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1.2 Communication médecins vs. patients

1.2.2 Communication écrite

Contrairement à la communication orale, le type de communication écrite qui nous intéresse

principalement, à savoir les textes à valeur didactique

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et informative écrits par les médecins

pour d’autres experts ou pour le grand public, et diffusés sur internet, se caractérise par

l’absence de ce que Marcoccia (2000) appelle lenon-verbal. Il s’agit de l’ensemble des procédés

et matériaux sémiotiques utilisés dans une communication en face-à-face et qui contribuent à la

rendre effective : les marqueurs personnels (l’apparence physique), les données paraverbales (ton,

intonation, rythme d’un énoncé, etc.) et les données non verbales (la gestuelle, les expressions

faciales, etc.). De plus, le caractère formel de ce type de communication réduit davantage les

possibilités (techniques dont dispose le rédacteur) de combler le vide laissé par l’absence du

verbal, comme cela se fait dans d’autres types de textes numériques tels que les e-mails, les

messages instantanés, ou les messages de forums (Marcoccia, 2004).

Dans une étude portant sur la représentation du non-verbal dans la communication écrite

médiatisée, Marcoccia (2000) explique qu’une bonne partie des possibilités offertes par la

communication en face-à-face disparaît avec la communication écrite médiatisée par ordinateur,

en l’occurrence avec les messages de type forums, e-mails, etc. L’auteur relève et analyse

différentes formes de représentation du non-verbal et du paraverbal dans des textes de forums

de discussion francophones (à savoir les smileys, les autoportraits, la ponctuation expressive, les

lettres capitales, et les commentaires métadiscursifs) et ainsi parvient à montrer que ces procédés

n’ont pas seulement une valeur ludique, esthétique ou distinctive mais qu’ils recouvrent les

fonctions qu’ont le non-verbal et le paraverbal dans la communication en face-à-face (Marcoccia,

2004). Il est important de remarquer que les textes analysés dans ce travail de Marcoccia

sont de type informel, un statut qui autorise l’utilisation des symboles comme les smileys et la

ponctuation expressive. Or, 2/3 des textes médicaux étudiés dans le cadre de notre projet de

thèse sont certes numériques, mais ont un caractère formel

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, ce qui exclut l’application des

procédés proposés ci-dessus, utilisés pour combler l’absence du non-verbal.

Dans les médias écrits, tels que les journaux, les brochures, les magazines, etc., la

communi-cation n’est pas toujours évidente car elle repose principalement sur les connaissances et points

11. Dans cette étude, nous nous intéressons aussi aux textes des forums de discussion, c.-à-d. des textes informels (cf. section 2.1.3.4, chapitre 2), mais ils interviennent en seconde position, après les textes formels dont provient notre problématique, à savoir, la difficulté de lecture (cf. section 3.3.2).

12. Dans ce travail, les 2/3 de notre corpus sont composés de textes écrits par des experts en médecine soit pour des experts, soit des étudiants, soit pour des patients.

de vue de l’auteur seul, dans notre cas les experts en médecine (Zeng-Treiler & Tse, 2006). Le

succès de cette forme de communication dépend donc du type de langage utilisé par le rédacteur.

À ce sujet, la plupart des travaux de la littérature identifient l’utilisation des termes nominaux

spécialisés comme la principale cause de difficulté de lecture des textes de spécialité (Lerner

et al., 2000). Or la difficulté de lecture ne concerne pas uniquement les entités nominales,

mais peut aller bien au-delà, en portant non seulement sur d’autres catégories grammaticales,

mais aussi sur la structure externe et interne du texte. Certains travaux de recherche effectués

récemment (Da Cunha et al., 2011 ; Todirascu et al., 2012) proposent une grande grille de

propriétés caractéristiques des textes scientifiques, parmi lesquels des textes médicaux. Cette

liste prend en considération des propriétés de différents types, qui impliquent les noms, les

adverbes, les adjectifs et également les verbes et d’autres catégories : propriétés statistiques

(longueur des mots et des phrases), propriétés lexicales (le fonctionnement des adverbes, des

adjectifs et des verbes), propriétés morphosyntaxiques (la complexité des syntagmes et phrases).

Une autre étude (Tellier, 2008) propose une approche de description des sens verbes médicaux

spécialisés dans des articles dictionnairiques, afin de répondre au problème de difficulté de

compréhension et d’interprétation de différents emplois de verbes dans un corpus médical du

domaine de l’infectiologie.

Lorsqu’il est employé dans des constructions ou contextes spécialisés, le verbe peut contribuer

à rendre la compréhension des textes spécialisés, en l’occurrence des textes médicaux, difficile

pour un lecteur non-expert. Ce point de vue est l’un des principaux arguments que nous

défendons dans cette thèse. En effet, contrairement à beaucoup de noms utilisés dans le

vocabulaire spécialisé, le verbe est un élément relationnel, en d’autres termes, sa syntaxe exige

qu’il soit accompagné d’arguments qui lui sont subordonnés et qui déterminent grandement son

sens (cf. section 1.3.1.1). Par conséquent, s’intéresser au verbe en tant que source de difficulté

de lecture des textes médicaux signifie analyser les constructions (les différentes structures

argumentales) dans lesquelles il apparaît. Ceci signifie que l’efficacité d’une communication

écrite médecin-patient dépend non seulement du choix des termes nominaux utilisés par l’expert

qui rédige le texte, mais aussi du choix minutieux des constructions verbales à employer dans

un texte adressé à un public de non-experts.

Plusieurs travaux de recherche en médecine étudient les problèmes de la communication

écrite entre les médecins et les malades ou le grand public (AMA, 1999 ; Zeng & Parmanto,

2003 ; Zeng-Treiler et al., 2007 ; Kharrazi, 2009). Ils décrivent entre autres la complexité des

informations adressées aux patients par les médecins via les sites Web (McCray, 2005 ; Tran

et al., 2009). Les recherches en linguistique, sociologie et anthropologie ont permis de relever

différents éléments qui favorisent les difficultés de communication entre médecins et patients.

Par exemple, dans une étude qui promeut la conception de dictionnaires médicaux pour patients,

Zeng-Treiler & Tse (2006) comparent le langage médical des médecins à celui des patients. Il

en ressort que :

— Les experts en médecine et les patients ne s’expriment pas de la même façon (Zielstorff,

2003). Ils utilisent des expressions ou phrases différentes pour décrire les mêmes concepts

médicaux.

— Les experts et les patients utilisent parfois des expressions similaires ou identiques mais

avec des interprétations différentes :

Among the worst case scenarios, consumers will misinterpret or (mis)associate

a term with context or connotations not intended by the content provider or

author. Alternatively, consumers may recognize or use a technical form, but

associate it with a concept in lay usage rather than one from a professional

health care domain (Zeng-Treiler & Tse, 2006).

Ce constat est également fait par Chapman et al. (2003) dans le cadre d’un exercice

donné à des patients souffrant du cancer, visant à évaluer leurs connaissances par rapport

aux termes et concepts médicaux utilisés par les médecins lors de différentes consultations.

— Face à un patient illettré ou natif d’une langue autre que celle parlée par le médecin, la

difficulté est encore plus importante car le fait que le médecin ne puisse pas traduire les

informations dans la langue du patient entraîne un risque d’incompréhension totale. Cette

situation est très souvent observée dans les régions multilingues. C’est ce que décrit Putz

(2008) dans une étude qui expose les défis linguistiques caractérisant le système des soins

médicaux au Tyrol du Sud, une région qui se distingue par la coexistence de trois langues :

l’allemand, l’italien et le ladin

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. Les résultats de l’étude, effectuée sur 9 médecins, mettent

en évidence les difficultés linguistiques que ces derniers affrontent en permanence dans

l’exercice de leurs fonctions : une bonne partie des patients (particulièrement les personnes

âgées et les enfants) parlent des dialectes de l’allemand qui diffèrent de l’allemand formel,

obligatoirement enseigné aux professionnels de la santé avant leur prise de fonction en

Tyrol du Sud. Le problème ici souligné concerne certes l’oral, mais il touche également

la communication écrite qui souffre des différents conflits qui caractérisent l’interaction

médecin-patient.

En résumé, comme l’expliquent Zeng-Treiler & Tse (2006) dans la citation ci-dessous, la

communication médecin-patient oppose deux différents groupes de personnes : d’un côté, un

groupe de personnes qui partagent des connaissances communes du domaine médical (apprises

dans le cadre de leur formation) et qui utilisent un vocabulaire standard et normalisé par le biais

de terminologies ; et de l’autre, un groupe de personnes qui diffèrent par leur origine, leur culture,

13. Le ladin est une langue romane qui est parlée en tant que langue maternelle dans certaines régions du nord-est de l’Italie.

leur éducation, etc. Ce deuxième groupe de personnes, c.-à-d. celui des patients, utilise un

langage résultant d’un mélange de langue courante et de terminologie médicale, puisqu’ils sont

en contact permanent avec le langage médical dans le cadre du suivi des soins. Paralèllement,

ces patients appartiennent à des sociétés qui ont différentes visions du monde, différentes

cultures, différentes croyances et systèmes de pensées, qui influencent considérablement leurs

interprétations du discours des experts. Cette différence génère un conflit au niveau de la

communication et de l’intercompréhension.

While health care specialists share foundational domain knowledge based on formal

education and professional experience, laypersons have some socially and culturally

derived notions of health and illness acquired from formal and informal sources

(e.g., media exposure) and unique personal experiences [...]

Les travaux décrits ci-dessus montrent qu’il existe un réel besoin d’aider les patients en trouvant

des moyens pour faciliter leur compréhension du langage médical (McCray, 2005 ; Borinet al.,

2007a). Des recherches ont été réalisées en sociologie et en informatique médicale dans le but de

cerner les spécificités de cette communication afin de la rendre plus aisée. Effectués manuellement

(Kharrazi, 2009 ; Chy et al., 2012) ou automatiquement (Kokkinakis & Toporowska Gronostaj,

2006 ; Chmielik & Grabar, 2011), ces travaux, centrés essentiellement sur l’étude du niveau

conceptuel et lexical de la communication entre patients et médecins, ont permis de signaler

une différence importante observée au niveau du lexique (Smith & Wicks, 2008). Partant de

ce constat, ces auteurs préconisent une simplification du vocabulaire des médecins afin de

l’adapter au savoir des patients (Bouhaddou & Warner, 1994 ; Waismanet al., 2003 ; White

et al., 2004). D’autres recherches en Traitement Automatiques des Langues (désormais TAL)

et en informatique médicale poussent la réflexion plus loin, en proposant et en constituant

des lexiques contenant des paires de termes médicaux spécialisés et non spécialisés alignés

(Zielstorff, 2003 ; Zeng-Treiler & Tse, 2006 ; Deléger & Zweigenbaum, 2008). C’est dans ce

cadre de simplification de textes médicaux que s’inscrit le présent travail de recherche.

Comme les études mentionnées supra, la plupart des travaux en simplification de textes de la

langue générale et/ou spécialisée se focalisent uniquement sur les entités nominales, au détriment

des autres parties du discours, en l’occurrence du verbe, dont l’étude du fonctionnement

en contexte spécialisé s’avère à notre avis un apport considérable, non seulement pour la

simplification de textes mais également pour d’autres tâches. C’est la raison pour laquelle la

tâche de simplification de textes que nous entreprenons dans ce travail de thèse se démarque

des autres travaux. Nous proposons une méthode de simplification de textes médicaux basée

non pas sur les termes nominaux mais sur les verbes associés à leur structure argumentale.

Cette tâche sera davantage décrite dans la section suivante.