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2.1 Caractériser l’état de conservation : une question de valeur

2.1.3 La forêt et sa dynamique cyclique

La dynamique des écosystèmes forestiers oblige souvent à raisonner à l’échelle régionale (diversité γ) pour maintenir un pool d’espèces légué par l’histoire bio-géographique (Fig. 2.1.2) [Blondel 95]. Les processus biobio-géographiques et écolo-giques requièrent du temps donc de l’espace en vertu de la théorie de la hiérarchie [Allen 82].

Pour Jacques Blondel (1995), des successions asynchrones, déclenchées par des perturbations, entretiennent la diversité des conditions environnementales requises par toutes les espèces léguées par l’histoire biogéographique. Ces perturbations vont être à l’origine d’une mosaïque paysagère, si bien que le pool d’espèces total de cette dernière ne peut-être maintenu que s’il existe des habitats de structures différentes (Fig. 2.1.4). Blondel appelle cela un méta-climax.

Figure 2.1.4 – Le modèle méta-climacique de Blondel (1995)

Il tire ce concept de l’analyse de la sylvigénèse faite par Oldeman (1990) [Oldeman 90].

Ce dernier définit la sylvigénèse comme un processus suivant lequel la forêt ac-quiert son architecture et sa forme homéostatique par des stades de développement successif. Plusieurs phases se succèdent dont chacune concerne des espèces diffé-rentes, de moins en moins héliophiles, conduisant à des homéostasies de plus en plus complexes. L’ensemble de ces phases participe au cycle sylvigénétique. Ce cycle suppose une connaissance des relations spatio-temporelles entre la produc-tion de biomasse et l’énergie captée. Les travaux d’Oldeman et de Francis Hallé visaient en définitive à remettre le critère de la forme en valeur, reliant architec-ture et fonction, associant les niveaux d’intégration morphologiques et écologiques aux échelles de l’arbre et de la forêt. Oldeman décrit la sylvigénèse en terme

2.1 Caractériser l’état de conservation : une question de valeur

de niveaux d’énergie à travers l’activation, via la ressource photique, des méris-tèmes qui conditionnent la position des arbres en trois catégories (1) du présent, (2) d’avenir, et (3) du passé [Oldeman 78]. Certains biogéographes vont reprendre à leur compte les thèses de Oldeman pour déterminer les formations végétales comme René Braque dans sa « biogéographie des continents » [Braque 88].

L’énergie constitue un lien fonctionnel, difficile à quantifier, entre les unités archi-tecturales forestières emboîtées. En considérant les méristèmes comme des boites noires, la modélisation de leur fonctionnement assure, de l’arbre à l’écosystème, une mise en relation des divers niveaux de structuration avec l’apport énergétique. Oldeman définit la réitération comme un phénomène séquentiel à déterminisme génétique qui suppose une certaine quantité d’énergie pour activer les méristèmes conformément au modèle architectural élémentaire. L’augmentation de l’énergie disponible assure la croissance des arbres par réitérations du modèle qui changent l’architecture de l’ensemble. L’aspect structural de l’arbre apparaît significatif de la dynamique forestière. Tous les arbres ne sont pas capables de réitérations dans la conquête de l’espace, cette aptitude ayant une signification adaptative.

Chaque phase sylvigénétique correspond à un degré d’évolution de l’éco-unité. Cette dernière est une unité de régénération de succession caractérisée selon sa structure. Les éco-unités sont définies sous l’angle fonctionnel, la ressource photique étant le premier facteur explicatif. Le moteur de cette sylvigénése est assuré par une perturbation cruciale : le chablis ou l’ouverture dans la canopée ; les arbres sous-jacents, s’ils survivent, réitèrent alors leur modèle architectural élémentaire. Ce rôle central de la trouée (gap-model) a été documenté dès 1947 par Watt [Watt 47]. Oldeman définit quatre phases (Fig. 2.1.5) :

1. innovation, 2. aggradation, 3. biostatique,

4. sénescence ou dégradation.

La délimitation des éco-unités se base sur le paramètre discriminant de la lumière. Or, à défaut de pouvoir quantifier précisément la ressource photique, la production de biomasse est finalement le paramètre qui intègre le mieux l’utilisation et la diffusion de la ressource lumineuse au sein de l’écosystème forestier.

A un instant donné, une forêt est donc une mosaïque spatiale de ces différentes phases, un « kaléidoscope » selon l’expression de Blondel (1995) ; une mosaïque de mini-successions qui apparaissent dès qu’une perturbation se crée (Fig. 2.1.4). A l’échelle régionale, une forêt peut paraître stable et immuable alors qu’elle est composée d’un patchwork de mini-successions.

Prédire l’état dans lequel se trouve un habitat de cette mosaïque est donc fonc-tion du gradient de perturbafonc-tions. A l’échelle d’un patch, la disparifonc-tion de certaines

Chapitre 2 L’état des forêts

Figure 2.1.5 – Exemple de cycle sylvigénétique dans une forêt de la zone némorale d’après Emborg et al. (2000)[Emborg 00]

2.1 Caractériser l’état de conservation : une question de valeur

espèces modifie tout l’équilibre localement. Les espèces dominantes sont interchan-geables en vertu de leur redondance fonctionnelle et une espèce dominante qui dis-paraît est rapidement remplacée par une autre espèce qui peut devenir dominante à son tour. Le problème à résoudre est par conséquent complexe : une espèce qui disparaîtrait est généralement présente dans plusieurs habitats où ses fonctions peuvent être différentes, et c’est l’équilibre dynamique de cet ensemble de patch qu’il faudrait étudier. Les états d’équilibre d’un système si complexe ne peuvent donc être découverts qu’en faisant appel à des modèles plus complexes, des mo-dèles qui permettraient de tester la modification du fonctionnement d’un habitat en particulier si l’espèce dominante était absente.

De prime abord, ce qui semble hétérogène à une échelle peut devenir homogène à une autre et vice-versa. Tout dépend du grain avec lequel la mosaïque paysa-gère est appréhendée [Fahrig 85, Forman 86]. Les forestiers connaissent bien cet effet au travers de la loi de de Liocourt. Sans fondement biologique, elle définit une norme donc un modèle pour les peuplements irréguliers où la distribution des tiges par classe de diamètre est une fonction exponentielle décroissante (Fig.2.1.6 a’ et b’). Il s’agit en fait de la transposition de l’état normal en futaie régulière au niveau du massif, à l’échelle de la parcelle en futaie jardinée, où les tiges sont en mélange pied par pied. Guillard n’affirmait-il pas que la forêt française toute entière est « une belle forêt jardinée »[Guillard 98] ? Il est vrai qu’à l’échelle na-tionale, la courbe de distribution du nombre de tiges par hectare est une fonction exponentielle négative, typique des courbes de Liocourt [Bruciamacchie 93].

Prenons par exemple, le cas d’une pessière de 100 ha traitée en futaie régulière (Fig. 2.1.6 a). A l’équilibre, on obtient 4 classes d’âge (de diamètre) de 25 ha chacun. L’homogénéité locale (chaque 25 ha) est grande, l’hétérogénéité globale (100 ha) est importante. Dans l’autre cas (Fig. 2.1.6 b), cette pessière est traitée en futaie jardinée sur 100 ha. Localement, l’hétérogénéité est maximale, globalement elle est plus faible : tout dépend du grain à laquelle l’analyse de la mosaïque paysagère est faite. Dans les deux cas de figures a’ ou b’, les distributions des diamètres sont strictement identiques à l’échelle du massif. C’est la combinaison des deux modes de traitements sylvicoles qui générera une hétérogénéité maximale à l’échelle du paysage.

L’organisation spatiale de cette mosaïque a bien entendu des conséquences sur la résilience de ce territoire forestier : il faut donc prendre en compte, comme le rappellent Lindenmayer et al. (2008), le régime de perturbations régionales [Lindenmayer 08] que nous discuterons au chapitre 4.

Chapitre 2 L’état des forêts

Figure 2.1.6 – Mosaïque forestière - effet de l’échelle - conséquence sur la rési-lience d’un massif

2.1.4 La « dictature » des indicateurs dans la gestion forestière