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Chapitre 3 : Méthodologie de la recherche

4.7 La stratégie patronale de restructuration

Il appert que les stratégies de restructuration de l’employeur demeurent un facteur important de l’implication syndicale (Durand, Stewart et Castillo, 1998; Kochan, Landsbury et MacDuffie, 1997; Lévesque, Bouteiller et Gérin-Lajoie dans Lévesque, 2003). La stratégie patronale de restructuration est une variable qui se découpe en trois dimensions soit le type de stratégie de restructuration (centralisée/diversifiée), la nature

165 de la restructuration (faillite/fermeture, restructuration interne, délocalisations, sous- traitance, consolidation, fusion-acquisition) ainsi que la planification et l’implantation de la stratégie de restructuration (étapes, calendrier et temps alloué à la mise en œuvre) (AgirE, 2008).

Dans le cas de l’usine québécoise d’emballage de verre, la nature de la restructuration est une restructuration interne induite par l’introduction de nouvelles technologies. Cette restructuration interne s’est opérationnalisée par un licenciement collectif de 150 travailleurs. Nos entretiens auprès du syndicat local et auprès de l’ancien directeur des ressources humaines révèlent que les deux catégories de répondants ne partagent pas le même avis quant au type de stratégie de restructuration préconisé par l'employeur en 2004-2005 (centralisée ou diversifiée).

Selon l’ex-cadre interviewé, le syndicat et la direction locale n’auraient pas été impliqués dans le processus de changement mis à part au niveau du licenciement collectif. La stratégie patronale de restructuration semble être centralisée et fermée. À la venue des trois gestionnaires américains du siège social, événement qui précéda la restructuration de 2004-2005, bien qu'il était convenu au préalable que tous unissent leurs efforts pour faire en sorte que l’usine soit rentable, personne n'a semblé avoir été consulté pour la mise en œuvre de la restructuration. «C’est ça, ça a été un choc, tsé des gens un moment donné qui travaillent là, tsé ils voulaient que les cadres pis tout ça travaillent sept jours par semaine parce qu’eux autres travaillaient sept jours par semaine…was the way to do pis tout ça.» (Intervenant 4). Nous concluons ici que l'intervenant de la direction locale semble d'avis que la stratégie patronale de restructuration était centralisée.

Par ailleurs, les membres de l’exécutif du syndicat local estiment qu’ils ont été grandement impliqués dans la conduite du changement à plusieurs niveaux : les dirigeants du syndicat international se sont rendus aux États-Unis pour tenter de convaincre la multinationale d’investir dans l’usine québécoise et les membres de l'exécutif du syndicat local ont rencontré le vice-président du siège social à l’usine et se sont engagés à ce que l’usine fonctionne suite à l’obtention de l’investissement. En effet,

166 des gens du siège social s’étaient rendus à l’usine expliquer le pourquoi du comment que l’investissement avait été annoncé et aussitôt retiré.

«Le projet a été annoncé ici quand ils nous ont rencontré le 12 et le 13 janvier. Sont venus nous passer des messages. Ils trouvaient dans ce temps-là qu’on avait un nombre effrayant de griefs, il y avait beaucoup d’accidents de travail. C’était des nuages noirs qui passaient pour qu’ils nous disent changez ça, arrangez-vous pour éclaircir le ciel un peu par ce qu’ils nous annonçaient quelque chose de bien. […] C’est là qu’ils regardaient si le nuage se dissipait pour savoir s’ils allaient investir ici. Parce que c’était pas certain encore, trop de problématiques à l’interne.» (Intervenant 3)

Pour le syndicat local, la venue des trois gestionnaires américains à l’usine est davantage perçue comme une aide extérieure afin d’aménager une certaine structure de travail permettant le bon fonctionnement de l’usine. Les membres de l’exécutif du syndicat local considèrent leur implication dans le projet de rentabilisation comme étant une étape de la restructuration comme telle. Par conséquent, l’obtention de l’investissement était vue comme conditionnelle aux efforts investis par les travailleurs pour la rentabilisation de l’usine. Le syndicat local souhaitait montrer aux Américains qu’ils étaient capables de donner un bon rendement et que l’usine avait un urgent besoin d’investissement. Ils semblent avoir compris que ce n’est pas en revendiquant qu’ils allaient sauvegarder «leur» usine.

«C’est sûr qu’on osait pas faire des grosses actions syndicales ou des grosses revendications dans la peur de faire échouer l’investissement. Finalement, l’investissement était arrivé, bon on a réussi à l’avoir parce qu’il y a des Américains, encore là, qui sont venus pis ils ont dit les vraies choses, que la machine au A4 qui était à l’époque la grosse problématique, que oui ça venait vraiment de là, c’est pas des problèmes techniques à l’usine, c’est vraiment spécifique à ça. Ça nous a aidés avec pour eux autres qui changent un peu leur opinion sur nous autres.» (Intervenant 2)

Ici, le portrait du continuum existant entre la centralisation (stratégie fermée) et la diversification (stratégie ouverte) de la stratégie patronale de restructuration semble laisser croire qu'un espace était laissé ouvert à l'implication syndicale. Nous sommes davantage d'avis que cet espace d'action dans la restructuration a été créé par le syndicat

167 local lui-même. Nous n’avons pu obtenir d’entrevue avec les gens du siège social aux États-Unis. Cela dit, il devient dès lors difficile de livrer des résultats sur la planification et l’implantation de la stratégie patronale de restructuration. De plus, selon l’ex-directeur des ressources humaines, la direction locale ne semblait pas impliquée dans le projet de restructuration et ne recevait pas beaucoup d’information stratégique de la part des hauts dirigeants de l’entreprise américaine d’emballage de verre. Toutefois, nous sommes en mesure de constater qu'une stratégie apparaît avoir été orchestrée par le siège social pour s'assurer qu'il faisait le bon choix d'investir dans l'usine québécoise d'emballage de verre. En effet, la multinationale américaine a annoncé un projet d'investissement au début de 2004 pour le retirer deux semaines plus tard. Les gouvernements et le syndicat international (Métallos) ont sorti l'artillerie lourde pour convaincre les dirigeants de l'entreprise que l'usine québécoise allait devenir rentable après l'arrivée de la nouvelle technologie. La multinationale a voulu en quelque sorte s'acheter des garanties avant de remettre le projet d'investissement sur la table et l'officialiser l'année suivante. Toutefois, la stratégie patronale de restructuration ne semble pas être une variable clé pour expliquer la réussite de l'anticipation syndicale de la restructuration dans la mesure où la stratégie patronale semble avoir été davantage centralisée que diversifiée malgré qu'il s'agisse d'une restructuration interne qui facilite l'action syndicale.

4.7.1 Quelques constats

Nous constatons que la restructuration ayant eu cours à l’usine québécoise d’emballage de verre était une restructuration interne faisant suite à l’implantation de nouvelles technologies. Le type de stratégie de restructuration adoptée par l’entreprise nous semble être nébuleuse. Ce qui nous apparaît plus certain est que la restructuration s'est opérée de façon centralisée ou fermée ou du moins a été planifiée comme telle. Toutefois, l'exécutif du syndicat local a forcé l'employeur à les impliquer activement dans le processus de restructuration. Enfin, il est probable que le report de l’investissement faisait partie de la stratégie patronale de restructuration d’aller chercher un certain support financier et une adhésion des autres acteurs à son projet. Cela semble avoir fonctionné puisque que les gouvernements et les syndicats ont fait des pieds et des mains pour montrer aux gens du siège social que l'usine québécoise méritait d'être modernisée.

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CHAPITRE 5 – ANALYSE ET DISCUSSION DES