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s’attarder sur les gestes des personnes présentes. Certaines habitudes trahiront ainsi le passé du lieu et son utilisation actuelle. Il faut bien observer les gens, et aller plus avant de ce que l’on sait, et de ce que l’on voit. Le geste est comme une mémoire à remobiliser. Mais est-ce possible de voir des traces de ce qu’il a eu lieu dans un espace vide? Je pense qu’il est tout à fait permis de créer des liens entre les ruines du passé et les constructions du présent. Avec ses gestes sensibles et intuitifs, l’architecte a le même rapport éprouvé de l’espace que le danseur l’aborde. Pour agir sur un monde qu’il découvre il va s’accrocher à une multitude de vocabulaires. Il pense à l’espace, au corps, à la construction, au temps. Il va traverser des goûts qui ne sont pas les siens, pour arriver à sa propre pratique de l’architecture.

Après cette découverte de l’expérimentation sensible du site, on retrouve également l’idée de l’interprétation. Chacun peut ainsi la jouer à sa manière, avec sa propre personnalité, sa propre histoire. Par exemple, à la lecture d’un programme défini, l’architecte peut décider de le suivre, tout en prenant des libertés. Ces dernières sont la source même de la création et de l’innovation. Il faut en revanche faire attention que la forme ne suit pas forcément l’intention. Un bâtiment pour la danse ne sera pas forcément en train de danser. Il peut être sobre, tout en accueillant de la danse. L’intention est une façon de voir les choses et pas forcément un but. Pour moi, c’est un tort de pousser à son paroxysme une intention dans l’espoir qu’elle nous crée une forme. Les personnes découvrant notre bâtiment ne verront que le résultat et se ficheront de toute la symbolique qu’on a voulu respecter. L’intention est donc, selon moi, une ligne conductrice dont la forme, le geste architecturale peut se détacher. L’improvisation, qui nous manque terriblement aujourd’hui lorsqu’on commence un projet, peut aussi être un outil vecteur de création. Généralement, à nos débuts, on est terrifié à l’idée de dessiner le moindre trait. Pourtant il faut oser se tromper pour recommencer. Et malgré le sentiment exaltant que nous procure cette idée d’avoir le droit de se tromper pour concevoir, il faut être assez humble pour faire exister notre création. Là est tout le paradoxe d’un architecte manquant de modestie. Il va oser créer de nouvelles formes, il n’aura pas peur de les présenter, mais, face à ce projet, il ne saura pas garder sa place. Sa propre existence prendra le dessus sur celle de l’objet. La question de la présence et de la position de l’architecte se pose dès lors. Comment ne pas massacrer par sa propre présence, le monde qui l’entoure ? Pour répondre à cette question, on peut réfléchir à notre vision du monde en général. Je ne fais pas que voir les choses, je suis vue par ce qui me regarde, et je suis vue par ce que je ne vois pas derrière mon dos. Mon corps est tridimensionné. Je suis prise dans des visions d’un monde qui m’enivre, qui m’englobe. Je suis au centre de ces visions, je fais écran. Comment ne pas venir faire de l’ombre, au monde dans lequel je suis. C’est alors toute la question du projet. Comment créer un projet qui ne va pas venir écraser le paysage, mais qui va le mettre en valeur ? Selon moi, il faut mettre le monde en présence sans l’écraser par notre propre présence.

Dans un des exercices, on a également expérimenté le statut de « leader » et celui de suiveur. On remarque qu’on n’est jamais complètement meneur, et jamais complètement suiveur. On fait confiance à l’autre, on se fait confiance. Cette expérience m’a rappelé les relations de travail, au sein d’un groupe de projet. Il n’est pas sensé y avoir de dirigeant, et pourtant, il y en a toujours un qui se détache. Mais souvent, ce n’est pas le même pour la totalité du semestre. Chacun à sa spécialité et va donc prendre les devants quand il le faut. Le « leadership » se

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passera naturellement, comme dans la danse. Pour moi, cette relation saine face à la création est à remobiliser en agence d’architecture. Je ne crois pas au pouvoir d’un seul décideur mais plutôt à celui permettant d’utiliser les forces de chacun, de façon collective. Dans un souci de hiérarchie, il est peut-être nécessaire d’avoir un patron ou une équipe d’associés, mais il ne doit pas agir en « maitre suprême ». L’innovation et la création ne sont, à mon avis, pas que l’affaire d’une personne.

Dans un cadre propice à la création, il est facile de se laisser porter par l’imagination. Cette dernière est alors capable de fabriquer un espace qui peut être palpable. En dissociant notre corps et notre esprit, l’imagination peut créer des éléments spatiaux. Ces espaces peuvent alors être expérimentés car ils sont assez réels, pour celui qui les imagine. Il faut oser les dessiner, pour ensuite, avoir le loisir de les transformer. Plus vite ils deviennent réels dans notre esprit, mieux ils seront appréhendés sur le dessin. Au cours de notre réflexion, on peut alors retourner sur le terrain et s’imaginer devant ou dedans le bâtiment qu’on imagine. En gardant en tête, toutes les leçons apprises lors de ce cours, on peut venir expérimenter avec son corps et son imaginaire un lieu qui n’existe pas encore. Bien réel dans notre tête, on peut venir appréhender ses limites, sa coexistence avec le contexte, et son rapport avec notre propre personne. Bien à l’abri de tout regard, j’ai alors expérimenté une gestuelle m’ouvrant à une approche différente de la création. Par de là, cette expérience personnelle riche, j’ai également découvert deux des sites étudiés dans le mémoire. J’ai ainsi pris conscience de l’importance de l’environnement, dans la création du geste et la découverte de soi. Dans la troisième partie du mémoire, j’ai également pu apporter mon regard de praticienne des lieux, dans l’analyse architecture et urbaine. Par exemple, lors des ateliers du studio Honolulu, j’ai remarqué que l’espace de danse ne proposait pas de miroir qui est alors inutile pour le danseur tri-dimensionné. Il a une idée de ce que ça donne de l’intérieur, et à travers le regard des spectateurs. Grâce aux nombreux exercices, j’ai ressenti ce qui caractérisait l’endroit. Je l’ai épuisé dans son vocabulaire, dans son dimensionnement, dans son utilisation. Au Centre Chorégraphique National, arrivant en retard et n’ayant pas le temps de regarder le lieu en amont, j’ai découvert le site par les exercices proposés. Avec mon imagination, je me suis promenée sur les voutes du plafond ou me suis accrochée aux poutres métalliques du plateau. J’ai alors, au fur et à mesure de la danse, remarqué l’espace de cette chapelle réhabilitée en studio scène. Cet endroit, tout comme Honolulu et l’école d’architecture dans lequel nous avons pratiqué, s’est révélé propice à l’imagination et à la création. Ils nous ont permis de nous détacher du jugement de l’autre, pour nous concentrer sur notre propre expérience. Porteur d’une histoire ou d’une utilisation particulière, les lieux ont nourri notre recherche et nous ont autorisé à nous exprime, avec toute l’ampleur de nos mouvements.

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