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Valeurs sémantiques du mouvement : établissement de gradients

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3.7. Valeurs sémantiques du mouvement : établissement de gradients

Au-delà de la position finale des pôles portant les traits de négation (Neg features), l’amplitude du mouvement cette fois lors de la réalisation des signes joue un rôle éminent dans le sémantisme de ces signes. On l’a vu pour [ARRETER/STOP] et pour [PERDRE/LOSE] (figures 3.4 et 3.5), les mouvements peuvent être absents comme dans le premier cas ou bien très amples comme pour ce deuxième signe. L’amplitude du mouvement porte possiblement un rôle sémantique, éventuellement différencié selon les pôles que l’on considère. Pour cela nous allons étudier les significations attachées à l’amplitude des mouvements des différents invariants polaires.

La figure 3.11 représente l’ensemble des moyennes de l’amplitude des mouvements des deux pôles de négation manuelle de chaque signe pour les langues où ce type de négation est utilisé. Cette moyenne est calculée en soustrayant pour chaque signe la valeur de la position finale de celle de la position initiale, pour la pronation d’une part et pour l’adduction, d’autre part. Une moyenne est faite pour chaque glose.

La répartition des signes révèle deux gradients qui suivent l’amplitude des pôles ADD et PRO. Plus l’amplitude du mouvement d’adduction croît (ordonnée du graphique), plus l’implication du locuteur augmente (Gradient MvtADD man. /Implication). Ainsi de [ARRETER], [IMPOSSIBLE], [RIEN], [FAUX] ou [SANS], compris entre 3° et 28° d’amplitude, pour lesquels l’implication du locuteur est minimale43, on passe à des valeurs qui dépassent 35° d’amplitude pour [ECHOUER], [NON], [INTERDIRE] et [DESAPPROUVER] dont le sémantisme implique bien davantage le locuteur44. Un autre gradient, en abscisse cette fois

43 [ARRETER] n’implique pas d’avoir réalisé (achievement) un objectif (à la différence de [FINIR]. La signification du signe [IMPOSSIBLE] est indépendante de toute implication personnelle. Enfin les signes [RIEN], [FAUX] et [SANS] relèvent de constats indépendants de tout implication du locuteur.

44 On parle ici d’implication quelle que soit l’agentivité du locuteur. Toutefois, on remarque que parmi ces quatre signes, le signe [ECHOUER] présente la plus grande agentivité

(détrimentaire d’ailleurs). Le signe [DESAPPROUVER] a une place singulière dans la figure 3.11. puisqu’il a la plus grande adduction (implication) avec un mouvement de pronation

(Gradient MvtPRO man./Agentif>Bénéficiaire), attaché à l’amplitude du mouvement de pronation fait passer d’une position d’acteur voire d’une position agentive — plus ou moins impliquée selon l’amplitude de mouvement de l’adduction — [ARRÊTER], [INTERDIRE], [IMPOSSIBLE], [FAUX], [RIEN], [SANS], [JAMAIS] à un positionnement bénéficiaire en l’occurrence détrimentaire [ECHOUER], [NE PAS AIMER], [FINIR], [DESOBEISSANT], [PERDRE]45.

Figure 3.11 Répartition des moyennes des amplitudes du mouvement de PRO et d’ADD. La taille des cercles représente la moyenne des différences d’amplitude de mouvement entre les LS pour le signe. Le nombre l’écart moyen des différences d’amplitude entre les LS

Ces deux gradients sont indépendants l’un de l’autre. Ils constituent des critères graduels sémantiques non immédiatement visibles sur les signes, peu repérables, liés au mouvement, qui s’appliquent à la négation manuelle. Le fait que les amplitudes du mouvement d’adduction ou de pronation puissent constituer un lieu d’investissement du locuteur dans son propos et un lieu d’expression de l’agentivité lié au procès montre bien la dissociation entre, d’une part, la négativité dont l’expression manuelle relève de la position finale, et, d’autre part, les instances sémantiques liées à la zone actancielle et celle de l’implication du locuteur qui sont rendues par le différentiel d’amplitude. Ces gradients dépendent-ils du pôle qui les porte ou

plutôt faible (agentivité). « Désapprouver » implique beaucoup sans que l’agent n’y soit fortement engagé.

45 Il semble que le signe [FINIR] déroge à cet accroissement détrimentaire.

Arrêter 2,16 Perdre 6,84 Interdire 16,26 Jamais 22,62 Non 23,33 Finir 16,2 Sans 17,46 Rien 26,95 Ignorer 29,5 Désobéissant 12,3 Désapprouver 18,3 Faux 22,8 Incolore 18,48 Ne pas aimer 12,41 Impossible 15,46 Echouer 12 0 10 20 30 40 50 60 0 20 40 60 80 100 120 M ea ns o f N or m s o f V ec teo rs fo r Ad d Ab d M ov em en ts

Means of Norms of Vectors for Pro Supi Movements

Distribution de la moyenne des normes du mouvement d'occurrences de Neg.Manuelles de chaque signe pour les LS où ces signes relèvent de

du geste dans lequel ils s’insèrent. En d’autres termes ces gradients sont-ils absolus (pour les gestes) ou bien relatifs (aux pôles) ?

En premier lieu considérons l’échelle de ces gradients à travers la dispersion que les différentes LS font subir au mouvement de chaque signe rapporté à la place moyenne occupée dans la figure 3.11. Un signe comme [ARRETER] voit-il, selon les langues, des réalisations moins dispersées qu’un signe comme [FINIR], redevable d’une amplitude moyenne du mouvement plus grande ? L’amplitude du mouvement joue-t-elle sur la dispersion entre les langues. Si c’est le cas alors la scalarité liée aux gradients constitue bien une moyenne et l’échelle ne peut pas être fixe qu’elle que soient la place des signes dans la figure 3.11. Ce gradient à échelle variable existerait indépendamment de la singularité de chacune des langues. A l’inverse, si la dispersion entre les langues n’augmente pas à mesure que l’amplitude moyenne du mouvement des signes croît, l’échelle du gradient reste identique qu’elle que soit la place moyenne du signe dans la figure 3.6. Les gradients seraient absolus avec une échelle fixe.

Dans les faits, la dispersion d’une langue à l’autre entre les signes croît à mesure que l’amplitude moyenne du mouvement de ces signes augmente. On observe donc des échelles variables et ce pour ces deux gradients. Concrètement cela signifie que certains signes dont la moyenne des mouvements montre une grande amplitude de pronation et/ou d’adduction ([PERDRE], [DESOBEISSANT], [FINIR]) peuvent avoir dans une autre langue un mouvement vers la supination tout en restant dans une position finale de pronation. La variation d’échelle dépend donc du support ; ici du degré de liberté. Le gradient dépend donc plutôt du pôle que du geste (avec son éventuelle négativité). On peut conjecturer pour une autre catégorie comme l’affirmation par exemple, dès lors qu’elle est générée sur la main (SUPI & ABD), le fait d’observer pour ces pôles invariants les mêmes gradients d’implication pour l’ABD et de bénéficiaire pour la SUPI.

Dès lors qu’on a une variation d’échelle, la stabilité des gradients sémantiques est assurée si d’une langue à l’autre la répartition des signes suit globalement la répartition qu’on trouve dans la figure 3.6 le long de ces deux gradients. C’est globalement le cas.

Plusieurs gradients ont été mis au jour. Ils concernent la négativité, l’implication du locuteur dans ce qu’il signe, son agentivité. Tous ces gradients dessinent mieux les mécanismes sémantiques à l’œuvre dans la négation des Langues Signées et plus généralement, ils révèlent des pistes à explorer pour d’autres catégories sémantiques comme l’affirmation ou l’interrogation.

Conclusion

Des traits polaires manuels et brachiaux invariants pour la négation sont communs à la gestualité coverbale et à un échantillonnage de LS. Cet état de fait permet de réinterroger la dichotomie entre gestes et signes essentiellement basée sur une meilleure connaissance du paramètre du mouvement, comme le suggère Susan Goldin-Meadow et Diane Brentari dans leur article séminal de 2017 (Goldin-Meadow & Brentari 2017). Les invariants de négation dégagés ici, communs pour la gestuelle et les LS, résident précisément dans le mouvement et dans l’un de ses avatars : la position. A l’instar de ce que nous avons vu pour le pointage, le

cadre de référence joue un rôle déterminant pour appréhender ce qu’il y a de commun entre ces phénomènes d’expression gestuelle. Des pôles, leurs mouvements, leurs amplitudes, les positions finales des signes et des gestes dessinent deux origines formelles communes à l’expression de la négation. Ces deux origines — manuelle et brachiale — sont redevables d’une comparaison de type phonologique entre les 11 LS étudiées et s’inscrivent donc parfaitement dans chacune de ces langues. Nonobstant les différences phonologiques, les empans d’amplitude dans lesquels s’inscrivent les signes provenant de ces deux origines sont tout à fait similaires. Ils laissent poindre un fonctionnement phonétique pour les positions finales, un peu à la manière d’un aimant dont la force plus ou moins grande attirerait la négativité quelles que soient les LS. Ainsi, par-delà un fonctionnement phonologique s’appliquant exclusivement aux langues, la gestualité comme mode d’expression infuse jusque dans des réalités langagières et brouillent les critères de ce qui relève d’une langue. Des empans d’amplitude de la négativité existe bel et bien indépendamment des LS. Des gradients manuels d’amplitude sont attachés à l’adduction et à la pronation. L’implication du locuteur/gesteur croît à mesure que l’amplitude de l’adduction manuelle augmente, l’agentivité est concerné par l’amplitude du mouvement de la pronation. Ces tendances ne se laissent pas deviner à l’œil nu simplement parce que la perception des mouvements de signes est globale.

Après le pointage, la négation montre à son tour l’importance de considérer le membre supérieur non pas comme un tout mais comme un substrat qui organise la signification sur lui-même en fonction de règles qui ont été partiellement mises au jour. A la différence du pointage, les invariants de négation relèvent d’un seul cadre de référence intrinsèque et dual sur la main et sur le bras. Il semble que le cadre de référence égocentré n’apporte là aucun invariant probant. A son aune, on ne peut voir que des phénomènes de surface, épars et sans logique.

4. Introduction Gestualité versus Langues des