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Une architecture habitée par le mouvement

En étudiant les studios de danse, on envisage l’œuvre chorégraphique depuis l’émission du geste (la place du danseur) et non depuis sa réception (la place du spectateur). Loïc Touzé est convaincu que le travail d’artiste sur une œuvre est en grande partie un travail de laboratoire de recherche, pour pouvoir produire une pièce. Il pense que le studio de travail est vraiment le lieu de la danse car c’est sa place, la plus stimulante et la plus juste. À la lumière du jour, dans une certaine proximité, dans un état peut-être un peu hors technique, nait pour lui la capacité des corps, à façonner un espace sensible et fictionnel. L’imbrication des contraintes spatiales, avec les contraintes de mouvement, fabrique un discours. Le studio de danse est un espace de possibilité qui donne toute sa place aux usages. C’est un lieu d’accueil et un outil de travail à expérimenter. Bien que le studio réponde aujourd’hui, à des caractéristiques à peu près communes, il ne semble pas y avoir de lieu idéal. Il n’y a jamais de neutralité de l’espace de répétition et son choix est déterminant. Sa dimension, sa hauteur de plafond, sa configuration, peuvent avoir une influence sur la nature du geste et sur les trajectoires. La puissance du lieu est due aussi à ses proportions, ses lignes de forces, et son équilibre. L’architecture constitue un cadre nécessaire et signifiant pour le danseur qui détermine une partie de son œuvre. L’espace porte les marques d’une histoire culturelle et sociale sur lesquels le danseur doit se positionner. On parle d’un lieu qui provoque un potentiel de gestes et convoque l’imaginaire de celui qui le traverse. Sa perception se fait par l’expérience corporelle.1 Pour le danseur, la

capacité à identifier les caractéristiques de l’espace peut l’aider à se libérer de leur emprises ou au contraire, lui en faciliter l’utilisation.

En parlant d’un lieu, on évoque, dans un premier temps son passé qui laisse constamment une marque dans le présent. Cette marque peut être physique mais également psychologique. Loïc Touzé racontait, par exemple, qu’il pouvait sentir les fantômes présents, dans les vieux studios de danse de l’école nationale de Paris. À Honolulu, l’espace utilisé était un ancien grenier. Son architecture reprend ses caractéristiques avec la charpente visible en bois ou ses petites fenêtres. Le CCNN s’inscrit, quant à lui, dans un ancien couvent, construit en 1873, sous l’influence architecturale romane italienne. Le studio scène est aménagé au cœur de la chapelle. Quand l’on danse à l’intérieur et qu’on lève la tête, on peut apercevoir les voutes, mélangées au support technique actuel. La lumière passe par les vitraux transformés en fenêtres et vient éclairée religieusement la pièce. Aux Abeilles, à Saint Nazaire, Laëtitia a repris le vocabulaire du bateau, pour tous les éléments composants le lieu qui est situé dans l’ancien local des remorqueurs du port. Dans ce qu’elle appelle le «château» de ce « cargo à quai », on retrouve les hébergements. A quelques pas, dans la cour, siège un container à l’effigie de The Bridge. Rapporté par Laëtitia, il crée un lien hybride avec le territoire. L’espace de créativité est alors situé dans le grand hangar, prénommée « la salle des machines ». La pièce, étant anciennement l’espace de réparation des remorqueurs, garde des marques de cette utilisation avec la fosse creusant le sol, ou même le crochet soulevant les charges lourdes

(1) RIVIÈRE Enora. « Parcourir et discourir ou la traversée de multiples espaces ». Repères, cahier de danse. 2006

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Partie III - Chapitre 2

(1) Studio Scène du CCNN, installé au coeur de la chapelle

(2) La «salle des machines» des Abeilles, installée dans l’ancien espace de réparation des remorqueurs de Saint-Nazaire

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et ornant aujourd’hui le plafond. Le lieu témoigne de son histoire. On imagine les gens qui y ont travaillé. « Dans le laboratoire, se passe la machinerie du corps et de l’esprit, là où l’on teste des choses, où on expérimente, où on mue, où on interroge comme une machinerie qui marche non stop. »1 À Nantes, la Fabrique Dervalières s’est installée dans l’ancienne école

primaire ayant fermée dans les années 2000. Ils avaient un tel besoin d’espaces, qu’ils se sont empressés d’aménager en laissant le bâtiment pratiquement dans son jus. Les travaux récents n’ont toujours pas dénaturé l’édifice qui reste marqué par son ancienne vie. On retrouve les peintures jaunes et bleues qui sont caractéristiques du primaire. L’utilisation originelle des pièces est encore visible. On distingue facilement ce qui était le préau, la salle des professeurs ou les classes. Dans le nouveau studio, inauguré en octobre 2018 et installé dans l’ancienne cantine, on retrouve même les portes manteaux des élèves. Les danseurs confient que l’histoire de cet endroit les influence particulièrement dans leur pratique. Ils ont une tendance à aller dans un imaginaire léger. La fabrique Chantenay est, quant à elle installée, dans l’ancienne salle de cinéma de quartier, construit en 1927. Dans les années 60, elle ferme et accueille tour à tour une superette puis un squat. Pendant un ou deux ans, elle se nomma le « Majestic » pour accueillir un club de rock dont l’identité est restée bien présente dans les esprits. Dans les années 90, l’Olympic devint une salle de concerts incontournable et ancrée dans l’histoire de Nantes avec l’arrivée de l’association Songo qui en fit une SMAC2. Installée aujourd’hui

au Stéréolux, l’association a laissé place à la Fabrique Bellevue-Chantenay consacrée à la résidence artistique. Le lieu reste alors marquée par son passé. On y trouve toutes les caractéristiques du cinéma, allant de la mosaïque au sol, jusqu’à l’ancienne billetterie devenue le bureau du régisseur. Les années de concert ont laissé derrières elles le fumoir, les loges, la deuxième entrée des artistes ou même le bar en sous-sol. Ce dernier espace est d’ailleurs souvent réservé en résidence pour son ambiance très particulière. Chacun y vient se nourrir des différents ambiances en s’en inspirant ou en s’en détachant. On voit bien, que l’histoire du lieu est un atout pour les danseurs en résidence. Dans ces studios, le mouvement va s’enrichir des utilisations passées et de leurs héritages.

Le studio est aussi, et avant tout, une histoire de volume. Il doit être vaste pour accueillir la danse qui nécessite un maximum de place, pour déployer les corps. À la Fabrique Chantenay, on trouve par exemple une grande superficie. En effet, la fosse, ayant été transformée en espace de danse ou de théâtre, fait aujourd’hui pas moins de 175m². Elle peut également être doublée, par la scène la juxtaposant, qui fait 70m². L’espace accueillant autrefois jusqu’à 900 personnes a une jauge aujourd’hui de 80 personnes. L’espace du balcon, qui donne sur la scène, est dorénavant inaccessible pour le public car plus dans les normes ERP. Il est de toute façon plus en accord avec l’utilisation faite de cet endroit car il est bien trop loin des artistes et ne répond donc pas à la nécessité de proximité, que souhaite un retour sur une résidence. Tout l’espace, proche de la scène, est très peu utilisé en dehors des gros évènements comme

Partie III - Chapitre 2

(1) Entretien avec Laëtitia Cordier. Danseuse et graphiste, fondatrice des Abeilles44, octobre 2018

(2) Le projet Stereolux est propulsé par Songo, une association à but non lucratif. Crée en 1996, Songo a géré le projet artis- tique et culturel de L’Olympic jusqu’en 2011 avant d’intégrer Stereolux.

Pour son projet artistique et culturel et de développement territorial, Songo reçoit des subventions de la Ville de Nantes, de Nantes Métropole, du Département de Loire-Atlantique, de la Région des Pays de la Loire et du ministère de la Culture et de la Communication (DRAC des Pays de la Loire). Le ministère a octroyé à Stereolux le label national SMAC (Scène de musiques actuelles et d’arts numériques).

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(1) Studio de la Fabrique Chantenay. Scène et fosse transformée en espace de répétition, communiquant entre eux (2) Bar en sous sol de la Fabrique Chantenay. Sert d’espace de résidence et de reception pendant les ouvertures au public

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