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II. IMPACT DES PROCESSUS POST-DÉPOSITIONNELS SUR LES CHARBONS DE BOIS, ÉTAT DES

II.4. Les processus induisant des phénomènes de compression

Avec une intensité variable, la plupart des processus post-dépositionnels peuvent avoir leur place dans cette catégorie : le piétinement par les hommes et les animaux, la météorisation, le ruissellement, les mouvements sédimentaires de retrait-gonflement, tous les phénomènes périglaciaires. Outre des phénomènes de déplacements, ils participent, par les pressions qu’ils engendrent, de la fragmentation du matériel anthracologique. Cela induit deux questions majeures :

- la fragmentation est-elle homogène entre les taxons ou génère-t-elle des sous/surreprésentations de certaines essences ?

- ces phénomènes sont-ils à même de générer une hyper-fragmentation de nature à faire « disparaître » le matériel ?

Or, très peu de données documentent à ce jour ces processus et nous sommes bien incapables de répondre à ces deux questions majeures.

Deux études peuvent néanmoins être rapportées : les expérimentations réalisées par Théry- Parisot visant à documenter les effets des cycles gel-dégel sur les charbons de bois (1998,

46 2001) ; les tests de compression mécanique mis en œuvre par C. Lancelotti (2010) sur des espèces du nord de l’Inde. Quelques informations peuvent également être tirées d’études visant à documenter le comportement d’autres matériaux ; celles-ci sont plus nombreuses, notamment concernant le piétinement.

 Gel-dégel

Le charbon de bois, matériau poreux et doué d’un fort pouvoir d’absorption, capte l’eau du milieu, laquelle voit son volume augmenter d’environ 9% lors du passage de la phase liquide à la phase solide. Le changement de volume de l’eau entraine des pressions à l’intérieur des fragments de charbon qui peuvent conduire à leur fragmentation. Parallèlement, le sédiment englobant fait l’objet de gonflements cryogéniques et de rétractations thermiques, phénomènes proches des gonflements par hydratation des argiles ou des retraits par dessiccation. Ces mouvements du sol créent des pressions externes qui s’exercent sur le matériel en même temps qu’ils génèrent des déplacements verticaux et horizontaux (cryoexpulsion, illuviation, cryoreptation, solifluxion).

Dans bien des séquences pléistocènes, les traces de tels phénomènes sont visibles. Dans les sites dans lesquels l’action du gel est remarquable, les charbons de bois sont parfois absents. Les travaux expérimentaux de Théry-Parisot (2001) documentent l’effet des processus mécaniques sur les charbons de bois dans ce type de contextes :

 la première expérimentation a concerné l’effet de cycles de gel sur des charbons de bois en faisant varier (i) l’état ante-combustion du bois (des lots issus de bois sains –Pinus

sylvestris et Alnus sp.– et des lots issus de bois de ramassage, altéré par les micro-

organismes –Salix sp.–) ; (ii) la température de carbonisation des échantillons (350° et 750°C) ; (iii) le conditionnement des lots (les charbons sont placés en congélateur immergés et non immergés) ; et (iv) l’intensité du gel (-4° et -18°C). Le protocole met principalement en œuvre les pressions internes liées au gel des fragments eux-mêmes, et, de manière secondaire dans le cas des charbons immergés, les pressions externes liées au changement de phase de l’eau.

47 - les conditions d’humidité et l’état physiologique du bois avant sa carbonisation sont les deux variables qui agissent le plus sur la fragmentation des charbons de bois. La température de carbonisation et l’intensité du gel influencent la fragmentation seulement de manière secondaire.

- La morphologie des gélifracts est différente en fonction de l’état physiologique du bois avant sa carbonisation. Les charbons issus de bois altérés, plus poreux, présentent une meilleure absorption, l’eau y pénètre plus profondément et ils se fragmentent davantage et plus vite. Ils passent majoritairement dans la classe des micro-charbons, alors que ceux issus de bois sain produisent une poussière de charbon, mais le bloc initial reste cohérent.

- Dans ces expériences, les échantillons sains commencent à se fragmenter après 500 cycles, tandis que la fragmentation des échantillons altérés commence dès 150 cycles.

 Afin de tester de manière isolée l’incidence des pressions externes sur les charbons de bois, une seconde série d’expérimentation est réalisée. Il s’agit d’essais de compression radiale sous presse mécanique. Trois échantillons de Pin sylvestre (l’un sain, le second altéré ramassé en milieu naturel et le dernier contaminé en laboratoire) sont carbonisés selon deux températures (350° et 750°C). Les tests de compression visent à étudier l’évolution de la résistance mécanique des charbons de bois, en fonction de la température de carbonisation et de l’état physiologique du bois ante-combustion. L’hypothèse sous-jacente concerne la conservation différentielle des charbons issus de bois altérés et donc de l’influence des modalités de collecte du bois de feu (ramassage de bois mort au sol par exemple) sur la formation et la préservation des assemblages anthracologiques.

Les tests de compression ont montré que :

- les bois sains carbonisés offrent une résistance d’environ un tiers de celle de la même espèce non carbonisée.

- les bois altérés carbonisés offrent très peu de résistance mécanique et dans le cas des échantillons contaminés en laboratoire, la souche inoculée semble avoir une influence sur les résultats, mais dans l’ensemble, la résistance est très faible.

48 - dans cette expérience, la T° de combustion ne paraît pas avoir une forte incidence sur la résistance des charbons, contrairement à l’état du bois avant la carbonisation dont l’influence est majeure.

Ces résultats ont donc permis de montrer que les charbons issus de bois altérés présentent une résistance mécanique largement inférieure aux charbons issus de bois sains ; ils sont donc plus à même d’être affectés par les processus post-dépositionnels.

L’identification sur les charbons de « stigmates » de l’usage de bois altéré représente dès lors un enjeu important permettant d’obtenir des informations sur les modalités de la collecte du bois de feu, mais aussi de questionner l’intégrité des assemblages anthracologiques et leur représentativité paléoenvironnementale.

 Caractérisation des propriétés mécaniques des charbons de bois

Plus récemment, une série de tests de compression (en face radiale et transversale) a été mise en œuvre sur des essences du nord de l’Inde par Lancelotti et al. (2010). Cette expérience avait pour but de documenter les différences de résistance mécanique des charbons de bois produits à différentes températures (200°, 300°, 400°C) ainsi que la forme des fragments produits par la compression, en lien avec leur potentiel de lisibilité taxonomique et de re-fragmentation.

Les résultats montrent que la résistance des essences et la dimension des fragments produits est corrélée à la température. La résistance mécanique est plus importante en section transversale ; elle n’est pas corrélée à la densité du bois. Les bois denses sont plus friables que les bois de faible densité. La majorité des fragments produits sont fins et longs et donc plus facilement re-fragmentables. Des variations entre taxons sont par ailleurs visibles.

Pour les régions tempérées, l’indigence des données disponibles pour documenter la résistance mécanique des charbons de bois nous a incitée à réaliser une série de tests de compression, dont les résultats sont présentés au chapitre II.

49  Apport des données concernant les autres matériaux : le piétinement

Si les travaux concernant spécifiquement les charbons de bois sont rares, les résultats issus d’autres disciplines peuvent peut-être nous permettre d’extrapoler quelques informations.

Le piétinement a largement été testé par les archéologues, lithiciens et archéozoologues. De la plupart des expérimentations ressort que le piétinement génère le déplacement vertical (vers le bas comme vers le haut) et horizontal des vestiges, ainsi que sa fragmentation. Lorsque deux couches de vestiges sont initialement installées, il n’y a plus qu’une seule couche de vestiges visible à l’issue de l’expérimentation. La fragmentation est plus importante lorsque le matériel n’est pas recouvert de sédiment (Courtin et Villa, 1982 ; Lenoble et Bordes, 2001). Les os, et en particulier les os brûlés et plus encore calcinés, sont très fragmentés par le piétinement humain ou animal (Stiner, 1995) ; dans certains cas, 90% des os brûlés ont disparu à l’issue de l’expérimentation (Thiebaut et al., 2010b). On peut aisément supposer que les charbons de bois sont également sensibles au piétinement et n’échappent à aucun des processus (déplacements, fragmentation) mis en évidence pour les autres types de matériaux. D’après G. Haynes (1991) on observerait dans le cas des os une perte différentielle de certains éléments anatomiques. S’agissant des charbons de bois, il est nécessaire de vérifier si les taxons réagissent différemment afin d’évaluer la possibilité d’une conservation différentielle.

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Conclusion du chapitre I

L’étude des processus de formation du dépôt sédimentaire et les analyses taphonomiques permettent d’envisager l’importance des altérations et remaniements subis par les niveaux archéologiques et constituent donc un préalable à toute approche « anthropologique » en archéologie.

De gros efforts de caractérisation des « stigmates » des divers processus post-dépositionnels sur les vestiges archéologiques ont été réalisés au sein de chaque discipline, permettant aux divers spécialistes d’évaluer l’intégrité des ensembles étudiés en même temps que certains éléments prenaient un caractère diagnostique d’un mode de dépôt ou d’un agent d’altération donné. En anthracologie, cette donnée est très peu disponible. Un bilan des informations disponibles dans la littérature montre bien que les charbons de bois, comme les autres vestiges archéologiques, sont sujets à divers types d’altérations et remaniements (notamment le déplacement horizontal et vertical des particules, l’altération diagénétique de la matière et la fragmentation du matériau sous l’effet des phénomènes de pression), toutefois une « gradation » de l’impact des différents processus post-dépositionnel n’est pas possible en l’état des connaissances. Il est donc difficile pour l’anthracologue, même lorsqu’une étude précise de la mise en place des dépôts est menée, d’évaluer le niveau d’intégrité de l’assemblage étudié. Nous l’avons vu, l’abondance ou l’indigence des résidus de combustion peut être liée à des pratiques anthropiques particulières, à la mise en œuvre du processus de combustion comme aux conditions plus ou moins favorables de conservation du dépôt a posteriori.

Questionner les raisons de l’abondance ou de l’indigence des charbons de bois dans un site archéologique, peut participer, aux côtés des interrogations formulées et des réponses apportées au sein de chaque discipline, de la compréhension générale du site, tant du point de vue de son histoire taphonomique que de son occupation. Mais cela induit cependant que les effets particuliers des différents processus post-dépositionnels sur les charbons de bois soient au préalable connus. L’acquisition de cette donnée peut permettre en retour, et à la condition du croisement des résultats archéologiques et géoarchéologiques, d’aborder la question des comportements humains ayant trait notamment au choix du combustible, à la mobilité des groupes, la durée d’occupation des sites et leur fonction, etc.

51 Elle est également un élément précieux pour l’évaluation du degré de fiabilité de l’information paléoenvironnementale produite par l’anthraco-analyse.

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CHAPITRE II

OUTILS ET PRINCIPES MÉTHOLOGIQUES RETENUS POUR L’ÉTUDE DE

L’IMPACT DES PROCESSUS POST-DÉPOSITIONNELS SUR LES

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Introduction

Ce travail a été mené dans le but de combler – au moins partiellement – les lacunes relatives à notre connaissance du processus de fragmentation des charbons de bois induit par les processus post-dépositionnels. Il s’inscrit avant tout dans une perspective méthodologique, et se situe dans la continuité des travaux ayant pour objectif de mieux comprendre les mécanismes de formation de l’assemblage anthracologique – en particulier sur le plan quantitatif – de manière à repousser les limites interprétatives de la discipline (Bazile-Robert, 1982 ; Chabal, 1982, 1988, 1990, 1991, 1992 ; Badal, 1992 ; Loreau, 1994 ; Théry-Parisot, 1998, 2001 ; Théry-Parisot et al., 2010 a et b; Caruso-Ferméet Théry-Parisot, 2011; Henry, 2011). Les données produites dans le présent manuscrit visent à apprécier la représentativité de l’assemblage anthracologique au sens large, et notamment à évaluer si des fonctions de transfert entre végétation initiale et assemblage anthracologique sont envisageables et peuvent à terme être précisées. Seule l’expérimentation permet d’aborder des questions de cette nature dans la mesure où l’observation finale peut être rapportée à une situation de départ connue ; c’est donc cette voie que nous avons empruntée tout au long de notre travail. L’analyse de la donnée expérimentale produite a nécessité le recours à un certain nombre d’outils, parmi lesquels les statistiques tiennent une place de choix. La démarche expérimentale et les principaux outils de traitement utilisés sont succinctement présentés ci-après.