistique

1.3.1.3 La sémantique des cadres

Encore appeléeFrame semantics, la sémantique des cadres (désormaisFS) est une théorie qui

remonte aux années 1980. Elle est une extension de la grammaire des cas (Fillmore, 1968),

qui évoquait déjà l’existence des cas profonds ou rôles thématiques (agent, patient, thème,

instrument, expérienceur, etc.) dans le sémantisme du verbe.

Selon le sémanticlopédie

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(dictionnaire de sémantique), un rôle thématique est une étiquette

abstraite qui caractérise la relation sémantique qu’un prédicat (verbe, adjectif, nom prédicatif et

préposition) peut entretenir avec l’un de ses arguments. En d’autres termes, les rôles thématiques

dénotent des fonctions de nature sémantique assurées par les participants qui interviennent dans

la réalisation du prédicat verbal. Sur le plan syntaxique, ces participants sont représentés par les

arguments du verbe. Autrement dit, ils sont à l’interface entre la syntaxe et la sémantique. Les

rôles thématiques, tel que pensés par Fillmore (1968) ont pour intérêt de décrire les relations

sémantiques entre un verbe et ses différents arguments. Plus précisément, leur rôle consiste à

expliquer le comportement lexical du verbe au-delà de la sous-catégorisation syntaxique.

Cependant, de nombreuses critiques ont été émises par rapport à certaines irrégularités liées

au nombre

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, à la nature (complétude/unicité, distinction), et bien d’autres propriétés de ces

rôles thématiques, donnant naissance à diverses théories (Jackendoff, 1972, 1987 ; Foley &

Van Valin Jr, 1984 ; Dowty, 1991 ; Levin, 1993 ; Baker, 1997 ; Màrquez et al., 2008 ; Kasper,

2008 ; Palmer et al., 2010). Le caractère abstrait des rôles thématiques fait partie des éléments

qui ont été fortement remis en question. D’après les opposants de Fillmore (1968), les rôles

thématiques ne décrivent que de manière globale les relations prédicat-arguments, puisqu’ils

ne réussissent pas à capturer certaines spécificités caractérisant de façon particulière les types

de participants au procès verbal. Autrement dit, cette liste prédéfinie de rôles sémantiques ne

peut pas saisir certaines distinctions sémantiques pertinentes entre des situations particulières

décrites par un ou différents verbes. Les exemples suivants peuvent servir d’illustrations :

3) La dame propose la marchandise à la cliente.

4) Le chargé de cours propose un test aux étudiants.

Les phrases 3 et 4 partagent la même structure argumentale (Su-cod-coi)

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, avec en commun

l’infinitifproposer comme prédicat verbal. Si l’on décide de faire une analyse en rôle thématique

de ces phrases, les arguments sujets commerçant et professeur joueraient le rôle d’agent.

Toutefois, si l’on souhaite faire une analyse comparative de la relation sujet-verbe entre ces

deux phrases, il serait nécessaire de caractériser de façon plus détaillée la relation entre le verbe

proposer et chaque sujet. Ceci reviendrait à préciser que le sujetcommerçant joue le rôle de

vendeur, tandis que le sujet professeur assure la fonction d’enseignant dans la situation

que dénote le verbe.

L’avènement de la sémantique des cadres

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de Fillmore (1982) a contribué à combler certaines

lacunes identifiées dans la notion de rôles thématiques. D’ailleurs, son principal objectif, tel que

le précise Fillmore & Baker (2010), est de proposer une solution aux problèmes que pose la

richesse sémantique des unités lexicales (noms, adjectifs, verbes) dont elle décrit la syntaxe

17. Au fil du temps, différentes listes de rôles sémantiques ont été proposées par différentes théories. Kasper (2008) effectue une étude comparative de ces théories.

18. Su = sujet ;cod= complément d’objet direct,coi= complément d’objet indirect.

19. Elle est perçue comme une approche évoluée des rôles thématiques, puisque Fillmore fait partie des fondateurs de cette théorie.

et la sémantique. Pour ce faire, la FS propose une grille de rôles sémantiques des verbes.

Contrairement aux cas profonds (rôles thématiques), les rôles sémantiques de la FS sont propres

à la situation de communication décrite par l’unité lexicale analysée (acheter : vendeur,

argent, bien, acheteur, etc.). Mais des généralisations sont possibles via des relations

entre les rôles et les différentes situations qui sont liées.

Le principe fondamental de la FS est que le sens d’un mot ne peut être interprété que si

l’on a accès aux informations (linguistiques, extralinguistiques ou encyclopédiques) essentielles

faisant référence à ce mot dans une situation de communication schématisée par un frame ou

cadre sémantique. Ces informations peuvent donc être accessibles grâce au cadre

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au sein

duquel les unités lexicales sont organisées.

Lecadre est défini comme un scénario, un schéma ou une structure conceptuelle qui sous-tend

l’utilisation d’un item lexical ainsi que son interprétation (Fontenelle, 2009). Il décrit un type

particulier d’évènement, de relation, d’entité, etc., ainsi que les participants qui y interviennent.

Ses participants, lesFrame elements (FE), peuvent être obligatoires (core elements) ou facultatifs

(non-core elements). Un cadre est évoqué par une unité lexicale (LU). Par exemple, le frame de

la transaction commerciale (Fillmore, 1976) peut être évoqué par différentes unités : acheter,

vendre, payer, récupérer, etc., et plusieurs participants : obligatoires (vendeur, argent,

bien, acheteur) et facultatifs (moyen, etc.). Lorsque l’unité évocatrice du cadre est un

verbe, l’analyse est focalisée sur les arguments de ce dernier qui représentent les éléments du

cadre. La sémantique des cadres est la théorie de base du projet FrameNet (cf. section 1.3.3.1)

(Ruppenhofer et al., 2006, 2013).

Depuis son apparition, la sémantique des cadres s’applique aux textes portant sur la langue

générale. Certains travaux de recherche récents font appel à ce cadre théorique pour l’annotation

et l’analyse des textes en langues de spécialité : dans le domaine biomédical (Dolbeyet al., 2006 ;

Dolbey, 2009), en sport, notamment en football (Schmidt, 2008, 2009), en droit (Pimentel,

2011), en informatique et dans le domaine de l’environnement (L’Homme, 2012a).

Le domaine médical n’est pas en reste. Borin et al. (2007b) entreprennent une étude

expéri-mentale dont l’objectif principal est d’examiner dans quelle mesure l’intégration d’informations

syntaxiques et sémantiques dans un corpus médical suédois peut contribuer de manière

signi-ficative à l’acquisition et à l’extraction semi-automatique de frames qu’ils appellentschémas

sémantiques. L’étude porte exclusivement sur les prédicats verbaux. Les éléments qui entourent

les verbes subissent un étiquetage morpho-syntaxique effectué grâce au Cass parser (Abney,

1997). Les unités nominales sont ensuite annotées en classes sémantiques, grâce au MeSH

tagger

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(pour le suédois) qui leur associe des catégories sémantiques décrivant les types

20. Màrquezet al.(2008) résume cette idée, en expliquant qu’un cadre relie la sémantique linguistique aux connaissances encyclopédiques.

d’entités médicales qu’elles dénotent : (a) anatomy, (b) organism, (c) chemicals and drugs,

(d) analytical, diagnostic and therapeutic techniques and equipment, (e) psychiatry and (f)

psychology. La méthode d’annotation utilisée dans cette étude est très similaire à la nôtre. En

effet, contrairement au projet FrameNet qui met beaucoup l’accent sur les rôles sémantiques

joués par les participants au prédicat verbal, Borin et al. (2007b), tout comme nous,

s’inté-ressent davantage aux types de concepts médicaux impliqués dans la réalisation du procès verbal.

Cependant, notre étude se démarque de FrameNet dans le sens où nous faisons une analyse

syntaxique dépendancielle des phrases de notre corpus avec l’analyseur syntaxique Cordial

Dependency Parser (Laurent et al., 2009), afin de détecter les relations de dépendance entre les

verbes et leurs arguments. La deuxième différence est que notre étude s’inscrit dans le contexte

de la simplification de textes

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, tandis que celui-ci a pour but l’extraction semi-automatique de

schémas sémantiques des verbes. Et enfin, notre étude porte sur la langue française qui, à notre

connaissance, n’a pas encore été impliquée dans un tel projet axé sur les cadres sémantiques

médicaux.

La théorie des cadres sémantiques occupe une place importante dans notre travail car elle fait

partie des théories de base qui servent de socle à cette étude. Toutefois, nos approches diffèrent

sur certains aspects qui seront abordés dans la section suivante (cf. 1.3.3.1). Par conséquent,

notre méthode est considérée comme le fruit d’une adaptation de la FS.