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Chapitre 3 : Méthodologie de la recherche

4.5 Les caractéristiques de l’entreprise

4.5.3 Lieu et forme de la décision dans l’entreprise

Rappelons que la forme et le lieu de la prise de la décision dans l’entreprise expliquerait elle aussi l’espace alloué à l’implication syndicale et à la direction locale dans les décisions relatives aux restructurations. En fait, la forme de la décision de restructuration se situe sur un continuum allant de la centralisation du processus décisionnel (centralisation opérationnelle) par le biais d’une information unilatérale (indicateur), à la dynamique interactive avec les autres acteurs par la présence de processus de concertation et de négociation (indicateur) (AgirE, 2008). L’indicateur retenu pour le lieu où a été prise la décision est le pays du siège social. Rappelons que le siège social de l’entreprise qui possède l’usine québécoise d’emballage de verre est situé aux États-Unis. L'ex-directeur des ressources humaines de l’usine considère que la décision de restructuration a été prise et opérationnalisée uniquement aux États-Unis bien qu’il reconnaît que celle-ci aurait grandement mobilisé le syndicat local. «Et à mon sens, comme je vous dis, la rumeur…parce que tout s’est passé aux États-Unis pis les Américains partageaient pas tellement avec les Canadiens mais on a eu une rumeur qu’ils avaient bien apprécié leur visite pis toute ça.» (Intervenant 4). Toujours selon lui, les Américains ont probablement stratégiquement choisi d’investir au Québec (car souvenons-nous qu’ils devaient faire un investissement en raison de la désuétude de leurs usines canadiennes) dans la mesure où l’usine québécoise pourrait aisément desservir les Maritimes, l’Ontario et le nord des États-Unis. L’ex-cadre admet qu’il ne connaît rien des

152 raisons qui ont ultimement fait pencher le siège social pour investir au Québec. Nous sommes dans les suppositions car la direction locale ne semble pas avoir été informée à ce sujet. Bien qu’elle s’est occupée du volet relatif au licenciement collectif, l’ex-DRH juge qu’il n’y ait pas eu de concertation ni de négociation en bonne et due forme entre les gens du siège social et la direction locale en regard à la restructuration.

« Ben moi j’ai un point de vue différent. Moi je dis que les Américains ont géré ça à partir des États-Unis. Je veux dire, on n’a pas été impliqués. La direction locale n’a pas été impliquée. Ils débarquaient ici pis il fallait être de bons soldats. Alors je veux dire…toutes les décisions pour l’usine, moi je me souviens pas que mon patron me disait – ah, j’ai été impliqué, j’ai été convoqué à aller aux États-Unis pis tout ça – je veux dire, il y a rien de ça. […] Mais on, par contre c’est sûr qu’on a demandé aux gens ici après ça de s’impliquer pour faire marcher l’usine pis de la rentabiliser, ça c’est sûr.» (Intervenant 4)

Cet effort de rentabilisation a été en partie orchestré par un «coach» provenant du siège social. En effet, en plus de la venue des trois Américains qui s’est étalée sur plusieurs années précédant la restructuration 2004-2005, le siège social aurait envoyé un ex- gestionnaire américain pour s’assurer du bon fonctionnement de l’usine durant celle-ci comme le confirme ici l’ex-DRH :

«Bien, ils nous ont envoyé un coach qui était là pendant des mois […] C’était un autre qui était retraité des ressources humaines que l’entreprise avait donné des contrats pour se promener d’usine en usine pour créer un esprit d’équipe pis de changer l’esprit pis tout mais tsé, c’est pas toujours facile. Il était rempli de bonne volonté mais moi j’ai pas vu heu…[…] Il allait dans les départements, il allait demander aux gens comment ça allait pis tsé veut dire. Il a essayé de changer le style heu la façon dont les gens s’adressaient au conseil d’administration pis des affaires de même.» (Intervenant 4)

Les membres de l’exécutif du syndicat local confirment les dires de l’ex-gestionnaire de l'usine au sujet de la venue des Américains pour l’effort de rentabilisation : «Pis dans ce temps-là, il y a eu des nouveaux directeurs, ben la corporation nous a envoyé de l’aide avec. Il y a trois messieurs qui ont été greffés avec la direction ici [...] pis effectivement y ont donné un coup de main. Ça a été extraordinaire.» (Intervenant 2). Semblerait-il que les trois Américains qui ont «coaché» le syndicat pour le bon déroulement des opérations

153 de l’usine ont informé le syndicat une semaine avant l’annonce du projet d’investissement que c’était dans la poche.

«De là que les trois Américains sont débarqués ici, ils nous ont challengé, ils nous ont coaché. C’est des gens qui ont travaillé fort pour l’usine là, ils étaient icitte pour nous analyser aussi. […] Moi, il me l’avait annoncé peut-être une semaine avant, il me dit – oui, il me reste à téléphoner puis ça devrait être ici - . Mais au début, il n’y avait rien de clair là- dedans donc quand ils ont fait l’annonce, on était tous contents. On savait à partir de là qu’il y aurait des pertes d’emplois mais si on jouait bien notre game, c’est là qu’il fallait travailler pour nos gens qui manquaient quelques mois.» (Intervenant 3)

Cela dit, nous croyons que le lieu et la forme de la décision patronale de restructuration ne semble pas avoir joué en faveur d'une anticipation syndicale de la restructuration de 2004-2005. Cette décision semble avoir été pris unilatéralement par le siège social et par la même occasion a été centralisée depuis les États-Unis puisque la multinationale a envoyé à l'usine des gestionnaires (et coachs) pour diriger l'opération.