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I. ABONDANCE, INDIGENCE OU ABSENCE DES CHARBONS DE BOIS DANS LES GISEMENTS

I.1. Genèse du dépôt anthracologique

I.1.3. Les conditions de la conservation du dépôt anthracologique

La bonne conservation des vestiges archéologiques dépend essentiellement du mode et de la vitesse de formation du dépôt sédimentaire, puis a posteriori, de la nature et l’intensité des processus post-dépositionnels. Tous ces processus sont déterminés par les caractéristiques du site (situation géographique, substrat, topographie, hygrométrie, hauteur de la nappe, présence d’un réseau karstique ou fluvial, ouverture et prise au vent, végétalisation, etc.), les conditions environnementales et climatiques, la nature et l’intensité des activités humaines (Texier, 2000).

Plusieurs niveaux de perturbation doivent être distingués : la perte de l’organisation spatiale des vestiges qui entraine une disparition de l’information « palethnologique », et la dégradation voire la disparition différentielle ou totale des vestiges eux-mêmes, dont les effets vont du biais d’interprétation à l’impossibilité de toute étude.

Les mesures de fabriques, l’étude des remontages et des tris granulométriques, associés aux analyses géomorphologiques et micromorphologiques, permettent notamment d’évaluer l’ampleur des remaniements spatiaux (Cahen et al. 1980 ; Goldberg, 1980 ; Van Vliet-Lanoë, 1987 ; Courty et al., 1989 ; Bodu 1990 ; Bordes 2002 ; Bertran et Lenoble, 2002 ; Lenoble et Bertran, 2004 ; Goldberg et Macphail, 2006 ; Bertran et al., 2005, 2006, 2010 ; Karkanas et Goldberg, 2010 ; Mallol et Bertran, 2010). En revanche, la disparition de tout ou partie de la matière est parfois difficile à appréhender ; sa reconnaissance nécessite au préalable une bonne connaissance des caractéristiques et propriétés physico-chimiques des matériaux que l’on étudie comme des processus à l’œuvre dans le gisement.

25 À l’instar d’autres vestiges, les charbons de bois peuvent être remobilisés par des processus naturels tels que les ruissellements, épisodes torrentiels, le vent, ou les coulées de solifluxion, contribuant ainsi à « vider » - partiellement ou entièrement – les structures de combustion de leur contenu (Thinon, 1992 ; Vaughan et Nichols, 1995 ; Texier et al., 1998 ; Scott et al., 2000 ; Texier, 2006b ; Mallol et al., 2007 ; Lenoble et al., 2003, 2008a, 2009 ; Théry-Parisot et al., 2010a). Celles-ci font aussi l’objet de curages anthropiques, attestés par la mise au jour de vidanges de foyers en contexte archéologique (Patou-Mathis, 1995 ; Schiegl et al., 2003 ; Olive et al., 2004 ). Les pratiques d’entretien du foyer (qu’il n’est pas toujours aisé de mettre en évidence archéologiquement) par les occupants des sites s’apparentent donc ici aux remaniements « post-dépositionnels ». A contrario dans certains cas, c’est précisément l’ampleur de la sédimentation anthropique qui, en favorisant le recouvrement rapide des vestiges, paraît déterminante dans le processus de conservation des structures et des résidus de combustion. Dans la grotte de Kébara (Israël) par exemple, l’importance des dépôts cendreux et charbonneux et leur recouvrement rapide par de nouvelles structures de combustion a empêché leur destruction complète par le piétinement pourtant noté par les analyses micromorphologiques (Bar-Yosef et Meignen, 2007). Ce recouvrement rapide indique que les périodes d’abandon de la grotte sont suffisamment courtes pour que les agents météoriques n’aient pas le temps de détruire les structures (Meignen et al., 2009), assurant également dans ce cas la préservation des charbons de bois. La constance de l’occupation d’une cavité semble jouer un rôle particulier dans le processus de conservation. En effet, lorsque les gisements sont inoccupés par l’homme, d’autres espèces vivantes peuvent y élire domicile. L’occupation par les oiseaux et chauve-souris en particulier génère des accumulations de guano parfois conséquentes. La dissolution du guano par les circulations d’eau et leur infiltration dans les niveaux sous-jacents participent de la dégradation diagénétique des cendres comme cela a pu être mis en évidence dans certains niveaux de Kébara, Hayonim et de la Grotte XVI (Schiegl et al., 1994, 1996; Weiner

et al., 1995 ; Karkanas, 2002). Au cours de la diagenèse, la présence d’eau riche en

phosphates entraine une transformation minéralogique de la calcite des cendres, progressivement remplacée par des minéraux phosphatés authigènes (dahllite, crandalite, montgomeryte et leucophosphates) (Karkanas et al., 2000 ; Meignen et al., 2001). Ce processus, au terme duquel seuls les « agrégats siliceux » persistent, entraine une réduction

26 conséquente du volume du dépôt. Ce mécanisme semble tout à fait déterminant à la Grotte XVI (Karkanas et al., 2002) ; il génère une perte brute d’information en compromettant la lisibilité des structures de combustion, mais participe peut-être aussi de la dégradation des charbons de bois qui ne sont présent dans ce site qu’à l’échelle microscopique. Il semble en effet que la présence de phosphates puisse entrainer une altération diagénétique des charbons eux-mêmes (Cohen-Ofri et al., 2006 ; Rebollo et al., 2008). Ce matériau, longtemps considéré comme chimiquement stable, semble être sensible à l’oxydation, laquelle génère des modifications structurelles (réduction de la phase graphitique et augmentation de la phase amorphe par auto-humification) notamment dépendantes de l’environnement de dépôt (Ascough et al., 2011b). Ces modifications structurelles (cf. chapitre I. § II.3) ont parfois été envisagées comme facteur de conservation différentielle des charbons de bois en lien avec la variabilité intra-site du pH des sédiments. Elles concernent toutefois l’échelle atomique du matériau et il n’est pas démontré qu’elles puissent conduire seules à une réelle dégradation des charbons à l’échelle macroscopique. En revanche, elles doivent pouvoir participer de la fragilisation du matériau et probablement favoriser l’impact des processus mécaniques. Ceux-ci apparaissent comme les premiers responsables de la dégradation des charbons de bois, probablement par hyper-fragmentation, mais leurs effets n’ont été que très peu étudiés. Il est donc difficile a priori d’identifier les processus qui ont une incidence telle qu’ils entraînent la disparition du matériel. On peut cependant supposer que les phénomènes induisant de fortes pressions et/ou des mécanismes d’usure comme les processus cryogéniques, les alternances d’imbibition-dessiccation et de retrait-gonflement du sédiment, ou le piétinement lorsque les résidus sont encore à la surface du sol, soient de nature à grandement altérer le dépôt. De même, les charbons de bois pourraient être sensibles à la précipitation des sels minéraux sous leur forme cristallisée ; c’est une des raisons invoquée pour expliquer l’extrême pauvreté des charbons de bois dans les sédiments calcaires du Néolithique ancien de Pınarbaşı en Turquie (Asouti et Austin, 2005). Ainsi que l’admet le Dr. Helbaek cité par Perlès (1977, p. 10) : « il est possible que la formation de ces

cristaux [notamment dans les dépôts de brèche] puisse agir comme désintégrateur ». Nous

avons toutefois pu constater la présence de charbon (certes peu abondant) dans des niveaux de brèche, notamment au Grand Abri aux Puces dans le Vaucluse (dir. L. Slimak).

27 À l’évidence, de nombreux phénomènes, dont il faut envisager les effets simultanés, peuvent altérer secondairement le dépôt.