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I. ABONDANCE, INDIGENCE OU ABSENCE DES CHARBONS DE BOIS DANS LES GISEMENTS

I.2. L’observation archéologique

I.2.2. Variabilité de la conservation des charbons de bois dans les gisements du

La présence dans un site paléolithique de charbons de bois nombreux et bien préservés est a priori le résultat de la conjonction entre une occupation au cours de laquelle l’usage du feu est fréquent (site résidentiel dont la durée d’occupation est relativement longue et où les activités sont variées – site spécialisé saisonnier, ayant pour vocation la réalisation d’activités particulières nécessitant l’usage du feu), et de conditions de conservation particulières.

Les sites du Proche-Orient illustrent souvent assez bien cette catégorie. Certains d’entre eux présentent notamment la particularité d’avoir conservé non seulement les charbons de bois, mais aussi les niveaux cendreux qui les accompagnent, ce qui est tout à fait exceptionnel dans les gisements européens. Le site de Kébara que nous avons déjà évoqué en est un bon exemple. Situé sur le Mont Carmel (Israël), la séquence s’étend du Paléolithique moyen à l’âge du Bronze. Les niveaux du Paléolithique moyen sont datés entre 60 et 49 000 ans. La sédimentation anthropique est responsable de la majeure partie du dépôt, notamment constitué de très nombreuses structures de combustion polyphasées, imbriquées horizontalement et verticalement sur plusieurs mètres d’épaisseur (Meignen et al., 2001, 2009 ; Bar-Yosef et Meignen, 2007).

32 Toutes les études suggèrent que le site de Kébara a fonctionné comme un camp de base, occupé de manière répétitive sur d’assez longues périodes pouvant s’étendre sur plusieurs saisons (consécutives ou non), dans lequel se déroulaient des activités intenses et diversifiées et en particulier le traitement et la consommation des gibiers (Speth et Tchernov, 2001 ; Meignen et al., 1998 ; Bar-Yosef et Meignen, 2007).

Si les analyses micromorphologiques et minéralogiques ont mis en évidence l’existence de phénomènes de piétinements, bioturbations, remaniements par l’eau et phosphatisation (Schiegl et al., 1994, 1996 ; Goldberg et al., 2007 ; Weiner et al., 2007) l’intensité de l’occupation, et en particulier le recouvrement rapide des structures par de nouveaux épisodes de combustion, semble avoir grandement participé à la conservation des structures de foyers avec superposition de niveaux organiques charbonneux et de niveaux de cendres, ainsi que nous l’avons évoqué plus haut. Le contexte géographique méditerranéen favorise une bonne préservation des résidus : le processus de mise en place des dépôts naturels de l’unité, caractérisé par une sédimentation régulière, essentiellement le fruit d’apports éoliens, combinés aux apports anthropiques (Bar-Yosef et al., 1992 ; Goldberg et al., 2007), participe du niveau de conservation exceptionnel noté dans ce gisement.

Dans le même type d’environnement, un second site, certes de chronologie plus ancienne, présente un niveau de conservation tout à fait différent. La grotte d’Hayonim, située sur les collines de Galilée occidentale contient une séquence moustérienne datée entre 230 et 160 000 ans. Dans la couche E, des accumulations de cendres attestent là aussi d’activités de combustion importantes. Pourtant, les structures elles-mêmes ne sont que partiellement conservées et les charbons de bois ne sont visibles qu’en lames minces. Les études minéralogiques montrent des modifications diagénétiques importantes et localisées dans ce niveau (Schiegl et al., 1996 ; Weiner et al., 2002) ainsi que des phénomènes de bioturbations et de piétinements contribuant à l’homogénéisation des sédiments. Des processus post-dépositionnels de même nature sont visibles à Kébara, mais les structures et les résidus carbonisés y sont bien présents ; ces processus ne suffisent donc pas à expliquer les différences de conservation notées entre les deux gisements.

Le volume des dépôts résultant des activités de combustion est beaucoup moins important à Hayonim. Des analyses phytolithiques ont été entreprises qui ont mis en évidence l’abondance de feuilles de dicotylédones accompagnées de bois et d’écorce. Cet assemblage

33 phytolithique, associé à la présence de boulettes d’argile rouge cuite est interprété comme l’utilisation d’un combustible constitué de branchages et de buissons poussant dans la « terra rossa » – résidu de l’altération des calcaires constituant le substrat local autour de la grotte – et donc prélevé dans l’environnement immédiat du site (Albert et al., 2003). Les autres données archéologiques disponibles pour ce site (lithique, faune, données spatiales) montrent par ailleurs une densité d’occupation bien inférieure à celle de Kébara et semble indiquer des durées d’occupation brèves et/ou concernant de petits groupes (Meignen et

al., 2009), séparées par des laps de temps importants. À ce type d’occupation seraient donc

associés de faibles besoins énergétiques que le prélèvement d’une ressource (buissons et branchages) immédiatement disponible à proximité suffit à combler. Un mode de collecte du bois de feu dit « opportuniste » – quoique pouvant être qualifié d’« efficace » (cf. Henry, 2011) dans la mesure où il est adapté aux besoins générés par le type de mobilité et d’installation du/des groupes concernés –, conduisant à l’utilisation d’une ressource produisant peu de résidus charbonneux au cours d’occupations de courte durée et non continues permet en partie d’expliquer la faible préservation des structures et l’absence de charbons de bois étudiables.

Si les processus post-dépositionnels identifiés contribuent également à altérer le dépôt, l’absence de résidus est ici à mettre en lien en premier lieu avec des facteurs anthropiques. Notons par ailleurs que les études mises en œuvre pour comprendre la mauvaise préservation des structures et des charbons de bois et l’identification du combustible utilisé fournissent en retour un argument supplémentaire permettant d’aborder la question des comportements humains et leur variété au cours du Paléolithique moyen.

En Europe, si les structures de combustion de ce type (alternance de niveaux charbonneux et cendreux) sont extrêmement rares, la présence de charbons de bois n’est pas exceptionnelle à partir du Paléolithique moyen, même si les restes semblent plus fréquents au Paléolithique supérieur. Cependant, les dépôts sont en termes d’abondance très hétérogènes.

Parmi les gisements moustériens, un certain nombre de sites présentent suffisamment de charbons de bois pour avoir fait l’objet d’études paléobotaniques. On citera Königsaue et Schafstall en Allemagne ; Moravsky Krumlov, Kulna, Mujina Pecina, Divje babe en Europe du centre et de l’est ; Remicourt en Belgique ; la Grotta di Fumane et Castelcivita en Italie ; Gorham’s Cave, El Castillo, Buena Pinta, Camino, l’Abric Romani en Espagne ; Le Lazaret, Pié

34 Lombard, La Combette, St Marcel, Les Canalettes, Le Grand Abri aux Puces, La Grotte Moula, Esquicho-Grapaou en France, ou encore les niveaux supérieurs de l’Abri Pataud, La Salpêtrière, l’Abri de la Laouza ou la Grotte Bouyssonie, etc., pour le Paléolithique supérieur. Ces quelques gisements ne constituent évidemment pas une liste exhaustive. Cependant, si cette énumération montre d’emblée que des assemblages anthracologiques, même anciens, sont disponibles à l’étude sur tout le continent européen, un certain nombre de sites en revanche sont remarquables par le contraste qu’ils présentent entre l’abondance de résidus témoignant de l’usage du feu (silex et pierres chauffées, os brûlés, cendres) et l’indigence ou l’absence des restes anthracologiques. Parmi ceux-ci, on compte Pech de l'Aze IV (charbons absents ou <2mm selon les niveaux ; Dibble et al., 2009), la grotte des Pêcheurs (charbons petits et rares ; Roebroeks et Villa, 2011), la Grotte Mandrin (rares fragments très localisés ; nos observations), l’Abri du Maras, la Baume des Peyrards, Jonzac, la Quina, St Cézaire, Isturitz, ainsi que la Grotte XVI dans laquelle les charbons sont présents sous forme macroscopique dans les niveaux holocènes, mais très peu représentés ou sous forme essentiellement microscopique dans les niveaux pléistocènes (Rigaud et al., 1995). On ajoutera les niveaux aurignaciens de l’Abri Pataud et la Grotte Castanet où les charbons macroscopiques sont présents, mais en faible abondance (Théry-Parisot, 1998, 2002) alors que les charbons microscopiques sont fortement représentés (Marquer, 2010).

À Pech de l’Aze IV, le niveau 8 (niveaux X, Y et Z de Bordes) contient des traces évidentes de l’usage du feu (silex et os brûlés ou chauffés, fragments de charbons en faible quantité, présence de cendres) et des structures de combustion y sont en partie conservées (synthèse concernant ce niveau : Dibble et al., 2009).

La flottation de 100 litres de sédiment a permis d’extraire seulement 460 fragments de charbons généralement <2mm et dont seulement 159 sont identifiables sur le plan taxonomique. Même en lame mince, les charbons sont petits (<0.25mm) et moins représentés que les os brûlés. L’utilisation de l’os comme combustible et/ou pour le nettoyage de la zone d’habitat avec rejet au feu semble attestée (selon le modèle de Costamagno et al., 2009), mais l’on ne peut pas ici envisager cela comme un recours venant pallier le manque de bois dans l’environnement. D’une part, les études expérimentales ont montré que l’alimentation des foyers en os nécessite un apport en grande quantité et qu’en ce sens la ressource osseuse n’est pas plus « disponible » que la ressource ligneuse (Théry-

35 Parisot et Costamagno, 2005) ; d’autre part, les quelques fragments de charbon qui ont pu être identifiés mettent en évidence un environnement boisé. Les analyses sédimentologiques, géologiques, archéozoologiques et les datations absolues permettent d’attribuer le dépôt du niveau 8 à une phase tempérée de l’OIS 5 (probablement 5c) au cours de laquelle la ressource ligneuse était accessible. La très faible représentation des charbons de bois ne peut en aucun cas être mise en relation avec un manque de bois. De même, les analyses interdisciplinaires (géologie, micromorphologie, analyse des fabriques et orientation des pièces longues, etc.) montrent que le niveau n’a pas subi de remaniement post-dépositionnel de grande envergure (ruissellement réduit, absence de processus cryogéniques) ni d’altération diagénétique contrairement aux sites précédemment mentionnés. En revanche, les analyses micromorphologiques mettent en évidence l’incidence du piétinement sur les résidus de carbonisation et l’altération des structures de combustion (compaction des cendres, fragmentation des os brûlés, des charbons et des blocs de cendres consolidés). Des remaniements intentionnels (vidange de foyer) sont également envisagés, les cendres (et une partie des charbons de bois ?) pourraient alors avoir été remobilisées, notamment par le vent.

Le piétinement, couplé à des occupations – et donc des activités liées au feu – peu intensives, pourrait dans le niveau 8 de Pech IV expliquer en partie la disparition partielle des charbons de bois.

Si le site de Pech de l’Azé IV n’est pas affecté par les processus périglaciaires, en revanche, de nombreux gisements de la région dans lesquels les charbons de bois sont rares, présentent des traces importantes de l’activité du gel. C’est le cas dans le Périgord de la grotte Vaufrey, du Pech de l’Azé I, de l’Abri Pataud ou de la grotte XVI notamment.

Les gisements, mais aussi les niveaux d’un même site livrent des taux de résidus hétérogènes.

L’Abri Pataud présente l’intérêt d’avoir fait à la fois l’objet d’une analyse

anthracologique (Théry-Parisot, 1998 ; 2002) et d’une étude précise de la mise en place des dépôts (Farrand, 1975, 1995 ; Agsous et al., 2006 ; Agsous, 2008). Qui plus est, la variation du rapport micro-charbons d’os/micro-charbon de bois a été précisément étudié par L. Marquer (2010). D’après Théry-Parisot, les charbons de bois sont abondants dans les niveaux 2, 3, 7 et 8, alors qu’ils sont rares dans les niveaux inférieurs 9 à 14. Ces derniers

36 appartiennent à la partie inférieure de l’Unité f de Farrand (unité VII de Lenoble et Agsous). Cette unité se caractérise par une stratification du dépôt alternant lits caillouteux et matriciels. Les lits caillouteux sont granoclassés et montrent une orientation préférentielle. Tous ces traits désignent la solifluxion à front pierreux comme agent majeur de la sédimentation de cette unité. Des dépôts intercalés à stratification rudimentaire mis en place par charriage torrentiel sont à mettre en relation avec le fonctionnement du cône détritique en marge duquel s’inscrit le site (Agsous et al., 2006). Les niveaux 7 et 8 appartiennent à l’unité VI de Lenoble et Agsous ; cette unité est caractérisée d’une part par des dépôts à support clastique, non triés, hétérométriques et dont les éléments sont diversement orientés et d’autre part par l’effondrement de bancs de rocher détachés du toit de la grotte. La base de l’unité seulement est reprise par solifluxion.

Les niveaux 2 et 3 correspondent à l’unité III de Lenoble et Agsous (partie inférieure de la strate a de Farrand). A la base, un lithofaciès de cailloux et de plaquettes colmatés, associés à une lamination de sables et de limons atteste d’un dépôt de ruissellement. La présence de microstructures habituellement produites dans les horizons supérieurs des cryosols indique un épisode de gel contemporain du dépôt. Un second lithofaciès de dépôts bien stratifiés semblable à celui observé au sein de l’unité 7 témoigne d’une redistribution par des coulées de solifluxion à front pierreux. L’unité est partiellement affectée par des phénomènes de cryoturbation (Agsous et al., ibid.). Le mode de dépôt de ces unités et les remaniements postérieurs notés impliquent un niveau de perturbation des couches archéologiques hétérogène. Les niveaux 6 à 8 n’ont probablement pas subi de remaniements significatifs ; en revanche les niveaux 2 et 9 à 14 contenus dans les dépôts issus des coulées de solifluxion à front pierreux ont subi des phénomènes de cryoexpulsion et cryoreptation ainsi qu’une redistribution horizontale d’une partie des vestiges. Par ailleurs, la mise en place d’une partie de l’unité 7 par charriage torrentiel a pu générer un tri des vestiges et un emport à l’extérieur du site (Agsous et al., ibid.).

Du point de vue anthracologique, le niveau 2 livre beaucoup de charbons, alors que les niveaux 9 à 14 sont pauvres. Les deux unités sont marquées par la solifluxion qui a clairement pu affecter les dépôts, mais qui ne suffit donc pas à expliquer les différences de conservation notées entre les niveaux. Celles-ci sont à ramener soit à des pratiques

37 anthropiques différentes, soit à la surimposition d’autres facteurs post-dépositionnels dans les niveaux inférieurs.

Dans son travail de doctorat, Théry-Parisot a montré qu’une sous-exploitation du bois au profit de l’os a eu lieu dans les niveaux inférieurs de Pataud (Théry-Parisot, 1998, 2002). Par ailleurs, le charriage torrentiel mis en évidence dans l’unité 7 peut éventuellement avoir participé de la disparition d’une partie des résidus. De même, un phénomène de décarbonatation et d’altération des argiles affecte les niveaux de l’unité 7. L’importance des processus post-dépositionnels et diagénétiques, associés à une gestion différentielle des combustibles entre les niveaux supérieurs et inférieurs, permet dans l’Abri Pataud d’expliquer la conservation hétérogène des résidus anthracologiques.