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Chapitre 1 : Recension des écrits : Restructurations, transformations de

2.1 Modèle Conceptuel

2.1.2 Variables indépendantes

Nous considérons que les restructurations sont des nouvelles contraintes avec lesquelles doivent composer les syndicats. Lévesque et Murray (2003) sont d’avis que ces contraintes ne déterminent pas automatiquement l’action syndicale au niveau de l’entreprise. Puisque nous cherchons dans quelle mesure le syndicat peut développer une approche anticipative des restructurations, nous avons retenu dans la littérature la variable explicative qu’est la capacité d’action du syndicat local au niveau de l’établissement : l’anticipation implique une action locale.

La capacité d’action du syndicat d’établissement est déterminée par les ressources de pouvoir syndicales identifiées par Lévesque et Murray (2003) qui sont la capacité stratégique, la solidarité externe et la solidarité interne. Toujours selon Lévesque et Murray (2003), la capacité d'action dont dispose le syndicat explique l’influence qu’il aura ou non lors de la prise de décision de l’entreprise au regard des changements organisationnels comme les restructurations. De ce fait, il peut expliquer l’anticipation du syndicat à l’égard desdites restructurations, c’est-à-dire sa capacité d’obtenir une information pertinente, sa capacité de construire un processus de négociation pouvant modifier les termes de ces dernières, sa capacité d’obtenir le droit d’être consulté pour influencer les décisions de restructuration ainsi que sa capacité de proposer d’autres avenues (AgirE, 2008). Comme le montre la figure 3, nous voulons déterminer quelle peut être l’influence de la capacité d’action du syndicat sur son anticipation des restructurations.

61 b) Caractéristiques de l’entreprise

Comme nous avons pu le voir à la section 1.3.1, les caractéristiques de l’entreprise englobent les aspects suivants : la culture de l’entreprise, son modèle de management et son pays d’origine; la forme et le lieu de la prise de décision dans l’entreprise; le secteur d’activité et la marge discrétionnaire de la direction locale.

i) Culture, modèle de management et pays d’origine de l’entreprise

La culture, le modèle de management ainsi que le pays d’origine sont tous les éléments culturels touchant et formant les valeurs issues de l’entreprise (ses dirigeants, ses politiques, son histoire, etc.) (AgirE, 2008).

La culture de l’entreprise, qui est un ensemble de valeurs, de pratiques et de comportements partagés par ses dirigeants, est une variable-clé dans l’explication des logiques d’actions se déroulant dans l’entreprise. Par exemple, certaines firmes sont idéologiquement opposées aux syndicats et par le fait même sont moins enclines à favoriser la participation de ces derniers dans les processus de changement (Collings, 2007). En outre, nombreuses sont les entreprises dont les choix stratégiques s’orientent en fonction d’une culture davantage basée sur les intérêts des actionnaires que sur la prise en compte des parties prenantes (Hoffmann, 2006).

Le modèle de management retenu par la firme détermine lui aussi s’il y aura prise en considération des syndicats dans les processus de restructuration. Un modèle de management anglo-saxon (shareholder) qui donne priorité aux intérêts des actionnaires dans le processus décisionnel au détriment des parties prenantes alloue moins d’espace aux syndicats et aux autres acteurs sociaux pour anticiper les restructurations. Un modèle de management continental (stakeholder) privilégiant l’équilibre entre les différents acteurs offre quant à lui davantage d’espace aux syndicats pour anticiper (AgirE, 2008).La culture de l’entreprise ainsi que l’adoption du modèle de management sont en partie déterminée par la culture du pays d’origine de l’entreprise (Jacoby, 2005). La culture du pays d’origine influencerait l’espace alloué aux syndicats pour mener des

62 actions en regard à la décision de restructuration. Par exemple, les firmes anglaises semblent pour le moment réfractaires à la nouvelle régulation européenne des restructurations qui veut que les travailleurs et les syndicats soient informés et consultés à ce sujet. En effet, le modèle anglais de relations industrielles a été largement influencé par les politiques néo-libérales issues du long règne des conservateurs (Taylor et al, 2009). Les multinationales américaines ont, quant à elles, des pratiques de gestion qui ne favorisent pas la concertation patronale-syndicale compte tenu du lourd passé d’hostilité envers toute forme de représentation collective des travailleurs (Almond et al., 2005). À l’instar des chercheurs du projet AgirE (2008), nous croyons que les pratiques et les comportements propres à l’entreprise, son modèle de management ainsi que son pays d’origine peuvent influer sur la capacité syndicale d’anticipation des restructurations. Notre modèle conceptuel montre clairement notre volonté d’examiner la relation existant entre ces concepts.

ii) Forme et lieu de la prise de la décision dans l’entreprise

La forme et le lieu de la prise de la décision dans l’entreprise est une variable qui expliquerait elle aussi l’espace alloué à l’implication des parties prenantes dans les décisions relatives aux restructurations voir section 1.3.1. Par exemple, une décision de restructuration centralisée (forme de la prise de décision) s’opère à distance des travailleurs et leurs représentants. Ainsi, en ne s’organisant qu’au niveau local, ces derniers auront de la difficulté à influencer le processus décisionnel (Bain et Taylor, 2008). Cette variable découlerait des règles issues du modèle de gouvernance (mode de composition de l’actionnariat) choisi par l’entreprise et ce, lors de la mise en œuvre de la restructuration. La forme et le lieu de la prise de la décision dans l’entreprise, à l’occasion d’une restructuration, se situeront sur un continuum allant de la centralisation opérationnelle à la dynamique interactive avec les parties prenantes (AgirE, 2008).

63 iii) Secteur d’activité dans lequel évolue l’entreprise

La littérature révèle l’existence d’un lien entre l’accélération du processus de restructuration et le secteur d’activité où opère l’entreprise (AgirE, 2008). L’anticipation des restructurations demande à l’action collective du temps pour l’information, la concertation et la négociation. En ce sens, nous croyons que le secteur d’activité dans lequel évolue l’entreprise est une variable explicative du temps alloué aux parties prenantes pour anticiper la restructuration (AgirE, 2008). En outre, le secteur d’activité conditionne les stratégies de localisation des entreprises (AgirE, 2008). De ce fait, nous considérons que le secteur d’activité influence l’anticipation syndicale des restructurations.

iv) Marge discrétionnaire de la direction locale

Comme on l’a vu à la section 1.3.1, la marge discrétionnaire de la direction locale s’évalue en fonction de la position de son établissement dans la chaîne de valeur de l’entreprise selon son type de produit (Bouquet et Birkinshaw, 2009) et de la capacité d’agir propre aux dirigeants locaux (« boy scout » ou « subversif ») (Morgan et Kristensen, 2006). Toujours à la section 1.3.1, nous avons vu que moins l’établissement jouissait d’une position importante dans la chaîne de valeur de par son type de produit (spécialisation) et de par la proximité (éloignée) de son marché, la marge discrétionnaire de la direction de cet établissement était significative. Enfin, les dirigeants locaux ont une capacité d’agir qui leur est propre (leadership) et que celle-ci pouvait influencer les décisions de la haute-direction.

En ce sens, la marge discrétionnaire de la direction locale conditionnerait l’anticipation des restructurations par les parties prenantes, dans la mesure où plus elle est grande, plus la participation de la direction locale avec la participation du syndicat local sera considérée dans la prise de décision corporative sur les restructurations (AgirE, 2008).

64 c) Caractéristiques du territoire sub-national

Il convient désormais d’examiner les dynamiques des acteurs présents sur le territoire puisqu’ils ont un impact considérable quant aux conséquences sociales des restructurations : la survie d’un établissement peut être rendue possible par une mobilisation et une coordination des acteurs territoriaux. Certaines variables relatives au territoire permettent d’expliquer ces dynamiques. Le cadre institutionnel et l’environnement juridique (l’ensemble des lois qui encadrent les processus de restructuration) permet d’expliquer en partie l’espace d’action ainsi que le temps d’action offerts aux acteurs pour anticiper la restructuration. La culture locale peut déterminer s’il y aura sur le territoire une transmission adéquate d’informations économiques et sociales de qualité. Une coordination des différents syndicats couvrant le territoire peut également être une condition de succès pour négocier les restructurations. Ensuite, s’ajoute la possibilité d’un partenariat territorial entre acteurs présents sur le territoire (sociaux, politiques, administratifs, civils) susceptible de servir d’appui aux syndicats dans leur anticipation des restructurations (Moreau, 2008). Ainsi, nous sommes d’avis que les caractéristiques du territoire sub-national permettent d’expliquer en partie l’anticipation syndicale des restructurations.

d) Stratégie patronale de restructuration

La troisième variable, soit la stratégie patronale de restructuration, est déterminante pour l’anticipation syndicale. Comme on l’a vu à la section 1.5.2, le type de stratégie (fermée ou ouverte) choisi par la firme peut influencer l’implication des syndicats dans le processus de restructuration, c’est-à-dire l’espace d’action disponible pour les syndicats. De plus, la nature-même de la restructuration (délocalisation, externalisation, fusion- acquisition, consolidation, fermeture et autres) peut quant à elle expliquer le temps ainsi que l’espace alloués aux syndicats pour anticiper les conséquences négatives des restructurations (AgirE, 2008). S’ajoutent à cela, les processus de planification et d’implantation de la restructuration déployés par l’entreprise qui sont susceptibles de jouer un rôle quant à la capacité syndicale d’anticiper.

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