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3.3 La modélisation pour évaluer l’état de conservation : limites et pers-

3.3.4 Des avancées, depuis 2012, certes, mais encore ?

Le seul véritable reproche que mérite l’application de la directive Habitat est d’avoir gaspillé l’acquis de ce nouveau schéma de conservation de la nature, en maintenant la vieille dichotomie entre scientifiques et gestionnaires, au travers du postulat de deux séquences bien séparées comme le soulignait déjà Jean-Claude Rameau [Rameau 97a], puis Christian Barthod [Barthod 08] : D’abord l’identi-fication et la désignation des sites, puis la détermination des modalités de gestion et de son évaluation. Ce schéma aurait pu être valide dans le contexte d’une ap-proche utilitariste reposant sur un consensus scientifique et technique. Force est de constater que c’est un échec. Dans une approche renouvelée de la conservation de

Chapitre 3 Evaluer l’état de conservation - apport de la modélisation

la nature, ce schéma est une lourde erreur dès lors qu’il s’applique à une démarche éthique qui suppose l’adhésion à des valeurs communes et l’implication de tous les acteurs.

Une tentative de réconcilier les objectifs de résultats du « bon état » de la DHFF avec ceux du « bon usage » de la gestion durable des forêts est néanmoins en cours. La plate-forme biodiversité pour la forêt (PBF), instance de concertation, a été créée en juin 2012 par le Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt (MAAF). Il s’agit de mettre en œuvre l’engagement issu de la Stratégie na-tionale pour la biodiversité (SNB) 2011-2020 relatif à l’intégration des enjeux de la biodiversité dans toutes les politiques publiques, en l’occurrence la politique forestière. Elle rassemble des acteurs de la recherche, de la forêt publique et privée et du monde associatif. Jusqu’en 2015, la PBF a notamment contribué aux tra-vaux d’élaboration du Programme national de la forêt et du bois (PNFB) avec la production de deux notes sur la prise en compte de la biodiversité et l’équilibre sylvo-cynégétique. Dans ce cadre, la PBF s’est vu confier trois missions princi-pales dans le PNFB (i) mener une réflexion sur la coordination des objectifs et des moyens de la R&D autour des enjeux de biodiversité forestière ; (ii) en lien avec le programme « Evaluation française des écosystèmes et des services écosystémiques (EFESE)» et avec l’appui de l’IGN, constituer un groupe de travail pour mettre en place un système de recueil et de partage d’informations géo-référencées sur les valeurs des services retirés du fonctionnement des écosystèmes forestiers ; enfin (iii) élaborer des recommandations, à l’attention du comité spécialisé « gestion

durable » du Conseil supérieur de la forêt et du bois (CSFB) dans le cadre de son

bilan annuel, concernant la prise en compte de la biodiversité au niveau natio-nal et régionatio-nal. Par ailleurs, la PBF a du continuer d’être l’instance de référence pour la mise en œuvre des engagements de la SNB relatifs à la politique forestière, et également poursuivre le programme de travail dont elle s’était dotée en 2012. Depuis l’adoption du PNFB en mars 2017, pour faire face aux vives tensions qui s’étaient exprimées, l’animation a été confiée, en juin 2017, au binôme FNE/GIP ECOFOR, avec le soutien du MAAF et du MTES. En octobre 2017, la première réunion plénière de la PBF sous cette nouvelle configuration a décidé de mettre en place deux groupes de travail : « Recherche » et « Politiques publiques »...tou-jours la pensée visionnaire de Westoby (1967). Y aurait-il quelques problèmes à résoudre ?

Cette masse de données, qu’elles proviennent de l’IFN, des sites Natura 2000, des bases de données floristiques et écologiques, mise ou pas sous forme d’observatoires, aussi importante soit-elle, est-elle à même de traduire l’ensemble des enjeux liés à la gestion forestière d’un territoire ?

Les territoires ont surement d’autres attentes que celui de dispositifs de sur-veillance nationaux. Ces réseaux de sursur-veillance n’ont d’ailleurs pas vocation à

3.3 La modélisation pour évaluer l’état de conservation : limites et perspectives

embrasser la pluralité des points de vues. Or rappelons-nous que « le bon état de

conservation au titre de la DHFF n’est pas une référence absolue ni un pur concept scientifique, mais une co-construction entre des principes écologiques et des choix sociaux.. »[Evans 11] Mais qui est convié à la table de cette co-construction ? avec

ou sans les experts ? En France, les rapportages de 2005 et de 2012, ne comptaient ni géographes, ni sociologues.

Il y aurait comme un hiatus entre la sphère de la connaissance et celle de la gestion comme Jeanmougin et al. l’ont souligné récemment [Jeanmougin 17a, Jeanmougin 17b] : la sphère de la conservation, des biologistes, malgré les efforts intenses de ces dernières années, notamment par le truchement du programme du GIP ECOFOR « Biodiversité, politique et gestion forestière », et le monde des ges-tionnaires n’arrivent toujours pas à se comprendre.

Il est temps à présent de détailler ce qu’est réellement une évaluation pour, comme concluait si justement Christian Barthod, « ...travailler à une synthèse du meilleur

de la tradition forestière européenne du « bon usage », qu’incarne aussii Pinchot, et des réponses possibles aux questions fortes et provocantes sur le « bon état », qu’a formulées Leopold sur la base d’une vision façonnée par les découvertes de l’écologie scientifique »[Barthod 05], car nous pensons, comme Robert Harrison

(1995), qu’« Il est évident que nous n’avons plus peur de « faire l’Actéon », c’est à

dire de regarder au coeur de la forêt. La raison, c’est peut-être que, désormais, les forêts manquent de déesses protectrices. Ou du moins le croit-on. En ignorant les yeux qui ne font pas voir, nous finissons par croire que l’oeil du savoir - l’oeil qui fixe les objets et les analyse et les quantifie et les interprète - est le seul à posséder la vision. Mais quand le regard ne va que dans un sens, le monde est réduite à l’inanimation. »[Meiller 95]

Chapitre 3 Evaluer l’état de conservation - apport de la modélisation

Points clés

Apport de la modélisation

Avec nos modèles nous réussissons à prédire la présence, l’abondance de telle ou telle espèce et leur combinaison permettent de prédire l’assemblage de telle ou telle type de communauté, aujourd’hui et demain. Cela participe à enri-chir ce que nous nommons le connaissance par le biais des outils informatiques et mathématiques, probabilistes notamment. Or avec un regard plus aiguisé, nos modèles ne font finalement que « valider » l’empirisme acquis au fil des siècles par des générations d’hommes. C’est un peu comme si l’homme jadis en lien quotidien avec son environnement, avait « intégré » l’ensemble de ses paramètres biotiques et abiotiques. Nous ne faisons que « redécouvrir » au-jourd’hui formellement et quantitativement cet acquis, à la différence près que nous n’avons plus besoin d’être au quotidien dans ces territoires. Il s’est opéré une distanciation. Cette confrontation de la modélisation avec l’empirisme est riche d’enseignements :

1. Primo, ces travaux plaident pour la reconnaissance et la connaissance des savoirs traditionnels et ancestraux dans ce qui convient d’appeler des socio-écosystèmes. Dans beaucoup de cas, pour ne pas dire dans la plupart, c’est le bon sens, la constance qui a valeur de référence et d’usage dans la gestion de ces territoires. Au passage, les idéologies empreintes de non-interventionisme sont égratignées, puisque l’homme n’est pas le bienvenu, thèse, au combien, anti-humaniste.

2. Secundo, l’approche modélisatrice permet, dans des contextes ou l’homme n’est pas ou peu présent (systèmes arctiques, boréaux), ou dans des espaces desquels il s’est retiré (déprise, exode. . . ) de remobiliser des connaissances qui ont été perdues, avec la possibilité de valider les mo-dèles par des sources textuelles (géohistoire) ou cartographiques (cadastre ancien par exemple). Parfois, lorsque ces savoirs ne sont pas perdus, l’ap-proche modélisatrice permet de remobiliser ces connaissances empiriques. 3. Tertio, l’approche modélisatrice permet de générer différents scénarii, de tester des hypothèses dans le cadre d’environnement changeant ou contraint.

Points clés

Ces évaluations, en réalité, n’en sont pas : ce sont des suivis, des dispositifs de surveillance de l’état de conservation

o Alors qu’elles se veulent aider à la décision et censé « évaluer » une politique publique comme celle du réseau Natura 2000,

o Elles visent simplement à approfondir les connaissances, à réduire les incertitudes, à évaluer des risques, rien de plus.

Chapitre 4

De l’évaluation de l’état de

conservation des forêts à celui des

territoires

Partir d’un suivi de l’état écologique des populations ou des écosystèmes, réalisé par des biologistes, des écologues [Gosselin 12] afin de rendre compte de l’adéqua-tion entre les moyens, les objectifs et les résultats d’une politique environnementale sort de la conception de l’évaluation telle que nous l’envisageons et tels que cela a été définis préalablement dans le chapitre 3.

En effet, nous nous sommes focalisés dans les chapitres précédents sur l’évalua-tion de l’état de conserval’évalua-tion des habitats forestiers à l’échelle biogéographique et à l’échelle des sites Natura 2000 selon une méthodologie guidée par les impératifs de la mise en oeuvre d’une politique publique de conservation de la nature, la di-rective Habitats. Quelle que soit l’échelle, les méthodes de recueil de l’information qui servent à produire ces indicateurs d’états, eux-même repris dans un système de notation, sont à présent standardisées [Carnino 10, Evans 11, Maciejewski 16a, Maciejewski 16d]. Tout au long de ce processus d’évaluation, nous avons démon-tré combien le « dire d’expert » était mobilisé à toutes les échelles. Ce suivi de l’état écologique échappe à la société pour n’être captée que par les « sachants », comme l’ont déjà démontré des chercheurs notamment impliqués dans la recherche-action[Etienne 03, Etienne 05, Bouleau 12, Gondran 15].

Il est temps que l’ensemble des acteurs du territoire se saisissent de cette problé-matique. Philippe Roquepplo se demandait d’ailleurs, dès 1995, qui est habilité à affirmer que la forêt est en bon état ? [Meiller 95]. Les propriétaires ? Les gestion-naires ? Les scientifiques ? Les citoyens ? On peut les questionner d’ailleurs chacun sur le niveau et l’étendu de leurs savoirs. Cette question de l’évaluation de l’état des forêts ne peut échapper au débat social. Comment, dans ces conditions,

opé-Chapitre 4 De l’évaluation de l’état de conservation des forêts à celui des territoires

rer un débat public sur cette question ? car la moralité d’un acte n’est-t-elle pas fonction de l’état et de la norme du système social où il est accompli (Flechter, 1966 cité par [Blondel 95]). C’est bien à cela également qu’Aldo Leopold nous invite dans son introduction à la Land Ethic.

Parce qu’elle structure nos paysages, qu’elle est source de multiples usages, parce qu’elle hante nos inconscients collectifs, la forêt invite, chacun de nous, à poser des regards pluriels, elle est chose publique.

Or, les choix de gestion forestière et du territoire sont systématiquement motivés au nom d’une « sacro-sainte notion d’intérêt général » [Buttoud 83] et de dura-bilité. Notion, au combien équivoque, puisqu’on voudrait tout à la fois conserver les forêts, tout en alimentant la filière-bois locale ou internationale et répondre aux attentes d’un société du divertissement (e.g. sports de nature, chasse...). La gestion multifonctionnelle des forêts doit être questionnée.

Cette partie est le fruit de mes réflexions, en autre, de cinq années passées dans un service déconcentré du ministère en charge de l’environnement, mais également de mes échanges avec la Direction des études économiques et de l’évaluation envi-ronnementale sous la direction de Bertrand Galtier, des animations dans le cadre de la révision ou de l’élaboration des chartes de parcs naturels régionaux en région Bourgogne-Franche-Comté avec le bureau d’études « Consortium Consultant » et de mes enseignements dans les post-master d’AgroParisTech.

Avertissement

Compte-tenu de mes fonctions dans un service déconcentré du ministère en charge de l’environnement, je ne peux trahir le secret professionnel au sens de l’article 26 de la Loi n°83-634 du 13 juillet 1983. C’est pourquoi j’ai été contraint, pour certains exemples, d’être imprécis afin de protéger scrupuleusement les intérêts matériels et moraux des particuliers ou des entreprises.