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3.3 La modélisation pour évaluer l’état de conservation : limites et pers-

3.3.1 Entre aire de répartition et surface

3.3.1.1 Incertitudes des prédictions

Bien que la pertinence de l’utilisation de l’approche indirecte par les espèces ait été démontrée sur le plan statistique et écologique comparée à l’approche directe, elle contient comme toutes méthodes de modélisation une part d’incertitude liée :

— à la qualité des données des bases phytoécologiques et phytosociologiques — Le premier est que certains habitats élémentaires n’étaient pas présents

dans la base de données et/ou que l’occurrence de ces habitats était très déséquilibrée au sein d’un même habitat générique. Du fait que les habi-tats élémentaires sont caractérisés par des cortèges d’espèces et des condi-tions environnementales spécifiques, il est évident qu’un tel déséquilibre ou l’absence de données, pour certains habitats élémentaires, participe à l’incertitude des prédictions et limite leur représentativité. Cependant, ce

Chapitre 3 Evaluer l’état de conservation - apport de la modélisation

point peut être comblé en ayant recours aux milliers de relevés phytoso-ciologiques des Conservatoires botaniques nationaux.

— Le second est la faible couverture spatiale de ces données renforcée par la distribution grégaire des relevés (liée au fait que les données proviennent de la concaténation d’études locales). Cela limite la représentativité des prédictions et peut même les biaiser au bénéfice des conditions les plus inventoriées. Notons toutefois que l’approche indirecte limite très pro-bablement plus ce type d’incertitude comparée à l’approche directe du fait que le classement habitat est basé sur des modèles de distribution d’espèces qui sont ajustés sur des données représentatives du territoire forestier français (données floristiques de l’IFN).

— La dernière incertitude provient de la possible présence d’erreurs dans le renseignement de l’habitat des relevés. En effet pour 453 d’entre eux le classement habitat n’est pas unique. Toutefois, cette incertitude est limitée par le fait que l’information sur la détermination de habitat fores-tier a été renseignée sur le terrain par des experts, phytosociologues ou phytoécologues. Là encore, l’amélioration des algorithmes de classement permet de pallier à cette incertitude [Gégout 10, Maciejewski 16c]. — à l’incertitude des modèles de distribution des espèces. Bien que les espèces

utilisées pour le classement des habitats soient celles dont les modèles de distribution sont les plus performants, il n’en est pas moins vrai que les prédictions réalisées à partir de chacun de ces modèles sont entachées d’un certain niveau d’incertitude qui peut se cumuler lors de la classification ha-bitat. L’incertitude provient de l’ajustement des modèles de distribution des espèces mais aussi des variables environnementales utilisées pour les calibrer. En effet, l’erreur de classement des habitats obtenue à partir des observations in situ de la flore (19.5% d’erreur) est inférieure à celle obtenue lorsque les prédictions des modèles de distributions sont utilisés (33.7% d’erreur). — à l’utilisation d’un seuil pour définir l’aire de distribution potentielle de

l’ha-bitat et sa surface : bien que nécessaire le passage d’un gradient de probabilité de présence ou de classement des habitats à des données de présence/absence à partir d’un seuil de probabilité n’est pas optimal. L’incertitude liée à cette méthode est d’autant plus forte que la capacité de discrimination du classe-ment est faible.

— Nous avons autant que possible réduit la variance de la date du relevé mais cela n’a pas toujours été possible. Il aurait été interessant de cali-brer les modèles de distribution d’abondance uniquement avec des relevés pour la période 2006-2012. Bien évidemment, le nombre de relevés par ha-bitat générique est très réduit, moins de 100 relevés. Or, la variabilité des communautés végétales du tapis herbacé des habitats forestiers tempérés

3.3 La modélisation pour évaluer l’état de conservation : limites et perspectives

est attestée depuis de nombreuses années [Al-Mufti 77]. A cette variabilité temporelle s’ajoute celle du cycle sylvicole. De même, il est attesté que la structure et la composition du tapis herbacé sont déterminées par des para-mètres d’abondance [Barbier 09] et de composition de la strate arborescente [Auclair 71, Moelder 8]. Tous les relevés retenus sont des relevés effectués dans les phases de maturité des peuplements forestiers avec des couverts fermés.

3.3.1.2 La cartographie des milieux naturels et leur état

« Importante pour l’agriculture, la sylviculture...la phytogéographie l’est aussi

pour l’économie nationale. Une bonne carte phytogéographique peut souvent, don-ner une meilleure vue d’ensemble sur la capacité productrice d’un pays et les pos-sibilités de son accroissement que beaucoup de tableaux statistiques. Une connais-sance précise des rapports entre climat et végétation permet d’éviter beaucoup de dépenses inutiles. » Voilà en substance comment s’exprimait Schouw en 1822

dans les « Principes d’une phytogéographie générale » cité par Josias Braun-Blanquet et al. dans son introduction à la cartographie des groupements vé-gétaux [Braun-Blanquet 47]...comment ne pas lui donner raison !

L’apport de nos modèles de distribution d’aire de répartition des habitats fores-tiers dépasse le dilemme d’une carte des groupements végétaux établie au 1/20 000e selon l’approche phytosociologique et celle de la végétation de la France au 1/200 000e des phytogéographes. Nos modèles permettent de prédire la réparti-tion et la surface des principaux habitats forestiers de la zone némorale française. Aujourd’hui, il n’existe pas de cartes harmonisées des habitats naturels à l’échelle française, comme il peut en exister, depuis de longues dates en Hongrie, Ré-publique tchèque, et partiellement en Italie, en Espagne, dans certains Lander allemand ou encore en Autriche [Ichter 15]. Le programme national de cartogra-phie des habitats de France, CarHAB, porté par la fédération des Conservatoires botaniques nationaux n’est pas encore achevé. Un bilan en 2012 a montré que la connaissance sur la répartition des habitats naturels et semi-naturels à grande échelle (1/25 000) reste incomplète dans notre pays, malgré plus de 1882 cartes inventoriées [Olivier 10]. L’échéance, initialement prévue en 2018, a été repoussée à 2025 (comm. perso MTES ) donc bien après le prochain rapportage au titre de l’article 17 de la DHFF (2019). Dans le programme CarHAB, la télédétection et la modélisation d’habitats sont utilisées pour produire des couches de base avant une importante phase de validation sur le terrain. Cette modélisation utilise la méthode du maximum d’entropie (MAXENT). Cette approche donne de bons ré-sultats pour les milieux ouverts y compris à grande échelle [Redon 12]. Mais pour les habitats forestiers, l’agence européenne de l’environnement, qui a testé à petite échelle cette méthode, a obtenu un succès modéré et ne s’est pas risquée à estimer

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des surfaces [Spyropoulou 15].

Pour déterminer la structure et fonction, nous n’avons pas tenons compte de pa-ramètres comme la fragmentation (dimension des massifs, distance entre patch..). Les indicateurs de gestion durable fournissent d’ailleurs de type de cartes [Maaf 16]

tout comme l’Observatoire national de la biodiversité (http://indicateurs-biodiversite.naturefrance.fr/fr/indicateurs/fragmentation-des-milieux-naturels).

Habitat « menacé » : a-t-on besoin d’une liste rouge ?

Nous avons vu que l’état de conservation au sens de la DHFF peut-être

«défavorable-mauvais» lorsque les habitats sont menacés d’extinction (au moins régionalement).

Il faudra attendre 2008, pour voir émerger la notion d’habitats menacés au sens de l’UICN et que soit proposé une méthodologie pour le qualifier (2013). Le guide d’interprétation de l’article 17 indique que le fait qu’un habitat naturel ne soit pas menacé (c’est-à-dire qu’il ne soit pas confronté à un risque d’extinction directe) ne signifie pas qu’il se trouve dans un état de conservation favorable. L’objectif de la DHFF est défini en termes positifs, orientés vers une situation favorable, qui doit être définie, atteinte et maintenue. C’est donc plus qu’éviter les extinctions ! Cependant, le guide [Evans 11] indique (p.20) : « Si possible, des listes rouges de

types d’habitats, de communautés végétales ou de biotopes correspondant aux types d’habitats de l’annexe I de la directive devraient être prises en compte pour iden-tifier la zone favorable des types d’habitats. Par exemple, dans les cas où les types d’habitats sont «menacés d’extinction», «en danger critique d’extinction» ou simi-laires, il est peu probable que la superficie actuelle du type soit suffisante pour être considérée comme favorable. » : ce sont des arguments à tout le moins en complète

contradiction avec les premières pages du guide !

L’UICN, qui s’inscrit dans l’agenda international de la Convention sur la diver-sité biologique, a donc développé une méthodologie cohérente pour établir une liste rouge des écosystèmes (https://iucnrle.org). Les efforts de surveillance de l’état des écosystèmes sont entravés par l’absence d’un cadre scientifique cohérent, avec des critères transparents pour identifier lesquels de ces écosystèmes sont plus suscep-tibles de disparaître. Après la reconnaissance de cet important vide scientifique, le IVe Congrès mondial de la nature de l’UICN (Barcelone, Espagne, 5-14 octobre 2008) a approuvé une motion visant à initier le développement d’une norme mon-diale d’évaluation des risques écosystémiques qui pourrait devenir un nouvel outil de conservation politiques. Ainsi, l’UICN a jeté les bases de la Liste Rouge des Ecosystèmes (Red List Ecosystem), un outil clé, car elle permet d’aborder diffé-rents aspects des politiques publiques dans une perspective mondiale et nationale. La LRE a été officiellement reconnue par l’UICN en 2014. Jusque-là, un protocole d’évaluation de l’écosystème qui séparait l’analyse des risques de l’écosystème et l’établissement des priorités de conservation n’était pas disponible. Actuellement,

3.3 La modélisation pour évaluer l’état de conservation : limites et perspectives

la première évaluation LRE continentale est en cours d’achèvement, en Amérique, et plusieurs LRE nationaux ont été achevés, ainsi que des évaluations de multiples écosystèmes du monde entier. L’objectif est d’avoir une évaluation complète de tous les écosystèmes du monde d’ici 2025 (d’après https://iucnrle.org).

Or l’article de Keith et al. publié dans Plos One en 2013 repose sur une métho-dologie critiquable car basée sur des états de référence post-industriels (e.g. 1750) [Keith 13], qui n’est pas sans rappeler l’indice d’intégrité de Scholes & Biggs [Scholes 05]...toujours cette lancinante question du référentiel et de paradis perdu !