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2.1 Caractériser l’état de conservation : une question de valeur

2.1.1 Les valeurs d’une forêt

En 1980, Jean-Marie Géhu et Jean-Louis Mériaux organisent un séminaire à l’institut européen d’écologie sur le thème de l’évaluation biologique du territoire par la méthode des indices biocoenotiques. Pour Ludovic Nef, la valeur biolo-gique correspond aux bienfaits que l’environnement peut couvrir face aux besoins humains [Nef 81]. Patrick Blandin lui propose d’employer le terme de valeur sociale, valeur englobant l’ensemble des fonctions de production, protection et so-ciale que les écosystèmes peuvent remplir, vocabulaire bien connu des forestiers. Dans leur « biogéographie appliquée à la région du lac de Neuchâtel, estimation

de la valeur naturelles des écosystèmes riverains », Antoniazza et al., (1980)

regroupent également les forêts riveraines non pas selon leur fonction intrinsèque mais par fonctions de reproduction, de migration, d’alimentation, de protection et de refuges vis-à-vis des oiseaux d’eau et proposent une carte synthétique de restitution [Antoniazza 80]. Ludovic Nef poursuit en déterminant la « qualité

bio-logique intrinsèque1 ». Cette qualité s’appuie sur un choix de critères scientifiques (mesurables, quantifiables...).

Il n’en reste pas moins que l’ouvrage de Usher « Wildlife Conservation

Eva-luation » publié en 1986 reste une référence en la matière [Usher 86]. Ce dernier

souligne que les évaluations, réalisées bien souvent de manière plus intuitive que 1. définie comme indépendante de toutes considérations anthropocentriques, se déduisant des caractéristiques du phénomène vivant

Chapitre 2 L’état des forêts

scientifique, doivent logiquement comporter :

— une phase de jugement,

— suivie d’une phase de comparaison,

— et aboutir à un classement en fonction d’un objectif bien défini.

En France, plusieurs travaux ont passé au crible tous les indicateurs, à toutes échelles spatiales et à tous les niveaux taxonomiques [Blandin 86, Barnaud 98, Delanoé 98, Levrel 07]. D’après ces différentes synthèses bibliographiques, il en ressort la liste des critères et des indicateurs classée ici par ordre décroissant d’oc-curence :

— La surface de l’habitat : elle est en lien avec la théorie de la biogéographie insulaire [MacArthur 63, MacArthur 67], “Plus le site est vaste, plus il a de

valeur pour la conservation”, ce que ne nierait pas un conservateur des Eaux

et Forêts !

— La diversité et ses nombreux indices. La diversité peut être considérée comme un paramètre de dispersion sur des variables qualitatives aléatoires [Legendre 98] ; La diversité correspond à la notion de variance. Quand la va-riable aléatoire est le nombre d’allèles chez un individu, on estime la diversité génétique ; s’il s’agit du nom de l’espèce à laquelle appartient chaque indi-vidu alors on estime une diversité spécifique ; enfin lorsqu’il s’agit du nom du groupement végétal à laquelle appartient chaque relevé floristique, on estime la diversité écosystèmique.

2.1 Caractériser l’état de conservation : une question de valeur

Les indices de biodiversité classique

L’indice S (nombre d’espèces ou richesse spécifique) donne la même importance à toutes les espèces quelque soit leur abondance au sein de la biocœnose. Il me-sure la richesse spécifique mais ne permet pas de déterminer l’équitabilité. H’, l’indice de Shannon-Weaver, est adapté aux problématiques des écologues qui s’intéresse à l’ensemble des interactions possibles entre les espèces et permet de mesurer à la fois la richesse spécifique et l’équitabilité au sens de Pielou (J). Nous le détaillerons au chapitre 4 en lien avec la théorie de l’information [Shannon 48].

D, indice de Simpson, permet également une mesure de la richesse et de l’équi-tabilité. L’indice de Simpson est la probabilité que deux individus i1 et i2 tirés au hasard dans une communauté appartiennent à la même espèce. Il vaut

D = 1 − S

X

i=1 p2i

où S est le nombre d’espèce dans la communauté et pi est la probabilité qu’un individu «tiré» au hasard dans l’échantillon appartienne à l’espèce i.

L’indice de Simpson mesure à la fois la richesse de la communauté puisqu’il y a sommation sur le nombre d’espèces (D est d’ailleurs égal à 1 si le nombre d’espèce est infini), mais il mesure également l’équitabilité grâce à l’utilisation des pro-babilités pi. Il donne une faible importance aux espèces rares de la communauté car il ne s’intéresse qu’au lien entre couples d’individus.

— La rareté et la diversité peuvent être vues comme deux critères identiques [Rabinowitz 86, Gaston 94, Gaston 96]. Pour Ledant, le succès de ces deux critères lui paraît excessif car rareté et diversité sont communément em-ployées par goûts des naturalistes qui « semblent aimer confusément la

diver-sité ; en partie pour des raisons liées à la décroissance de l’utilité marginale : de la sorte, il l’aiment en tant que consommateurs et non en tant qu’experts de nature »[Ledant 91]. Pour lui, les naturalistes refuseraient de reconnaître

le fondement subjectif de cette attractivité car ce serait désavouer leur image de neutralité et d’objectivité et ils perdraient de facto la légitimité de leur fonction sociale d’expert.

— La naturalité : ce critère est discuté dans la section 2.2

— La vulnérabilité : c’est le critère le plus difficile à estimer, souvent par des méthodes indirectes. Elle résulte de la combinaison de facteurs intrinsèques et extrinsèques (menaces). C’est un critère complexe dont les corrélats sont la résilience et la persistance. Devillers et al. (1990) ont été parmi les premiers à formaliser ce critère pour le rendre opérationnel à l’échelle d’un territoire [Devillers 90].

Chapitre 2 L’état des forêts

— La représentativité / la typicité : ce critère le plus souvent qualitatif. Il permet de corriger la tendance des naturalistes à privilégier la rareté [Ledant 00]. Nous traiterons en détail le critère de la typicité dans le cha-pitre 3. La représentativité de l’habitat est souvent utilisée comme variable de stratification en phase préliminaire de l’évaluation, notamment dans le cadre du réseau Natura 2000 ou d’autres réseaux comme celui des réserves forestières [Rameau 95].

Ainsi, poser un diagnostic sur l’état d’un écosystème forestier, c’est avoir recours à :

— des espèces indicatrices

— Leur présence renseigne sur les caractéristiques physico-chimiques ou bio-tiques. Ces espèces permettent d’inférer certaines propriétés d’un écosys-tème. C’est toute la théorie de la bioindication en général [Brisse 95b, Blandin 86] et en particulier pour la flore forestière française [Rameau 93, Gégout 05] et européenne [Landolt 77, Ellenberg 92].

— des indicateurs écologiques

— Ce sont des organismes ou ensemble d’organismes qui, par référence à des variables biochimiques, cytologiques, physiologiques, éthologiques ou écologiques permettent de caractériser l’état d’un écosystème ou d’un écocomplexe de mettre en évidence de façon précoce leurs modifications [Blandin 86]. Dans le domaine forestier, de telles batteries d’indicateurs ont été bâties depuis plus de 30 ans à partir de groupes fonctionnels comme les fourmis [Torossian 77, Torossian 84], les Syrphidés et le pro-tocole Syrph-the-Net [Speight 98] ou les coléoptères saproxylophages et le protocole FRISBEE [Bouget 08] .

— des indices biotiques

— variable synthétique de construction empirique souvent accompagnée d’un système arbitraire de notation (e.g. Indice Biologique Généralisé Norma-lisé pour les milieux aquatiques continentaux [Genin 03]). En matière fo-restière, l’indice de biodiversité potentielle [Larrieu 08] rentre dans cette catégorie, tout comme celui sur les érablaies de ravin [Paillet 08].