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Le concepteur d’espace au service du créateur de gestes

Pour les laboratoires de danse étudiée, l’architecture du lieu s’est faite, au fur et à mesure, de leur histoire. Aucun espace n’a été dessiné directement, pour accueillir de la danse. L’architecte a alors eu très peu de rôle à jouer, pendant leur aménagement. Pourtant, comme vu précédemment, l’environnement du danseur est très important, dans la création chorégraphique. Le lieu est capable d’impliquer une empreinte sur le corps. Ce dernier peut lire un espace, et exprimer ce qu’il lui raconte en retour. Le dessin de cet espace se révèle donc important à penser en amont de son utilisation. Généralement, il a été réfléchit par les danseurs eux-mêmes qui ont essayé tant bien que mal de créer leur espace idéal pour leur pratique. Cependant, il existe à Nantes quelques lieux, ayant impliqué les services d’un concepteur de l’espace. Il est intéressant de se demander quelle est la posture adoptée par le constructeur au moment de dessiner un lieu destiné à la danse.

En prenant comme exemple le 783, je découvre que bien que la structure ait fait appel à un ami architecte, c’est Gaëlle Bouilly qui a dirigé réellement l’aménagement du projet. Architecte de formation, diplômée de Rennes, elle est l’une des co-fondatrices de la Compagnie 29x27 qui est à l’origine du lieu de résidence. Son parcours de danseuse l’a fait s’intéresser à la scénographie dont elle a fait son métier. Elle partage la tête de la compagnie avec le chorégraphe Matthias Groos avec lequel, elle coréalise toutes les œuvres. Elle m’a expliqué, au cours d’un entretien, que son rapport avec l’espace du plateau, est instantané. Quand elle regarde des danseurs évoluer sur une scène, elle les pense dans une globalité et dans le rapport à l’autre interprète. C’est un mixte entre l’échelle du plateau et la position de l’un part rapport à l’autre. Le lien entre deux interprètes est rattaché à cette notion d’échelle de l’espace environnant. En revanche, elle prend rarement en charge l’espace dans un studio qui est, pour elle, le travail de l’interprète. Contrairement à moi, elle pense que le travail de l’espace arrive seulement sur un plateau lorsqu’on est à 7 mètres sous plafond. Il intervient dans la boîte noire, quand il y a de la lumière, de la perspective et du champ contrechamp. Selon la scénographe, l’espace du studio est simplement celui du mouvement et de la danse. Lorsqu’on met cette pratique sur un plateau, on peut enfin parler de spatialisation de la danse. Avant ça, c’est pour elle très difficile à voir. Elle soutient également que l’espace nait du mouvement, et pas inversement. Une fois que ce mouvement est écrit et qu’il existe, on peut le mettre dans un espace. Cette différence de point de vue s’explique par notre approche différente de la question. La scénographe va intervenir une fois que la création s’est construite, pour la représenter dans un espace de diffusion. Elle ne voit pas le travail en amont du chorégraphe qui va dans un premier temps réfléchir l’œuvre et la conscientiser dans l’espace de travail qu’est le studio. Ayant elle même pratiquée la danse, elle connaît la réalité du danseur et ses besoins. En les prenant en compte, elle a tout de même dessiné son lieu dans l’idée de la boite noire car elle n’imagine pas le travail de l’espace sans sont rapport à la scène.

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La question du lieu s’est alors posée dès leur visite du garage qui allait devenir le 783. En découvrant l’espace, ils ont dû, tout de suite, imaginer l’aménagement du bâtiment vide et plutôt étroit, pour se projeter. L’idée a directement été de préserver le maximum d’espace, pour le grand studio. La scénographe et le chorégraphe voulaient un espace suffisamment grand, dans ses trois dimensions, pour permettre un vrai travail de création. L’architecte a été choisi pour la réhabilitation de ce lieu. Il s’est chargé de tout l’aspect technique et du suivie de chantier mais n’a pas vraiment participé, à la conception des espaces. Il a préféré se référer aux utilisateurs pour le travail des volumes et pour savoir ce qu’il fallait faire à leurs yeux pour un lieu destiné à l’invention chorégraphique. Ne sachant rien du quotidien du danseur, il a suivi les instructions, disant surtout de libérer, le plus de place possible, afin d’avoir le plus grand studio possible. À la base, il n’y avait rien au rez-de-chaussée. À la place de la porte vitrée actuelle, on trouvait une porte de garage. C’était un espace entièrement vide avec de la terre battue au sol, mélangée à du béton coulé. Le problème majeur de l’espace était la présence d’une trame de poteaux tous les 2.50 m. La mise en place d’IPN a été obligatoire pour libérer le volume et tenir tous les étages. Mesurant 74 cm d’épaisseur pour des questions de résistance, ils ont aujourd’hui une forte présence dans le studio. Pour pouvoir apporter ces poutres dans le grand espace, les aménageurs ont été obligés de creuser la terrasse au dessus. Ils l’ont donc défaite et refaite par la suite. Gaëlle raconte qu’il a fallu aussi se battre pour des éléments, qui paraissent évidents comme la hauteur des poutres qui ne devaient pas être trop basses pour que les danseurs puissent sauter. Cette question a été l’occasion de faire travailler ensemble des personnes, dont la culture était totalement différente. Elle a rassemblé le bureau d’étude, le chorégraphe, et les concepteurs. Au niveau architectural de l’espace de danse, il n’y a pas vraiment eu de réflexion dessus. L’idée était d’aller au plus loin des murs, et d’aller au plus haut sur la hauteur. Coincé par un volume existant, ils n’ont pas eu à y réfléchir. La scénographe a exigé qu’on aille au maximum, de l’ouverture des cloisons. L’architecte aurait eu, selon elle, tendance à créer un espace, avec des angles droits, dans l’idée de faire un cube. En sachant que même 50 cm était très important, il était hors de question de gaspiller des mètres carrés, pour des murs droits.

La volonté principal de la scénographe a été de recréer les conditions d’une boite noire. Les surfaces de la grande salle sont donc presque toutes peintes de cette couleur. La lumière du jour n’était pas désirée à la base, mais le propriétaire/mécène (qui finance le projet) a exigé qu’il y en ait un minimum dans le grand studio. Il ne concevait pas de construire, un espace sans lumière donc il a insisté, pour en mettre. Il existe alors un lanterneau qui amène de la lumière naturelle à l’entrée du studio, à droite. Gaëlle explique qu’elle l’obstrue constamment avec du papier aluminium car le besoin de la boîte noire est plus fort. Cette exigence inutile a de plus coûté très cher, et est plus gênant qu’autre chose. Elle a en revanche l’avantage de créer une aération mécanique. En plus de ce lanterneau, il y a une fenêtre bandeau entre le studio et le hall, qui est également bouché par la scénographe à l’aide de cartons plume noire. L’apport de lumière est réellement un inconvénient. Les utilisateurs passent leur temps à travailler, dans les théâtres qui sont des espaces noires. Selon Gaëlle, le studio doit être à leur

Partie III - Chapitre 3

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