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Pointer dans l’espace

INT EXTEN EXT

2.4. Pointer dans l’espace

Figure 2.3 Illustration de différents types de pointage. A l’extrême gauche, un pointage mire. Deuxième en partant de la gauche, un pointage direction (sans mouvement associé). Au centre, un exemple de pointage tracé (mouvement perpendiculaire au pointage). Avant-dernier à droite, pointage direction avec mouvement associé et parallèle à l’alignement des phalanges. A droite, pointage toucher, en aller-retour. Ce dernier pointage active une zone flottante dans l’espace qui se trouve à l’endroit du rebroussement du mouvement en aller-retour.

La figure 2.2 présente au milieu de l’arbre deux branches de pointages secondaires obtenus dès lors que le mouvement ou le regard ne sont pas alignés avec les phalanges. Ces pointages secondaires peuvent prendre différentes formes : pointage tracé, pointage mire et pointage secondaire et unités gestuelles à plusieurs ddl ou à un seul ddl. La différence entre des pointages tracés et des unités gestuelles avec un alignement de phalanges et un mouvement non aligné réside dans l’accélération. Alors que le pointage tracé est effectué avec un mouvement constant, l’unité gestuelle — comme celle de « rejeter » ou de « passer » — est faite avec une accélération lors de la phase de stroke du geste. La pluralité du mouvement versus la singularité concerne les degrés de liberté, soit le mouvement affecte un seul degré de liberté quelle que soit le nombre de transfert sur d’autres segments, soit le mouvement affecte plusieurs degrés de liberté.

Dès qu’on prend en considération une définition non prototypique du pointage — une définition qui déborde le seul index tendu tandis que les autres doigts sont repliés dans la paume — alors, d’une part, la subtilité des valeurs fonctionnelles indexicales s’enrichit et, d’autre part, la seule valeur déictique ne constitue plus l’unique horizon de ces formes gestuelles. Des unités gestuelles recourent à un pointage transitoire, des pointages secondaires existent à l’intérieur de pointages qu’on pourra appeler primaires, par le simple jeu additionnel des traits (le mouvement quand il n’est pas aligné crée un pointage secondaire). Ces différences entre pointage primaires et secondaires sont détaillées dans les actes de colloque de la première journée DEGELS (Boutet et al 2011).

2.4. Pointer dans l’espace

L’orientation du pointage joue également un rôle important dans l’attribution des valeurs fonctionnelles avec les significations associées. Le premier cas de figure que nous présentons

concerne l’orientation telle qu’elle est généralement associée aux pointages : un pointage effectué dans un plan approximativement horizontal. La notion de plan horizontal doit être vue comme une succession de plans centrés sur l’horizon dans la limite de 45° à 60° dans une direction trigonométrique ou dans l’autre. L’inclinaison dans un plan sagittal n’a pas de conséquence et un doigt pointé peut être tourné vers l’avant du locuteur, vers la gauche ou la droite, ou même vers le locuteur lui-même, le pointage sera toujours dans l’espace.

2.4.1. Caractéristiques formelles du pointage dans l’espace

Le pointage horizontal même sans mouvement implique une vectorisation de l’espace. Le(s) doigt(s) pointé(s) implique(nt) la présence d’un vecteur au bout du doigt ; il suit l’alignement des phalanges et éventuellement des autres segments alignés. Franklin & Stervsky (1990) ont montré l’importance d’un référentiel corporel pour placer des objets dans l’espace. Elles signalent d’ailleurs une dichotomie intéressante dans le nombre d’axes servant à orienter l’espace. Il existe deux axes (avant-arrière et gauche-droite) pour le plan horizontal et un seul axe pour le plan vertical (haut-bas). Nous reviendrons sur ce dernier axe à partir de la section 2.5.1.

Le fait que le seul alignement crée un vecteur n’est valable que dans un pointage dit spatial, c’est-à-dire horizontal. La présence du mouvement lorsqu’il est aligné avec le pointage vient préciser ou diriger celui-ci. Au contraire, lorsque le mouvement est perpendiculaire ou tangent à l’alignement, alors l’extrémité du doigt devient un élément traçant qui dépose une trace, soit à distance pour délimiter une zone devant le locuteur (cercle ou ellipse), soit au bout du doigts. Cette trace, ce chemin ou ce déplacement sont à distance du doigt à mesure que l’alignement implique plus de segments que les trois phalanges et au bout du doigt quand l’alignement est minimal. Lorsque ce mouvement tangent à l’alignement est effectué avec une accélération, alors l’unité gestuelle à valeur symbolique et non plus indexicale qui en découle, ne trace plus rien. Le(s) doigt(s) aligné(s) sont pris pour eux-mêmes et non plus pour ce qu’il(s) projette(nt).

En résumé, une configuration de pointage dans une orientation horizontale vectorise l’espace ; le mouvement aligné au pointage le précise. En revanche le mouvement tangent à vitesse homogène trace sur un support perpendiculaire à l’alignement, réel et à distance à mesure que le nombre de segments alignés augmente, suspendu dans l’espace et se rapprochant de l’extrémité du doigt quand l’alignement est minimal (trois phalanges), allant jusqu’à l’écriture effectuée en l’absence de tout support. Lorsque le mouvement tangent est accéléré, rien ne sort du doigt aligné d’autre que sa seule présence ; aucun vecteur, aucune trace suspendue, le doigt appartient à l’ensemble qui bouge, comme si l’espace qui l’entoure n’était plus qu’une étendue sans objet à montrer ou ligne à tracer.

2.4.2. Fonctionnalisation des formes du pointage dans l’espace

Les pointages secondaires sont souvent associés à une valeur anaphorique, alors que les pointages primaires (mouvement non tangentiel quand il apparaît) sont le plus souvent déictiques (Etude du corpus DEGELS, http://sldr.org/sldr000767). Cette répartition de renvoi

aux unités du discours pour les pointages secondaires, d’une part, et de renvoi aux objets du discours présents hic et nunc pour les pointages primaires, d’autre part, relève d’un ordre possible (objets du discours puis unités du discours), mais peuvent ne concerner que les unités du discours seules.

Concentrons-nous sur les valeurs anaphoriques données par les pointages secondaires. Une des questions est posée : les phénomènes d’anaphores et de cataphores sont-ils marqués par une linéarisation du mouvement sur un degré de liberté ? La flexion pour l’antériorité et peut-être l’anaphore, l’extension pour la postériorité marquant une cataphore ?

Dans le corpus étudié (Braffort et Boutora 2011, DEGELS http://sldr.org/sldr000767) , on a deux cas d’emploi anaphorique du pointage gestuel sur une cible verbale. Les cas d’anaphore pour lesquels la cible verbale précède le geste de pointage et les cas de cataphore pour lesquels le pointage précède la cible.

Les cas d’association gestuelle anaphorique représentent 39% des emplois anaphoriques totaux, tandis que les gestes cataphoriques — lorsque le pointage apparaît avant la cible verbale — représentent 61% du total des cataphores (voir fig. 2.4).

Parmi ces pointages secondaires, on a des mouvements simples ou des mouvements en aller-retour (pointage toucher). Les mouvements en aller-aller-retour ont une durée similaire aux mouvements de pointages en aller simple (autour de 240 millisecondes soit 6 images en moyenne) alors qu’on s’attendait à ce qu’ils soient deux fois plus longs.

Figure 2.4 Répartition des pointages secondaires à fonction anaphorique.

Les mouvements simples sont majoritaires dans les anaphores (64,7%). Tandis que les pointages en aller-retour sont majoritairement associés à des unités cataphoriques (72%). Si ces mouvements en A-R sont brefs, ils sont aussi d’une faible amplitude. En fait, ils expriment une instantanéité (fig.2.4).

La proportion des mouvements simples qui concernent uniquement les anaphores est faible : 13,4%. Par contre plus de 64% des pointages avec un mouvement simple sont faits pendant la prononciation du mot correspondant (appelés déictiques verbaux). Ainsi, on peut voir que les pointages secondaires avec un mouvement simple sont associés temporellement ou suivent rapidement la cible verbale.

Pour les pointages avec un mouvement en aller-retour, 68% d’entre eux servent les cataphores verbales. Ils précèdent donc la cible verbale. Souvent, ils servent à pointer un mot que le locuteur ne trouve pas.

On voit assez clairement qu’une typologie formelle des pointages a des répercussions fonctionnelles immédiates

Les pointages simples servent à indiquer dans le même temps (déictiques verbaux 64,7% des Mvts simples) ou une fois que la cible verbale est dite. Il semble donc que le message verbal prenne le pas sur la gestuelle. Le pointage ne fait là qu’ancrer vers ce qui est ou a été dit. Les pointages en A-R (pointages toucher), eux, sont dans un rapport temporel d’insertion dans le flux parolier. Ils sont rapides et marquent spatialement une épaisseur à portée de doigts. Cette épaisseur est une manière de marquer un instant.

Allons plus loin avec une catégorie de pointage secondaire qui est faite selon un mouvement en A-R particulier, celui de la flexion. 78% de ces Mvts de Flex en A-R sont des anaphores verbales. Ces pointages (il y en a 14 dans le corpus) relèvent tous d’une recherche de mots. Ils sont faits par une flexion de la main certes mais dans des orientations de la main différente. De sorte qu’on a bien une spécialisation forte de ce pôle dans le degré de liberté Flex/Exten de la main dans un cadre de référence intrinsèque.