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I.1. Le choix de l’expérimentation

La démarche expérimentale vise à évaluer la pertinence - validation, invalidation - d’une hypothèse en la soumettant à « l’épreuve des faits ». La sensibilité des charbons de bois à l’action des processus post-dépositionnels est une hypothèse formulée régulièrement et de longue date ; elle est fréquemment invoquée pour expliquer l’absence de charbons dans les gisements. De même, alors que l’on a longtemps considéré - a

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priori - que le charbon est un matériau « biologiquement et chimiquement stable » - ce que

semblent contredire les données récentes (cf. chapitre I. § II.3) -, on admet volontiers au contraire que les processus mécaniques constituent un agent majeur d’altération du matériau. Or, la réelle vulnérabilité des charbons de bois soumis aux processus post- dépositionnels -mécaniques en particulier-, et la variabilité de la réaction du matériau aux divers agents n’ont été que très peu étudiées.

Notre démarche consiste donc à évaluer « concrètement » le degré de sensibilité des charbons de bois à ce type de processus, par l’observation de faits réels que seule l’expérimentation permet de produire. Le contrôle des paramètres permet, lors de la mise en œuvre expérimentale, de séparer les processus que l’on cherche à observer et ainsi, de mesurer leur impact individuel. L’observation et la compréhension des phénomènes pris isolément permettent à terme d’acquérir une vision globale des mécanismes en jeu.

En outre, parce que l’expérimentation – en conditions de laboratoire – peut être menée sans « temps morts », c'est-à-dire sans les phases d’inactivité naturelle des processus que l’on cherche à observer, elle permet partiellement d’en accélérer les effets et donc l’acquisition des résultats (Coutard, 2002). Chaque archéologue se confronte à la question du temps, de ses effets et des lacunes qu’ils induisent sur l’information qui nous parvient. L’expérimentation, si elle ne peut entièrement combler ces lacunes, nous autorise en revanche à aborder le « temps long » à partir de la courte durée.

Trois types d’expérimentations ont été mises en œuvre dans le cadre de ce travail : i) des expériences en contexte « naturel » visant à évaluer in situ, en conditions « réelles », et selon une intervention minimale de notre part, l’effet d’un phénomène donné (météorisation, impact des conditions périglaciaires par exemple) ; ii) des expériences mettant en œuvre des simulations simples de phénomènes tels que les cycles gel-dégel ou imbibition-dessiccation (les paramètres agissant sont alors volontairement déterminés et contrôlés, permettant l’observation de leurs effets sur le matériel expérimental) ; iii) un dernier type d’expérimentation, qui s’inscrit dans une démarche faisant appel aux sciences des matériaux et en particulier à la mécanique des milieux continus, a permis de préciser les propriétés intrinsèques du charbon de bois de manière à mieux appréhender ses réactions dans l’ensemble des dispositifs expérimentaux.

56 Le détail de chaque protocole expérimental est présenté en amont des résultats, cependant, afin d’alléger par la suite la lecture de ce texte, nous présentons ici les étapes de la procédure expérimentale communes à la majorité des protocoles mis en œuvre, en particulier celle de la fabrication des échantillons.

I.2. Provenance des lots de bois

Deux lots de bois ont successivement été utilisés au cours de nos expérimentations. Dans un premier temps, avant que nous n’ayons achevé la production de nos propres échantillons, nous avons utilisé le matériel issu de combustions réalisées au Cepam dans le cadre de l’ACI « Économie des combustibles au Paléolithique, de l’Expérimentation à la Modélisation » (Programme ACI, Théry-Parisot, dir.). Ces charbons de bois ont constitué les échantillons des deux premières expériences que nous avons réalisées, soit les dépôts effectués à Gavarnie – chapitre IV § I – et l’essai de piétinement mis en œuvre sur le site de Castanet (Sergeac, Dordogne, France) – chapitre V § IV.2–

Par la suite, chacune des autres expériences a été menée avec de nos propres échantillons, issus d’une série de combustions standardisées mises en œuvre à partir d’un nouveau lot de bois. Deux à trois combustions par taxon ont permis d’obtenir le matériel suffisant pour mener la totalité de nos expérimentations.

Au total, 14 taxons ont été testés dans le cadre de ce travail : Acer pseudoplatanus, Betula

pubescens, Carpinus betulus, Corylus avellana, Fagus sylvatica, Fraxinus excelsior, Juniperus oxycedrus, Pinus pinaster, Pinus halepensis, Pinus sylvestris, Populus alba, Populus tremula, Quercus pedonculata et Quercus pubescens.

Afin de prendre en compte l’état physiologique du bois, deux de ces essences sont intégrées dans une partie au moins des expériences dans un état de dégradation avancé : le bouleau (Betula pubescens) et le pin sylvestre (Pinus sylvestris).

Les bois d’Acer (érable), Carpinus (charme), Fagus (hêtre), Fraxinus (frêne), Quercus

pedonculata (chêne pédonculé) proviennent du plateau de Langres et du Châtillonnais

(Haute Marne). Le pin sylvestre (Pinus sylvestris) est exploité à Fayence dans le Haut Var. Le noisetier (Corylus) vient de la forêt domaniale de Nans (St. Vallier de Thiey, Alpes maritimes),

57 le bouleau (Betula) de la forêt domaniale de la Tinée (Ilonse, Alpes-maritimes). Le tremble (Populus tremula) et le chêne pubescent (Quercus pubescens) proviennent de la région niçoise et le peuplier blanc (Populus alba) vient de la forêt communale de St Auban (Alpes- maritimes). Les bois de Pinus pinaster (pin maritime) et de Pinus halepensis (pin d’Alep) ont été coupés autour des anciens locaux du laboratoire du Cepam, à Sophia-Antipolis et le Genévrier (Juniperus oxycedrus) dans la région d’Apt dans le Vaucluse.

Enfin, le pin sylvestre altéré a été collecté sur le plateau de Caussols (Alpes-Maritimes) tandis que le bouleau altéré provient de Bourgogne.

Des lots de bûches de 30 à 50cm de long et de 10 à 15cm de diamètre ont été achetés à des entreprises privées de vente de bois de chauffage ou à l’ONF. Dans d’autres cas, le bois nous a été confié par des élagueurs ou a été collecté par nos soins. Toutes les essences ont été séchées à l’air pendant au moins un an et demi avant leur mise au feu.

I.3. Combustions et préparation des échantillons expérimentaux (planche 1)

À l’exception des échantillons préparés pour les tests de compression axiale (dont la fabrication en four à moufle est détaillée au chapitre III), tous les charbons utilisés dans nos expériences ont été produits au cours de combustions en foyer ouvert, menées dans les locaux du Cepam. Trois bûches non refendues sont installées dans le foyer entre lesquelles sont disposés douze capteurs enregistrant les variations locales de température et la durée de la combustion. Il n’y a pas d’apport de petit bois pour l’allumage qui est réalisé à l’aide d’un chalumeau. La durée des flammes et de l’incandescence est notée.

Lorsque les cendres sont refroidies, les résidus de la combustion sont triés sur une colonne de tamis (< 0.5mm, 0.5-1mm, 1-2mm, 2-4mm, > 4mm). Le contenu de chaque tamis est pesé. Les charbons expérimentaux sont prélevés dans le refus de tamis supérieur à 4mm. Ils sont mesurés et pesés individuellement (précision au milligramme) avant leur utilisation (à l’exception des deux premières expériences que nous avons mises en œuvre [Gavarnie – chapitre IV § I – et piétinement n°2 – chapitre V § IV.2 –] pour lesquelles des pesées globales, par taxon et non par fragment, avaient été réalisées).

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Planche 1 : Éléments communs des divers protocoles expérimentaux

Des fragments de charbon de quelques centimètres cube sont prélevés dans les résidus de combustion de manière à constituer au moins deux lots de fragments d’un même taxon par expérience (de 1 à 15 fragments par lot selon les protocoles). En les soumettant aux mêmes

PIETINEMENT

GEL-DEGEL

RETRAIT-GONFLEMENT, etc...

Lot 1 Lot 2 Lot 1 Lot 2 Lot 1 Lot 2

Acer Betula Carpinus Corylus Fagus Acer Betula Carpinus Corylus Fagus Acer Betula Carpinus Corylus Fagus 15 frgts 5 frgts 3 frgts 15 frgts 15 frgts 15 frgts 15 frgts 15 frgts 15 frgts 15 frgts 15 frgts 15 frgts 3 frgts 3 frgts 3 frgts 3 frgts 3 frgts 3 frgts 3 frgts 3 frgts 3 frgts 5 frgts 5 frgts 5 frgts 5 frgts 5 frgts 5 frgts 5 frgts 5 frgts 5 frgts

etc... etc... etc...

PROTOCOLE EXPERIMENTAL TYPE

Combustions en foyer ouvert pour chaque taxon

3 bûches non refendues par feu, 12 capteurs thermiques, allumage au chalumeau, combustion menée à son terme

Tamisage des résidus de combustion Constitution de deux lots de fragments par taxon pour chaque expérience

59 conditions expérimentales, il est ainsi possible d’observer et d’évaluer la reproductibilité du comportement taxonomique d’un lot à l’autre.