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Chapitre 3 : Méthodologie de la recherche

4.5 Les caractéristiques de l’entreprise

4.5.4 Marge discrétionnaire de la direction locale

La marge discrétionnaire de la direction locale s’évalue en premier lieu par la position de l’établissement ainsi que par son type de produit. Les indicateurs sont les suivants : position de l’établissement dans le réseau de l’entreprise (chaîne de valeur); le type de production et sa destination (locale, à l’interne, à l’externe et à l’international) et les principales fonctions de l’établissement. Deuxièmement, la marge discrétionnaire de la direction locale repose sur la capacité d’agir propres aux dirigeants locaux, c’est-à-dire leur sens de l’initiative, leur leadership et leur volonté de laisser place à des pratiques et politiques issues de la culture locale. De plus, rappelons que la capacité d’agir propre aux dirigeants locaux peut à elle seule influencer les décisions qui se prennent au siège social. C’est pourquoi la marge discrétionnaire de la direction locale est un facteur conditionnant l’anticipation des restructurations par la direction locale avec la participation du syndicat local (Bouquet et Birkinshaw, 2009).

154 En ce qui concerne l’entreprise multinationale d’emballage de verre, il s’avère qu’elle n’est pas constituée en réseau. Toutes ses usines sont similaires (répliques) et ne produisent que des contenants de verre. En ce sens, l’établissement québécois d’emballage de verre ne détient pas une position plus importante ou moins importante par rapport aux autres usines de l’entreprise. La production de ces usines est destinée à des clients de l’industrie alimentaire et des boissons. Son marché est local car les clients de l’usine se retrouvent pour la plupart dans un rayon de 1000 km.

Par ailleurs, la capacité d’agir propre à la direction locale est fonction du sens de l’initiative et du leadership des dirigeants qui la constituent. S’ajoute à cela leur volonté de laisser place à des pratiques et politiques de la culture locale. L’ex-directeur des ressources humaines dresse un portrait un peu sombre de la qualité des gestionnaires de l'usine qui étaient en place en plus de remettre en question leur leadership:

«Tsé, tu dis heu – mon ami untel, t’es le meilleur sur la production et le poste de contremaître est vacant alors – on a pris le meilleur sur la ligne mais c’est pas ton meilleur gestionnaire. Or, tsé quand t’as 42 contremaîtres qui ont tous été promus à peu près de la même façon. […] c’est pas parce qu’il a commencé comme balayeur qu’il fera pas un bon directeur d’usine mais tu regardais sa gestion, tu regardais sa façon de prendre des décisions pis tout ça, c’était beaucoup par instinct. Y avait beaucoup de gens comme ça dans cette industrie-là.» (Intervenant 4)

«Pis je l’ai jamais fait mais j’aurais été curieux de voir la dernière convention collective que j’ai négociée pis celle que mon fameux patron (un Américain) qui donnait tout au syndicat, a négociée, j’suis sûr qu’il y a un paquet d’affaires qu’il a dû concéder pis il voyait pas les conséquences parce qu’eux autres, c’était moi qui était avec mon personnel au quotidien, la planification de la main-d’œuvre pis tout ça. […] Lui il avait vraiment mission d’avoir une paix sociale avec le syndicat.» (Intervenant 4)

Le syndicat a un autre point de vue sur la même personne : « À l’époque, on était chanceux, on avait un directeur, Monsieur X, qui avait une ouverture d’esprit assez extraordinaire là, qui prônait les échanges, la communication et le respect. Faque on l’écoutait beaucoup.» (Intervenant 3).

155 Bien qu’il se soit senti appuyé par un des directeurs de l’usine lorsqu’il prenait des décisions, l’ex-DRH croit que ce ne fut pas toujours le cas en présence d’autres directeurs de l’usine. Pour illustrer son propos, il prend l’exemple de contremaîtres qui n’ont quant à eux pas reçus cette bénédiction patronale :

«Tsé gérer la qualité, ben je veux dire t’as des contremaîtres qui ont voulu gérer la qualité, l’absentéisme pis des affaires de même, ben ils se sont brûlés parce que la gestion les a pas appuyés. Je vois encore des contremaîtres qu’on a été obligés de laisser partir parce qu’ils s’étaient brûlés avec le syndicat parce qu’eux autres avaient décidé de respecter les normes de la compagnie pis les directives de la compagnie mais la direction les avait pas appuyés.»

(Intervenant 4)

De plus, la marge discrétionnaire de la direction locale s’est amenuisée avec l’arrivée des trois gestionnaires américains. Catapultés à l’usine québécois par le siège social, ils ont voulu s’attaquer à plusieurs pratiques et politiques qui étaient en place que ce soit au regard de la gestion des griefs, la gestion des paies, la signature des lois américaines et l’inutilité du département des ressources humaines. (Voir aussi 4.5.1)

En terminant, nous concluons que la marge discrétionnaire de la direction locale lors de la restructuration de 2004-2005 a été passablement réduite par la présence des trois gestionnaires américains. Tels des boyscouts effacés par leur absence de leadership et de compétence, les directeurs locaux ne semblent ni avoir été dans les véritables coulisses des opérations relatives à la restructuration ni avoir été une courroie de transmission entre le siège social et le syndicat local. En cela, nous croyons que la marge discrétionnaire de la direction locale ne semble pas à première vue avoir été un facteur favorable à l'anticipation syndicale de la restructuration. Toujours est-il que cette observation pourrait être nuancée par le fait que l'effacement apparent de la direction locale semblerait avoir donné plus d'espace d'action au syndicat local et à ses alliés. En ce sens, nous nous permettons de croire que la marge discrétionnaire réduite de la direction locale a pu favorisé en quelque sorte l'anticipation de la restructuration par le syndicat local.

156 4.5.5 Quelques constats

Nous constatons que l’entreprise américaine d’emballage de verre ne semble pas adhérer aux valeurs et pratiques canadiennes en matière de ressources humaines et de relations du travail. En effet, la venue des trois gestionnaires américains à l’usine québécoise tend à confirmer certaines idées reçues en regard des pratiques américaines se voulant réfractaires à tout exercice de concertation patronale-syndicale. S’ajoute à cela, cette volonté américaine d’ignorer les lois et les pratiques québécoises lors du processus de négociation de convention collective. En plus de remettre en question l’utilité d’un département des ressources humaines tant au niveau de ses fonctions (planification de la main-d’œuvre) que des programmes qu’elle administre (PAE), les trois américains du siège social ne semblent pas accepter la culture des relations du travail au Québec qui laisse place à la contestation syndicale (nombre élevé de griefs). Nous avons tout lieu de croire qu'il existe évidemment une importante distance culturelle entre le siège social et certaines de ses filiales. Quant au syndicat local, il semble n’avoir que du bon à dire au sujet de la venue des trois gestionnaires du siège social où régnait dans l’usine un climat favorable à la coopération.

Par ailleurs, nous sommes en mesure d’arriver à la conclusion suivante quant au secteur d’activité dans lequel évolue l’entreprise : le marché de l’emballage de verre en Amérique du Nord stagne et pour survivre à la compétition internationale, les entreprises doivent investir dans l’achat de nouvelles technologiques plus performantes qui fait le bonheur des clients. Étant donné que ce secteur d'activité est en déclin, il appert qu'une anticipation syndicale des restructurations semble être une option envisageable.

En ce qui concerne la forme et le lieu de la prise de décision dans l’entreprise, il appert que les avis de l’ex-cadre interviewé et du syndicat local divergent. Le premier juge que la décision de restructuration a été prise et opérationnalisée directement du siège social malgré la mobilisation syndicale dans la mesure où ce fut, selon lui, un choix uniquement stratégique pour desservir plusieurs marchés à la fois. De plus, l’ex-DRH est d’opinion que la direction locale ne fut nullement informée par le siège social du projet de restructuration et nullement impliquée par la suite. Le second, c’est-à-dire le syndicat

157 local, est d’avis qu’il a grandement été impliqué dans le processus de restructuration. Tel que vu à la section 4.3 du mémoire, le syndicat semble avoir créé son espace d'action dans la décision de restructuration.

En dernier lieu, bien que l’usine québécoise d’emballage de verre n’occupe pas une place plus importante ou moins importante que d’autres usines de l’entreprise (usines répliquées), nous faisons le constat suivant : la marge discrétionnaire de la direction locale semble avoir été réduite lors de la venue des trois américains qui, rappelons-le, étaient présents lors du processus de restructuration. Nous croyons que cette marge discrétionnaire réduite semble avoir eu pour effet de laisser un espace d'action au syndicat local pour pallier cette faiblesse de la direction locale. En ce sens, la marge discrétionnaire de la direction locale a possiblement partiellement et indirectement favorisé l'anticipation syndicale de la restructuration.