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Introduction

L'érosion de la chaîne himalayenne se traduit par un flux sédimentaire du continent vers l'Océan Indien d'environ 1 à 2 milliards de tonnes par an (cf. chapitre III). De précédentes études, centrées d'une part sur le système fluvial Gange-Brahmapoutre et d'autre part sur le Cône du Bengale, suggèrent que le flux d'exportation et d'enfouissement de carbone organique terrigène associé à ce transport sédimentaire a une importance globale et donc une influence notable sur le cycle global du carbone organique (Ittekkot, 1988; Subramanian and Ittekkot, 1991; Derry and France-Lanord, 1997; France-Lanord and Derry, 1997; Aucour et al., 2006). Cependant, nous avons montré que les processus de transport exercent un contrôle majeur sur les caractéristiques des particules exportées par les rivières du bassin Gange-Brahmpoutre. Aussi, peut-on s'attendre à ce qu'il en soit de même pour le carbone organique particulaire. Par ailleurs, peu d'attention à été portée au cours des précédentes études à la nature du carbone organique exporté et enfoui. Il est pourtant capital, afin de quantifier l'impact de l'érosion de l'Himalaya sur l'évolution à long terme de la composition de l'atmosphère, de distinguer le carbone organique d'origine biologique de celui dérivé de l'érosion des roches Himalayennes. Enfin, la préservation du carbone organique dans les sédiments du Cône du Bengale n'a pour le moment pas été directement évaluée.

Tirant parti de notre description détaillée des sédiments fluviaux et de leur comparaison directe avec l'enregistrement sédimentaire du Cône du Bengale, nous nous proposons donc de reconsidérer dans son ensemble le problème du transport et de l'enfouissement de carbone organique associé à l'érosion de la chaîne Himalayenne. Ce chapitre, articulé autour de trois manuscrits soumis, s'attache donc à traiter trois aspects fondamentaux de cette thématique.

 Quel est le rôle de l'érosion actuelle de la chaîne Himalayenne dans le cycle global du carbone organique? Afin de répondre à cette question essentielle, nous avons utilisé une approche de bilan de matière basée sur une étude détaillée de la teneur en carbone organique dans les matériaux du système actuel d'érosion, depuis les roches de la chaîne jusqu'au système turbiditique du Cône du Bengale en passant par le système fluvial Gange-Brahmapoutre. Sur la base de la description du flux sédimentaire présentée au chapitre III et

de l'estimation de la teneur moyenne en carbone organique dans les sédiments exportés par les rivières, nous proposons une estimation du flux actuel de carbone organique associé au transport sédimentaire. A partir de l'étude de la teneur en carbone dans les roches Himalayennes et de la caractérisation géochimique du carbone organique transporté par les rivières, nous établissons une estimation de la proportion de carbone fossile dérivé de l'érosion des roches. Enfin, en comparant la teneur en carbone organique dans les sédiments de rivière et la teneur en carbone organique terrigène dans les sédiments récents du Cône du Bengale, nous pouvons estimer le taux de préservation, et donc d'enfouissent, du carbone organique terrigène. Cette approche nous permet finalement de quantifier le flux d'enfouissement de carbone organique récent associé à l'érosion de l'Himalaya et de le comparer aux autres systèmes continentaux soumis à l'érosion.

 Quels sont les mécanismes physico-chimiques qui gouvernent l'exportation et l'enfouissement de carbone organique terrigène? Le système Himalayen fournit un cadre d'étude remarquable pour étudier ce problème. En premier lieu, grâce à ses dimensions, il permet d'étudier ces processus à l'échelle d'un bassin d'importance continentale caractérisé par la présence d'un orogène très actif. Par ailleurs, il présente un très fort contraste de topographie entre la haute chaîne, la plaine d'inondation et le delta qui se traduit par différents régimes de transport. Enfin, nous avons montré au chapitre III que les processus de transport y génèrent naturellement de fortes hétérogénéités des caractéristiques sédimentaires comme la charge sédimentaire, la minéralogie et la granulométrie. Ainsi, la comparaison des caractéristiques physico-chimiques des sédiments et du carbone organique qu'ils véhiculent, nous permet d'étudier les relations entre le transport sédimentaire et l'exportation de carbone organique. En outre, l'évolution de la teneur en matière organique et de sa composition au cours du transport fluvial depuis la chaîne himalayenne jusqu'au delta nous renseigne sur la dynamique de transport et d'échange du carbone organique dans le système. Enfin, une caractérisation détaillée du carbone organique d'origine biogénique et du carbone fossile

l'étude détaillée des sédiments déposés dans le Cône du Bengale au cours du dernier cycle glaciaire-interglaciaire. Notre attention s'est tout d'abord portée sur les changements de végétation dans le bassin Himalayen, enregistrés dans la matière organique enfouie dans ces sédiments. La comparaison avec les reconstructions climatiques régionales ainsi que l'utilisation d'un modèle dynamique de végétation (CARAIB) nous permet de décrire l'effet des changements climatiques à la fois sur la principale source de la matière organique, la végétation, et sur les modalités de son transfert du continent à l'océan. Enfin, la comparaison avec le système actuel permet de tester l'influence d'une part de l'activité anthropique et d'autre part des changements climatiques sur l'exportation et l'enfouissement de carbone organique associés à l'érosion de l'Himalaya. Finalement, en guise de conclusion de cette partie, nous discutons les mécanismes d'interactions entre le climat et le cycle du carbone organique à l'échelle de la dizaine de milliers d'années.

4.1 Bilan actuel d'enfouissement de carbone organique

Sur le long terme, l'érosion des continents contrôle la teneur en CO2 de l'atmosphère via (1) l'altération des silicates et la précipitation de carbonate marins et, (2) l'enfouissement de carbone organique dans les sédiments océaniques (e.g. Berner, 1990). L'efficacité du second processus est cependant limitée par les processus qui contrôlent la charge en carbone organique des sédiments de rivière ainsi que par l'oxydation, au niveau des marges actives, d'environ 70 % du carbone organique délivré par les rivières (Hedges et al., 1997; Schlünz and Schneider, 2000; Burdige, 2005). Dans ce manuscrit, nous présentons un budget exhaustif de transport et d'enfouissement de carbone organique, depuis les roches Himalayennes jusqu'aux sédiments du Cône du Bengale. Nous montrons que l'exportation de carbone organique est contrôlée par les propriétés sédimentaires et que l'intégralité du carbone organique exporté par les rivières est enfouie dans les sédiments du Cône du Bengale. Entre 70 et 85 % de ce carbone organique est constitué de matière organique récente dont l'enfouissement constitue un puit de CO2 atmosphérique. L'érosion actuelle de l'Himalaya génère un flux d'enfouissement de carbone organique récent qui représente environ 15 % du flux global. L'exceptionnelle efficacité d'enfouissement du carbone organique est provoquée par une érosion physique très forte en Himalaya qui génère de fort taux d'accumulation et des eaux faiblement oxygénées dans la Baie du Bengale. Ce lien direct entre l'intensité de l'érosion physique et l'enfouissement de carbone organique est vraisemblablement caractéristique des orogènes actifs et doit, sur le long terme, exercer une rétroaction négative sur le climat à travers une séquestration accrue de CO2 atmosphérique.

Extreme efficiency of terrestrial organic carbon