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III. Pureté de l’intention, pureté du sentiment

1. La vénalité

Les poètes se positionnent très clairement face à ce mercantilisme de l‘amour, qu‘ils rejettent puisque « la vénalité féminine est une des malédictions de l‘amour ―pur‖238 ». De plus, comptant parmi les rangs de la population les moins fortunés, du moins l‘affirme-t- il239, ils ne sont pas en mesure de rivaliser avec de richissimes adversaires : « Les élégiaques n‘éprouvent guère de tendresse pour la luxuria, le luxe et dissolution, qui les place en position d‘infériorité dans la quête de l‘amour240 ». La vénalité des puellae devient donc un obstacle substantiel à leur quête amoureuse et par conséquent, est vertement décriée à travers leurs élégies. La figure négative de la courtisane et les thèmes s‘y rattachant deviennent alors un moyen d‘expression pour le poète, en particulier lorsqu‘il se sait trahi par la jeune femme, exposant ainsi la distinction principale entre ces deux catégories de femmes. De fait, l‘infidélité (physique ou morale) de la puella est, si l‘on en croit l‘amant éploré, le plus souvent causée par sa vénalité, puisqu‘elle aurait accepté de se donner en échange de cadeaux. Par conséquent, elle perd son statut de femme aimée et divinisée pour se voir considérée sur le même pied que la courtisane. Cet aspect, bien qu‘absent chez Catulle, trouve de nombreux échos chez les trois élégiaques.

Tibulle expose ce lien perfide entre amour et argent en l‘associant au thème du παξαkιαπζίζπξνλ. Ainsi, à l‘élégie II, 4, alors qu‘il se lamente sur les infidélités de Némésis dont la porte lui reste fermée, il affirme : Sed pretium si grande feras, custodia

uinca est / Et coepit custos liminis esse canis241. La porte, symbole de la réussite amoureuse

237 N‘abordant que brièvement dans le cadre de ce mémoire la question de la relation de la puella avec la

poésie et l‘argent, nous référons le lecteur à l‘ouvrage de S. L. James, Learned Girls and Male Persuasion, paru en 2003.

238 J.-M. André, « Les élégiaques et le statut de la femme », 1980, p. 54. 239 Voir par exemple, Ovide, les Amours, I, 3, 7-10.

240 J.-M. André, « Les élégiaques et le statut de la femme », 1980, p. 55.

241 Tibulle, Élégies, II, 4, 33-34 : « mais apportes-tu une forte somme d‘argent, la surveillance est vaincue, les

lorsqu‘elle s‘ouvre, expose bien dans ce cas-ci la corrélation entre les deux éléments : la relation ne peut être vécue que lorsque l‘amant a payé son droit de passage ce qui contrevient bien sûr à l‘idéal relationnel de l‘élégiaque. Properce et Ovide abondent en ce sens lorsqu‘ils soulignent la vénalité de leur amie : par exemple, dans une longue diatribe, Properce illustre son désir de voir disparaître les richesses qui incitent Cynthie à la vénalité242, alors qu‘Ovide affirme ne plus aimer Corinne qui, selon lui, se vend243.

Ce comportement de la puella est, le plus souvent, associé par les poètes aux commandements d‘une lena, une entremetteuse qui dicte à la jeune fille la conduite à adopter. Le poète peut alors porter sa haine sur un être autre que la femme dont il est amoureux et subit les outrages. Chacun des élégiaques244 a des mots, réels ou imaginaires, avec la lena présumée de sa puella, mais il est intéressant de noter que deux auteurs, Properce et Ovide245, poussent le procédé littéraire jusqu‘à imaginer le discours que cette dernière tient à leur amie. Le sermon de l‘entremetteuse constitue alors la parfaite antithèse des valeurs amoureuses prônées par les poètes : la puella est exhortée à utiliser sa beauté comme un appât dans le but de conquérir le plus grand nombre d‘amants possible, mais à n‘accorder ses faveurs qu‘à ceux qui en ont les moyens. Par conséquent, il faut privilégier le présent à l‘amant et juger de ce dernier par la qualité de ce qu‘il apporte avec lui. On doit noter que le discours de Properce contient un élément fort intéressant : un passage du discours de la lena reprend, afin de le railler, un extrait d‘une élégie du poète :

Aurum spectato, non quae manus afferat aurum ! Versibus auditis quid nisi uerba feres ?

« Quid iuuat ornato procedere, uita, capillo et tenuis Coa ueste mouere sinus ? »

Qui uersus, Coae dederit nec munera uestis, Ipsius tibi sit surda sine aere lyra246.

242 Properce, Élégies, II, 15-22. 243 Ovide, les Amours, I, 10, 11.

244 Voir par exemple, Tibulle, I, 5, 59-60.

245 Properce, Élégies, IV, 5 (au sujet de cette élégie, voir K. J. Gutzwiller, « The Lover and the Lena », 1985,

p. 105-115) ; Ovide, les Amours, I, 8.

246 Properce, Élégies, IV, V, 53-58 : « Regarde l‘or et non la main qui l‘apporte. On te dira des vers, que t‘en

restera-t-il ? des mots : ―Quel plaisir est-ce donc, ô ma vie, de s‘avancer la coiffure bien parée, drapée dans les plis mouvants d‘un léger tissu de Cos ?‖ Que celui qui t‘offre des vers au lieu de t‘offrir des tissus de Cos et des présents, que celui-là te trouve sourde à ses accents, aux accents d‘une lyre sans argent ».

81 Nous avons bien sûr reconnu dans cet extrait l‘élégie I, 2, 1-2 dans lequel Properce expose à Cynthie ses préférences vestimentaires et qui, nous le rappelons, prône un dépouillement de la parure dont la pureté peut être comparée à la relation désirée par le poète. On doit noter que ce passage contient un élément qui nous ramène à cette connaissance de l‘art, en particulier celle des lettres, qui est attendue chez la puella par le poète et qui lui permet ici d‘accorder sa véritable valeur au cadeau qui lui est fait, des vers. Il importe toutefois de constater que ces femmes sont d‘une grande rareté puisque les lamentations des poètes au sujet de la vénalité de leur amie se retrouvent dans de nombreuses élégies, et ce, chez nos trois auteurs247.

En résumé, Ovide, avec son sens de l‘humour coutumier, expose clairement le sentiment élégiaque devant l‘importance des richesses au détriment des lettres dans le processus amoureux dans son recueil didactique :

Quid tibi praecipiam teneros quoque mittere uersus ?

Ei mihi ! non multum carmen honoris habet. 275

Carmina laudantur, sed munera magna petentur Dummodo sit diues, barbarus ipse placet. Aurea sunt uere nunc saecula ; plurimus auro Venit honos, auro conciliatur amor

Ipse licet uenias Musis comitatus Homere, Si nihil attuleris. Ibis, Homere, foras248.