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1.3 Le verbe dans les travaux de recherche

1.3.2 Terminologie

1.3.2.2 L’approche lexico-sémantique

Cette approche repose sur la théorie linguistique qu’on appelle lasémantique lexicale, qui d’après

(L’Homme, 2012b) est l’une des premières théories à avoir montré l’importance de la structure

argumentale du verbe et du réseau lexical auquel il appartient. Dans ce cadre théorique, la

caractérisation de la nature spécialisée du verbe est basée sur la description de sa structure

argumentale ou son appartenance à un ou plusieurs réseaux lexicaux, (morpho-)sémantiques ou

paradigmatiques. L’observation et l’analyse des différentes occurrences du verbe en corpus est

la base de cette approche qui joue un rôle déterminant dans ce travail de thèse.

La structure argumentale

Dans cette branche de l’approche conceptuelle, L’Homme (2012b) défend l’hypothèse selon

laquelle l’analyse de la structure argumentale du verbe peut permettre de démontrer sa nature

terminologique. En effet, comme il a été montré dans la section 1.3.1.1, la nature prédicative

du verbe fait qu’il a besoin des éléments qu’il régit pour la réalisation de son sens.

5) Le médecin examine le patient.

6) Le patient développe la maladie.

Dans les exemples 5 et 6, les verbesexaminer et développer véhiculent des sens spécialisés liés

au domaine de la médecine. Ces sens médicaux sont déterminés par le type d’actants (médecin,

patient, maladie) qui accompagnent les verbes. Supposons que les actants de l’exemple 6 soient

remplacés respectivement par le programmeur et l’outil, on obtiendrait la phrase suivante : le

programmeur développe l’outil. Dans cette phrase, le verbedévelopper a un sens (‘programmer’,

‘mettre en place’, ‘concevoir’) complètement différent de celui (‘manifester’, ‘présenter’, ’souffrir

de’) de la phrase 6, et qui de surcroît ne relève plus du domaine de la médecine mais plutôt de

celui de l’informatique. À travers ce petit test, l’on peut constater combien le changement de

type d’actants d’un verbe peut influencer son sens. Ce constat permet de comprendre à quel

24. Toutefois, il faudrait souligner que la taille des dictionnaires interrogés pourrait avoir un impact sur les résultats de ce type d’étude.

point le sens d’un verbe est déterminé par les propriétés sémantiques de ses arguments. Une

étude visant à définir des critères d’identification des verbes terminologiques propose de prendre

en considération la nature sémantique des arguments du verbe, qui détermine son degré de

spécialisation (L’Homme, 1998). Ce raisonnement illustre l’hypothèse selon laquelle le verbe

n’est pas spécialisé par lui-même mais grâce à la prise en compte de sa structure argumentale,

et plus précisement du type d’actants qui interviennent dans sa réalisation. C’est ce critère

qui permet à L’Homme (2012b) d’admettre installer comme verbe spécialisé dans l’exemple

suivant :

7) L’utilisateur installe la nouvelle version du traitement de texte sur son PC.

Dans cette phrase, les termes (utilisateur,version,PC) qui représentent les têtes des arguments

du verbe appartiennent au domaine de l’informatique. Par conséquent, dans cet emploi,installer

peut être considéré comme verbe terminologique du domaine de l’informatique.

L’analyse des arguments des verbes constitue également un critère de poids chez Tellier

(2008) qui y trouve un moyen de sélection des verbes représentant de bons candidats termes

à ajouter à la nomenclature d’un dictionnaire spécialisé. Pour y parvenir, l’auteure étudie le

fonctionnement des verbes dans un corpus spécialisé relevant du domaine de l’infectiologie,

et en ressort avec une liste de 34 verbes sélectionnés, parmi lesquels l’infinitif éliminer. Le

prédicat éliminer s’est révélé être un terme de par la nature de ses actants (biopsie, infection,

antiseptique, malade, lymphocyte, caseum, mucus) repérés dans différentes occurrences en

corpus.

Ce critère est également utilisé dans d’autres travaux de recherche du même type (Lerat,

2002 ; Pimentel, 2011). Cependant, la caractérisation des arguments du prédicat verbal n’a pas

pour unique but l’identification des verbes terminologiques. D’autres objectifs peuvent être visés

tels que : l’extraction d’informations (à partir de corpus spécialisés du domaine de la biologie

moléculaire (Tateisi et al., 2004)), et l’élaboration de dictionnaires ((Pimentel, 2011), dans

cette étude, il s’agit d’un dictionnaire juridique bilingue portugais-anglais).

Cette approche, basée sur l’exploitation de la structure argumentale pour la reconnaissance des

sens spécialisés des verbes, cadre bien avec la méthode que nous souhaitons implémenter dans

ce travail de thèse. En effet, l’un de nos objectifs est de parvenir à identifier des patrons verbaux

médicaux à simplifier, à partir des catégories sémantiques

25

(cf. section 2.2.2) des arguments des

verbes. Nous nous proposons donc d’utiliser l’approche lexicale dans un contexte de simplification

de textes, pour la sélection des patrons spécialisés des verbes, entrées potentielles pour la

ressource de simplification finale. À notre connaissance, il n’existe pas encore d’étude dans le

domaine de la simplification de textes qui propose une telle approche axée sur la structure

25. Ces catégories sémantiques seront obtenues à partir d’une terminologie médicale utilisée pour l’annotation sémantique des corpus (cf. chapitre 3, section 3.2.2).

argumentale du verbe.

Le réseau lexical

Outre la nature des actants, L’Homme (2012b) émet d’autres paramètres qui peuvent être pris en

compte par les chercheurs lors du repérage des verbes terminologiques. L’un de ces paramètres,

qui revient très souvent, est le lien entre un verbe et un nom. Ainsi, si le nom est terminologique,

et si le verbe est sémantiquement et le plus souvent morphologiquement apparenté à celui-ci,

alors il est fort possible que le verbe soit spécialisé lui aussi. Ce critère s’observe avec les couples

suivants, proposés par l’auteure : développement -développer, téléchargement - télécharger,

réchauffement - réchauffer.

Dans ces exemples, le verbe et le nom correspondant désignent tous les deux une activité.

On aurait donc affaire à des noms de processus d’actions dont il est question dans l’approche

conceptuelle (cf. section 1.3.2.1). Autrement dit, l’approche conceptuelle et le réseau lexical

se rejoignent, lorsque le nom dérivé du verbe et le verbe lui-même expriment une activité, un

processus ou encore un procès comme le désignent la plupart des travaux de la littérature.

Malgré les différentes réserves

26

émises (Meinschaefer, 2003, 2005 ; Huyghe & Marín, 2007) par

rapport au transfert de propriétés entre le verbe et ses noms dérivés, il est généralement présumé

que les nominalisations

27

héritent des propriétés aspectuelles

28

des verbes dont elles dérivent

(Gross & Kiefer, 1995 ; Fábregaset al., 2012 ; Fábregas & Marín, 2012). Ce phénomène concerne

particulièrement les noms déverbaux

29

(Grimshaw, 1990 ; Haaset al., 2008 ; Villoing & Namer,

2008 ; Barqueet al., 2009), c.-à-d. des nominalisations qui partagent un lien morphologique avec

leurs bases (développer -développement). Autrement dit, selon le type de procès (Grimshaw,

1990) qu’exprime le verbe (état, action, évènement), les noms déverbaux dérivés peuvent avoir

différentes interprétations. Ils peuvent renvoyer soit au procès qu’exprime le verbe de base, soit

à l’un ou plusieurs de ses actants (agent, instrument, moyen, etc.) (Villoing & Namer, 2008).

Ainsi, l’approche conceptuelle se distingue de l’approche basée sur le réseau lexical, car il

existe des cas de figure où le sens du verbe et celui du nom dérivé sont distincts, malgré le lien

morphologique existant entre eux

30

. En effet, en dehors du sens d’activité, les noms déverbaux

26. Certains travaux de recherche montrent que le degré et processus de transfert de propriétés aspectuelles entre les verbes et les noms dérivés dépend de différents paramètres selon les types de verbes.

27. Nom dérivé d’une base verbale.

28. Depuis quelques années, les recherches sur l’aspect lexical (Aktionsart) ne s’intéressent plus uniquement aux verbes mais également aux noms dérivés, le but étant d’étudier les relations entre ces deux catégories en se focalisant sur l’aspect.

29. Un nom déverbal est un substantif qui résulte d’une opération morpho-sémantique consistant à appliquer sur un verbe un suffixe de type–ion,–age,–ment,–eur, ou zéro(Magri-Mourgues, 2015).

30. À ce propos, Meinschäfer (Meinschaefer, 2003, 2005) soutient que la relation morphologique (verbe-nominalisation) n’induit pas systématiquement un effet aspectuel particulier sur la nominalisation. Fábregas

peuvent exprimer d’autres types de relations avec le verbe de base (objet résultant, instrument,

agent, etc.). Ces relations renvoient aux actants qui participent à la réalisation du prédicat

verbal. C’est le cas du couple programmeur - programmer que propose (L’Homme, 2012b). Le

nomprogramme

31

désigne le résultat de l’activité que dénote le verbeprogrammer, tout comme

le nom programmeur désigne l’agent de l’action qu’exprime le verbeprogrammer. Comme nous

pouvons le constater, dans l’approche lexico-sémantique les noms peuvent servir de point de

départ à partir duquel les verbes spécialisés sont identifiés, en fonction des liens qu’ils partagent

avec eux. C’est d’ailleurs cette méthode qui permet à Tellier (2008) de retenir les verbesévoluer,

excréter, infecter et sécréter comme termes du domaine de l’infectiologie, de par leur parenté

aux nomsévolution,excrétion,infection etsécrétion. L’auteure base sa méthode sur le transfert

du caractère spécialisé des unités nominales vers les verbes correspondants.

Toutefois, il est possible de déplacer le point de départ de l’analyse vers le verbe. Cette

technique peut permettre de découvrir d’autres unités reliées au verbe et d’élargir ainsi le réseau

lexical construit autour de ce dernier (L’Homme, 2012b). Cette démarche a été appliquée lors

de la conception du DicoInfo (Dictionnaire fondamental de l’informatique et de l’Internet), une

base de données lexicales contenant des termes, y compris des verbes fondamentaux appartenant

aux domaines de l’informatique et de l’Internet (L’Homme, 2009). L’approche utilisée s’inspire

grandement des principes théoriques et méthodologiques de la Lexicologie explicative et

combi-natoire (Mel’cuket al., 1995) et permet de fournir pour chaque entrée du dictionnaire différents

types d’informations : la réalisation linguistique des actants, les liens lexicaux, les synonymes, les

contextes d’apparition du mot-clé, etc. Pour le verbeprogrammer par exemple, DicoInfo propose

divers types d’unités lexicales appartenant à son réseau lexical tels queprogrammation (’action

de programmer’), programme (’résultat de l’action de programmer’), informaticien (’agent de

l’action de programmer’), langage (’instrument utilisé pour programmer’), logiciel (’résultat

de l’action de programmer’), écrire (’synonyme de programmer’), développer (’synonyme de

programmer’), etc. Cet exemple permet d’observer que les mots repérés dans ce dictionnaire

sont liés au verbe par différentes relations exprimées à travers de courtes gloses explicatives.

Comme nous l’avons déjà souligné, l’approche lexico-sémantique fait partie des cadres

théoriques sur lesquelles se base notre étude. En effet, tout comme L’Homme & Bodson (1997),

nous pensons que le verbe, en tant que prédicat central de la phrase, est un excellent point de

départ pour cerner la syntaxe et la sémantique des phrases des textes spécialisés, puisqu’il permet

d’exprimer les connaissances véhiculées par les termes avec lesquels il cooccurre. Ainsi, dans

notre travail, la structure argumentale est perçue comme un canal par lequel les sens spécialisés

des verbes sont identifiés. Elle permet ainsi de proposer un/des meilleur(s) substitut(s) aux

verbes spécialisés, dans le contexte de la simplification de textes (cf. section 1.4).

31. Ce nom peut également faire référence à un instrument ou un outil, si l’on considère qu’un programme permet de réaliser une tâche bien précise.