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Erosion de l'Himalaya et transport sédimentaire dans le système Gange-Brahmapoutre

3.2 Variabilité de la composition des sédiments de rivières

Les rivières du bassin du Gange-Brahmapoutre se caractérisent par une charge solide élevée en période de mousson. Dans les eaux de surface, elle se situe généralement entre 0.5 et 1 g.l-1 au Bangladesh et peut dépasser 2 g.l-1 à la sortie de la chaîne Himalayenne. Tous les échantillonnages de matières en suspension en profondeur montrent une fore augmentation de la charge sédimentaire avec la profondeur (figures 3.5 et 3.6). Les matières en suspension prélevées 1 mètre au-dessus du fond sont en moyenne 2 à 5 fois plus concentrées que les matières en suspension de surface. Pour le Gange, le Brahmapoutre et la Lower Meghna, la comparaison des échantillonnages effectués lors des moussons 2002, 2004 et 2005 fait apparaître une forte variabilité des charges sédimentaires d'une mousson à l'autre. Cette variabilité est nettement plus marquée pour les matières en suspensions prélevées en profondeur que pour celles prélevées en surface.

Figure 3.6 : Photographies des matières en suspension du Brahmapoutre collectées à Sirajganj en 2004. La profondeur d'échantillonnage et la masse sont indiquées en dessous de chaque échantillon qui correspond à la totalité des particules extraites après filtration de 5 l d'eau de rivière. L'augmentation de la charge sédimentaire et de la granulométrie avec la profondeur est très nette.

L'augmentation de la charge solide avec la profondeur s'accompagne d'une forte augmentation de la taille des particules (figure 3.6). La proportion de particules fines (< 2 μm) est maximale dans les matières en suspension de surface et décroît avec la profondeur pour atteindre des valeurs très faibles dans la charge de fond. La proportion de particules < 2 μm n'excède toutefois jamais 10 %, y compris dans les matières en suspension de surface. La proportion de silts (2-63 μm) décroît également avec la profondeur. A l'inverse, la proportion de particules grossières (> 63 μm) est très faible dans les matières en suspension de surface et augmente avec la profondeur pour devenir très majoritaire dans la charge de fond. La répartition granulométrique des matières en suspension de surface et de la charge de fond suit en général une loi de Poisson qui peut être modélisée par une loi log-normale dont le mode se situe respectivement dans le domaine des silts et des sables (figure 3.7). Les matières en suspension échantillonnées en profondeur ont une répartition granulométrique qui tend à être bimodale, le mode fin correspondant à celui de la matière en suspension de surface et le mode grossier tendant vers celui de la charge de fond. Avec l'augmentation de la profondeur on note une diminution progressive de l'importance du mode fin au profit du mode grossier (figure 3.7).

Figure 3.8 : Evolution de la composition chimique des sédiments avec la profondeur d'échantillonnage. Le rapport Al/Si caractérise la proportion relative de quartz et de micas + phylosilicates. Les sédiments sont soumis à un intense tri minéralogique qui concentre le quartz au fond alors que les micas et phylosilicates se concentrent en surface. Les rivières himalayennes à la sortie de la chaîne (Narayani et Kosi) présentent une différentiation moins poussée, en relation avec leur écoulement turbulent qui tend à limiter la ségrégation minéralogique.

La composition chimique des sédiments de rivière est également très variable avec la profondeur d'échantillonnage et le type de sédiment. Les profils d'échantillonnage en profondeur montrent une nette augmentation de concentration en Si et Na compensée par une diminution de la concentration en Al, Fe, K, Mg et H2O+

. Cette évolution est moins marquée sur les rivières Himalayennes à la sortie de la chaîne. Dans un diagramme représentant les rapports élémentaires des principaux éléments insolubles, Fe/Si en fonction de Al/Si, les

sédiments des rivières du bassin du Gange-Brahampoutre définissent une droite de mélange unique que l'on peut interpréter en terme de composition minéralogique (Galy, 1999; Galy and France-Lanord, 2001). Les deux pôles définis par cette droite sont d'une part le quartz (avec une faible proportion de feldspath) et d'autre part un mélange de micas et de minéraux argileux (phylosilicates). Ce mélange minéralogique passe par la composition moyenne des roches himalayennes érodées calculée par Galy et France-Lanord (2001). Les charges de fond sont enrichies en quartz alors que les matières en suspension de surface sont enrichies en minéraux argileux et en micas. Le passage de la composition minéralogique des matières en suspension de surface à celle de la charge de fond se fait de façon progressive. Le rapport Al/Si qui caractérise les proportions relatives de quartz et de micas et minéraux argileux diminue de façon pseudo-linéaire avec la profondeur (figure 3.8).

A partir de la composition des sédiments en éléments majeurs, nous pouvons calculer la proportion modale des principales phases minérales présentes. Ce type de calcul revient à résoudre un système sous-contraint et il est donc difficile d'utiliser une méthode d'inversion matricielle. Cependant, en procédant de façon empirique il est possible d'obtenir une assez bonne description des proportions modales des principaux minéraux. La proportion de certains minéraux comme le quartz et les plagioclases étant en effet très bien contrainte par la composition chimique en éléments majeurs. Cet exercice à été réalisé le profil d'échantillonnage en profondeur du Gange à Harding Bridge en 2004. Les résultats indiquent une nette augmentation de la proportion de quartz, de biotite et de feldspaths avec la profondeur tandis que la proportion de muscovite et de phylosilicates décroît (figure 3.9). La calcite peu affectés par les phénomènes de tri minéralogique. Toutefois, le calcul de la proportion de carbonates dépend fortement de la fiabilité de la mesure de la perte au feu et donc de la façon dont les échantillons sont déshydratés avant attaque chimique. Par ailleurs, ce type de calcul ne prend pas en compte les minéraux accessoires tels que les amphiboles, pyroxènes et autres grenats. Néanmoins, les résultats obtenus corroborent la description minéralogique réalisée à partir du diagramme Al/Si versus Fe/Si.

Table 3.2 : Composition minéralogique de sédiments de rivières du bassin du Gange déterminée par diffraction des rayons X. Les minéraux primaires (quartz, mica et feldspath) sont largement majoritaires par rapport aux minéraux d'altération (chlorite et smectite) et aux minéraux accessoires (amphiboles).

Sample # River Locality Type Qtz Micas Felds. Chlor. Smec. Calc. Dolo. Amph. Q+M+F

% % % % % % % % % BR 114 Gandak Hajipur SL* 28 37 3 14 16 1 1 n.d. 68 BR 102 Kosi Confl. BL 35 47 5 7 2 n.d. n.d. n.d. 87 BR 144 Gange Varanasi BL 55 13 13 5 2 1.5 1.5 2 81 BR 124 Gange Patna BL 51 9 9 5 n.d. 4 7 2 69 BR 105 Gange Manihari BL 31 41 5 9 9 4.5 n.d. 0.5 77

Qtz : quartz, Felds : feldspaths, Chlor. : chlortite, Smec. : smectite, Calc. : calcite, Dolo. : dolomite, Amph. : amphiboles, Q+M+F : somme de la proportion de quartz, de micas et de feldspaths. BL : sediment de fond, SL* : matière en suspension collectée avec un filet planctonique. n.d. = non détecté.

La composition minéralogique de quelques sédiments grossiers du Gange et de deux de ses affluents (Gandak et Kosi) a été déterminée au LEM (Nancy) par diffraction des rayons X. Les résultats sont regroupés dans la table 3.2. Le quartz et les micas sont systématiquement les minéraux les plus abondants et représentent à eux seuls plus de 50 % du total. Les feldspaths sont nettement moins abondants et leur proportion est fortement variable. La

proportion de phylosilicates (chlorite et smectite) et de carbonates (calcite et dolomite) est également variable et les matières en suspensions analysées présentent un net enrichissement en phylosilicates par rapport aux sédiments de fond. Pour les cinq échantillons analysés, la somme des proportions de quartz, micas et feldspaths représente entre 70 et 90 % de l'ensemble des particules. Bien que ces analyses soient seulement semi-quantitatives, elles sont concordantes avec les études minéralogiques réalisées sur des sédiments grossiers du Brahmapoutre et de la Marsyandi (Garzanti et al., 2004; Garzanti et al., in press).

Les caractéristiques physiques et chimiques des sédiments des rivières du basin du Gange-Brahmapoutre présentent donc une très grande hétérogénéité au sein de la section des rivières étudiées. Leur granulométrie et composition minéralogique décrit un continuum depuis des matières en suspension de surface enrichies en particules fines principalement composées de micas et minéraux argileux jusqu'aux charges de fond enrichies en particules grossières principalement composées de quartz. Ceci traduit l'effet du tri granulométrique et minéralogique auquel sont soumises les particules transportées par de grandes rivières telles que celles du bassin du Gange-Brahmapoutre. Il est absolument nécessaire de prendre en compte cette hétérogénéité sédimentaire afin d'estimer les flux et la composition des particules exportées par les grandes rivières. La mise en œuvre d'échantillonnages en profondeur détaillés est de ce point de vue une étape indispensable et, dans le cas présent, apporte un gain notable dans la caractérisation des sédiments transportés par les rivières du système Gange-Brahmapoutre.